Daniel Cunin : « Le traducteur est un passeur »

Comment êtes-vous devenu traducteur de néerlandais ?

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J'ai toujours manifesté un réel intérêt pour la littérature. Et même si j'ai d'abord fait des études juridiques, j'espérais pouvoir concilier passion et vie professionnelle. Suite à plusieurs séjours aux Pays-Bas, je me suis mis à apprendre la langue, ce qui m'a conduit à passer un diplôme de troisième cycle d'études germaniques en néerlandais. J'ai alors suivi des cours et séminaires de traduction littéraire et, pour m'exercer, je me suis mis à traduire pour des amis des textes qui me plaisaient. À l'époque, il y avait encore moins de traducteurs de néerlandais qu'aujourd'hui et assez rapidement, on m'a demandé de traduire différents textes pour des entreprises ou pour des revues. C'est à ce moment-là que je me suis rendu compte de la difficulté de ce travail. Mais j'étais très motivé. Le premier roman que j'ai traduit, La Faim de Hoffman, de Leon de Winter (Le Seuil, 1996), ça a été en collaboration avec Philippe Noble [qui dirige la collection Lettres néerlandaises chez Actes Sud].

 

 

 

C'est vous qui démarchez les éditeurs ?

Ce n'est pas la règle, mais il m'arrive de proposer certains titres (par exemple des romans de Tomas Lieske aux éditions du Seuil). Je reçois plusieurs livres par mois d'éditeurs flamands ou néerlandais, des romans, des livres pour enfants, des essais, etc. Parfois je téléphone à un éditeur français pour en parler et tenter de le convaincre. Je contacte en général ceux qui manifestent déjà un certain intérêt pour cette littérature ou pour le type de livres en question. C'est sur mes conseils, par exemple, que Le Rouergue a rencontré l'auteur Bart Moeyaert dont il a publié depuis sept ou huit livres.

Mais, le plus souvent, c'est l'éditeur qui me contacte. J'avais rencontré Héloïse d'Ormesson – à l'époque où elle s'occupait de littérature étrangère chez Denoël – lors d'un colloque réunissant des auteurs, éditeurs et traducteurs de France et des Pays-Bas. Nous avions alors parlé de Vonne van der Meer. Quelques années plus tard, elle a créé sa propre maison d'édition et m'a demandé si j'étais d'accord de traduire certains romans de la Néerlandaise. Pour Hermans, c'est différent. Plusieurs éditeurs français auraient sans doute aimé le publier mais l'auteur, puis ses héritiers se sont opposés à la parution de toute traduction suite à de mauvaises expériences. Lorsque les héritiers ont finalement changé d'avis, quelques années après la mort de W.F. Hermans, ils se sont adressés à Gallimard qui m'a choisi parmi les traducteurs pressentis.

 

Ce sont surtout des livres néerlandais que vous traduisez ?

Oui, je traduis sans doute plus d'auteurs néerlandais que de Flamands tout simplement parce que la proportion des Bataves que les éditeurs (qui pour la plupart se trouvent aux Pays-Bas) tentent de vendre à l'étranger est supérieure et parce que, bien souvent, les auteurs flamands sont traduits par des traducteurs belges. Mais j'ai tout de même traduit, outre plusieurs titres de Bart Moeyaert, le dernier roman de Stefan Brijs, le premier d'Annelies Verbeke, quelques textes de Stefan Hertmans, des essais de philosophes flamands (Frank Vande Veire, Bart Verschaffel), des albums pour enfants de Geert De Kockere, des bédéistes ainsi que des poètes flamands, par exemple en ce moment une anthologie de Dirk van Bastelaere.

Je lis aussi sans doute davantage d'auteurs néerlandais que flamands. Il existe une réelle différence entre les deux littératures, tant au niveau du roman que de la poésie. Le néerlandais de certains auteurs flamands est très caractéristique, différent de celui de leurs voisins. On le remarque tout de suite par l'emploi de certains mots, de certaines tournures syntaxiques. Le flamand possède aussi des nuances dialectales qui, pour le traducteur, peuvent compliquer les choses car il n'est pas possible de connaître toutes ces variantes. Qui plus est, certains écrivains flamands emploient beaucoup de gallicismes et il est parfois difficile de repérer la valeur exacte qu'ils donnent à ces mots. En tant que Français, j'ai mon idée sur leur sens tel qu'on l'emploie en France, voire en Hollande, mais comment le Flamand en question utilise-t-il ces termes ? Quelle différence fait-il entre ce mot et son équivalent de racine germanique ?

J'ai autant de plaisir à traduire les uns que les autres, l'essentiel, c'est la qualité du texte original. J'ai peut-être un peu plus de mal avec la langue de certains auteurs Flamands car j'ai vécu moins longtemps en Flandre qu'en Hollande. Mon oreille est donc davantage habituée au néerlandais de Hollande. Les tics de langage, les expressions de tous les jours – ces tournures que l'on emploie dans sa langue maternelle sans même les remarquer –, cela fait partie des choses les plus difficiles à traduire quand il s'agit de les transposer du néerlandais en français. Pour bien cerner une tournure, il faut l'avoir entendue dans telle ou telle circonstance ; cela permet de la situer dans son registre, dans un type de discours. D'ailleurs, pour bien traduire, il est souvent utile d'entendre l'auteur lire un passage de son œuvre.

 

Le roman de Stefan Brijs vous a posé ce type de problèmes ?

Non, parce que Stefan Brijs écrit un néerlandais « standard », son exemple en matière stylistique étant Jeroen Brouwers. Il élimine en général tout ce qui pourrait rappeler les caractéristiques dialectales flamandes. Il se distingue ainsi de toute une mouvance d'écrivains belges qui adoptent avec talent une sorte de flamand « standard » artificiel.

 

Comme traducteur, vous considérez-vous comme un passeur ?

Oui, dès le début, j'ai voulu faire passer des textes. La première nouvelle que j'ai traduite – certes pas très bien – à été éditée à une poignée d'exemplaires ; c'était le cadeau de mariage pour un ami. Au-delà des textes eux-mêmes, c'est la culture néerlandaise que j'essaie de faire passer car je la trouve trop méconnue en France. Au départ, je me suis demandé pourquoi cette langue, qui est une langue régionale française totalement éradiquée, qui est celle du pays voisin, la Belgique, et de la Hollande, est si peu connue. Cela m'a d'autant plus intrigué que je n'avais au départ aucun lien ni avec les Flandres ni avec les Pays-Bas. Et je crois que, pour bien traduire, il vaut mieux connaître en profondeur le pays afin de ne pas passer à côté des références culturelles ou d'allusions et de nuances propres à une culture.

 

Qu'est-ce que ça veut dire bien ou mal traduire ?

Une mauvaise traduction « pue » comme le dit un ami traducteur. On sent que c'est traduit, que quelque chose ne fonctionne pas, on trébuche sur un mot, sur une structure de phrase. C'est le résultat de mauvais choix syntaxiques ou lexicaux. Une bonne traduction ne se remarque pas, elle se lit comme s'il s'agissait d'un texte français.

 

Estimez-vous que la littérature néerlandaise est bien représentée en traduction française ?

Il manque encore des (re)traductions d'œuvres plus anciennes pour donner au lecteur francophone une image plus complète de cette littérature et combler un peu le retard. Il y a tout un travail à faire de ce côté-là, à commencer par la riche littérature flamande médiévale jusqu'à des « classiques » du 20e siècle (Bordewijk, Couperus, une bonne part de l'œuvre de Louis Paul Boon, M. Nijhoff et bien d'autres poètes...) en passant par quelques figures du Siècle d'or. Et dans la littérature contemporaine, ce sont les auteurs à succès qui priment, ce qui est un peu dommage. Des écrivains plus discrets sont négligés, même dans leur propre pays. Mais c'est comme ça partout.

 

Michel Paquot
Juin 2010
 
crayon

Michel Paquot est journaliste indépendant, spécialisé dans les domaines culturels et littéraires.

 


 

Blogs de Daniel Cunin: http://flandres-hollande.hautetfort.com & http://polarenflandre.hautetfort.com/

 

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