Il a fallu attendre douze ans pour que le commissaire brugeois Van In, star en Flandre et aux Pays-Bas où ses histoires sont des best-sellers depuis 1995, soit enfin connu des lecteurs francophones. Dans sa sixième enquête qui paraît ces jours-ci, De sang royal, initialement parue en 2000, il est question d'un fils illégitime du roi... du temps où il était prince. Rencontre avec son créateur, Pieter Aspe.
En 2007, lorsque paraît chez Albin Michel, Le Carré de la vengeance, son auteur, Pieter Aspe est un parfait inconnu pour les lecteurs francophones alors qu'il est célèbre depuis plus d'une décennie de l'autre côté de la frontière linguistique belge et aux Pays-Bas. La presse française a tôt fait de qualifier ce Brugeois retiré à Blankenberge de « Simenon flamand », et tant pis si son héros, le commissaire Van In, est à des années-lumière du commissaire Maigret. Le succès rencontré par cette première histoire mettant en scène une famille de bijoutiers confrontée au retour du passé sous la forme d'une énigme remontant aux Templiers, encourage l'éditeur à publier un deuxième épisode, Chaos sur Bruges, où l'on voit des grands patrons d'industrie titillé par l'envie de transformer leur ville en une sorte de gigantesque parc d'attraction.
Pieter Van In poursuit son incrustation dans le paysage littéraire francophone avec trois nouvelles enquêtes publiées l'an dernier, toutes traduites par Emmanuèle Sandron (rejointe par Michèle Deghilage) : Les Masques de la nuit, La quatrième forme de Satan et Le Collectionneur d'armes.
Tandis que son créateur écrit son 27e livre, paraît aujourd'hui son sixième, De sang royal, qui touille dans les arrière-cuisines d'une grande famille brugeoise.
Un notable est retrouvé pendu. La police conclurait à un suicide si, selon son fils, le vieil homme n'avait reçu des lettres de menaces. Vin In et son fidèle Versavel, brigadier homosexuel, découvrent que le défunt a jadis été marié à une femme devenue ensuite l'épouse d'un chrétien pur et dur puis d'un notaire en vue et mère de quatre enfants aux paternités obscures. L'un de ses rejetons pourrait d'ailleurs être de sang royal. À l'époque où il écrit ce roman, à la fin des années 1990, l'existence de Delphine, la fille d'Albert II, n'a pas encore été révélée.
Dans ses romans, Pieter Aspe mêle habilement trois, voire quatre dimensions : un suspense, évidemment, très bien construit, la ville de Bruges que l'on peut quasiment arpenter dans les pas de ses personnages, la vie d'un commissariat avec ses coups de gueule et rivalités, et enfin le quotidien d'un couple avec enfants, même si ce couple – un commissaire et une juge d'instruction – ne mène pas une existence banale.
C'est en 1995 que Pieter Aspe, né en 1953, apparaît sur la scène littéraire. À l'époque, après avoir exercé différents métiers sans jamais songer à écrire, il est concierge de la Basilique de Saint-Sang à Bruges. « Passé 40 ans, se souvient-il, je me suis demandé si j'allais le rester ou si je pouvais encore faire autre chose. Comme je lisais beaucoup, je me suis lancé dans l'écriture d'une histoire. J'ai chois ile polar car les gens aiment ce genre littéraire et, n'ayant pas d'expérience, j'ai pris ma ville comme décor. Alors qu'il s'y produit peu de crimes, ce qui peut sembler contradictoire. » Il se renseigne auprès d'un ami commissaire de police et crée Pieter Van In, un quadragénaire colérique et jaloux, fumeur invétéré et buveur de Duvel devant l'Éternel. Et dont l'expression favorite, signifiant à la fois la stupeur et la contrariété, qu'il dit tenir de sa grand-mère, qui elle-même la tenait d'un officier allemand, est « Benson im Himmel ! ».