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Redécouvrir le théâtre grâce au DVD : La folle épopée d'Ariane Mnouchkine

15 June 2010
Redécouvrir le théâtre grâce au DVD : La folle épopée d'Ariane Mnouchkine

Mnouchkine

La créatrice du Théâtre du Soleil, fille du producteur de cinéma d'origine russe Alexandre Mnouchkine, est à l'origine de l'une plus belles aventures théâtrales de ces cinq dernières décennies. Un magnifique documentaire de Catherine Vilpoux en retrace l'histoire.

« On va s'amuser. On va être heureux. » C'est fort de ce désir qu'en 1964, Ariane Mnouchkine, alors âgée de 25 ans, qui a découvert le théâtre à l'Université d'Oxford (où elle est aujourd'hui Doctor Honoris Causa), au point de vouloir en « faire sa vie » pour pouvoir « agir sur le monde », fonde une compagnie théâtrale avec notamment les comédiens Philippe Léotard, rencontré à la fin des années 1950 à la Sorbonne, et Jean-Claude Penchenat, futur créateur du Théâtre du Campagnol. Son Nom? Le Théâtre du Soleil. À la recherche d'une « maison », il s'installe en 1970 à la Cartoucherie de Vincennes, un ancien lieu de fabrication d'armement et de poudre situé dans le Bois de Vincennes est aménagé en trois semaines. Cette troupe va révolutionner son art. Par sa manière de fonctionner – chacun de ses membres touche par exemple le même salaire – par son rapport aux spectateurs qu'Ariane Mnouchkine accueille à l'entrée du lieu, à leur grande surprise d'ailleurs, mais surtout par son offre théâtrale, mélange de flamboyance et d'utopie. « Chaque spectacle est un voyage à la recherche de quelque chose d'inconnu », aime-t-elle à dire.

De 1789, première mise en scène à la Cartoucherie, aux Naufragés du fol espoir, adaptation d'un roman posthume de Jules Verne créée cette année, la compagnie n'a cessé de proposer un théâtre qui se veut « traversé par les échos du monde », en sortant du réalisme considéré comme « le grand danger du théâtre occidental ». Si elle s'est à plusieurs reprises colleté des œuvres classiques – La Nuit des Rois, Les Atrides ou, en 1995, Le Tartuffe dont le héros est un imam intégriste s'immisçant dans une famille algérienne – Ariane Mnouchkine a principalement travaillé à partir de textes d' Hélène Cixous en prise avec notre temps : L'Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge (1985), portrait du pays avant Pol Pot, L'Indiade ou l'Inde de leurs rêves (1987) consacré à la partition de l'Inde, La Ville parjure ou Le Réveil des Erinyes (1994) autour du scandale du sang contaminé, Et soudain les nuits d'éveil (1997) témoignant de la situation des sans-papiers, ou Les Tambours sur la digue inspiré des désastres écologiques provoqués par la politique gouvernementale chinoise.

mnouchkine1793

1793, création collection du Théâtre du Soleil en 1972.
Face aux Sans-Culottes, les spectateurs deviennent des membres de leur section.

 

Mais le Théâtre du Soleil ne serait pas ce qu'il est sans ses grandes créations collectives : 1793 (1972), L'Âge d'or (1975), Le Dernier Caravansérail (2003) écrit à partir de dialogues de réfugiés ou Les Éphémères (2006), fresque construite sur des instants puisés dans l'enfance de la metteuse en scène. Ni sans ses films, en tête desquels figure Molière ou la vie d'un honnête homme tourné en 1978 avec Philippe Caubère.

L'aventure du Théâtre du Soleil, réalisé l'an dernier par Catherine Vilpoux, est un film magnifique et profondément émouvant qui rend compte de cette formidable énergie et de cette prodigieuse créativité. Habité de bout en bout par Ariane Mnouchkine, il fourmille d'images de répétitions et de travail avec les comédiens, de discussions au sein de la troupe ou avec spectateurs que la grande dame n'hésite pas à haranguer avec humour (« Descendez dans les gradins ou fichez le camp ! », « Arrêtez de tousser ! », « Arrêtez de respirer ! »). On peut également voir différents extraits de spectacles, en France mais aussi ailleurs, par exemple à Kaboul, où la troupe a passé un mois, ou au Cambodge. Celle qui a toujours cru « à la force du groupe », revient sur son évolution et celle de la compagnie, toujours animée par la « certitude » qu'il appartient à cet art « de rendre le monde meilleur ». Faire du théâtre, c'est entretenir « le trésor de l'enfance, de crédulité, d'enchantement, de possibilité d'enthousiasme » préservé en nous, insiste-t-elle.

Ariane Mnouchkine parle aussi beaucoup du public avec qui elle a noué des liens exceptionnels, louant le courage de ces hommes et femmes qui viennent jusqu'à Vincennes après une journée de travail. « Je ne concevrais pas de faire du théâtre sans cet amour [pour vous] », va-t-elle jusqu'à leur dire. Sans jamais renier ses valeurs ou raboter sur son exigence, refusant par exemple de faire du théâtre de boulevard, elle est consciente qu'ouvrir sa porte aux spectateurs, c'est avoir « charge d'âmes ». Ceux qui, très nombreux, viennent voir ses spectacles l'ont d'ailleurs bien compris, revenant troublés, émerveillés, grandis de chacune de leurs visites à Vincennes.

Aujourd'hui, cette jeune septuagénaire qui n'a rien perdu de son dynamisme, de sa volonté et de sa force d'engagement – auprès des sans-papiers, notamment, qu'elle a accueillis à la Cartoucherie en 1996 après leur expulsion de l'église Saint- Bernard et n'a cessé de soutenir ensuite – reconnaît avoir « moins de force de consolation ». Pensant à demain, elle souhaite que le Théâtre du Soleil lui succède. Pour « continuer à montrer le possible », à « réenchanter » la vie, à « redonner du désir, de l'appétit, de l'esprit ».

 

 

 

Michel Paquot
Avril 2010

crayon

Michel Paquot est journaliste indépendant.

 

 


 

Ariane Mnouchkine. L'aventure du Théâtre du Soleil, film de Catherine Vilpoux, Arte Éditions, 2009.

 


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