700 ans de traditions des gildes visétoises

Au cours des derniers siècles du Moyen-Âge européen, nombre de communautés urbaines voire rurales se sont dotées de compagnies d'archers et surtout d'arbalétriers dans un but de défense. Le rôle de ces corps constitués était de prendre les armes chaque fois qu'ils y étaient requis afin de combattre les adversaires de leur ville ou de leur village, parfois aussi de leur prince, et également d'aider au maintien de l'ordre à l'intérieur de l'entité géographique à laquelle ils appartenaient.

Leurs effectifs étaient assez réduits : souvent quelques dizaines, rarement plusieurs centaines d'hommes. Leur mission spécifique, en cas de conflit ouvert, consistait à tenir l'ennemi à distance soit en tirant sur lui du haut des remparts pour repousser un siège, soit en engageant le combat en premier lors des batailles rangées, avant l'intervention du gros des troupes, composées de milices de fantassins ou de cavalerie. L'arc permettait de lancer des flèches à environ 200 mètres ; l'arbalète était plus lente à servir mais elle développait une puissance supérieure, capable de décocher des traits plus courts et plus massifs – appelés carreaux – à environ 300 mètres.

arbalète

Arbalète dite "la duc d'Albe", offerte en 1568 par Ferdinand Alvarez de Tolède, duc d'Albe et gourverneur général des Pays-bas (1567-1570), à la gilde des Arbalétriers de Visé.  Musée de la Compagnie royale des anciens arbalétriers visétois.

Les membres de ces compagnies de « gens de trait » dites « guildes » ou « gildes » prêtaient serment aux autorités locales dont ils dépendaient et s'érigeaient en confréries avec des règles strictes d'admission, de moralité et, bien entendu, d'aptitude au combat, notamment par la possession d'un armement adéquat et la pratique d'un entraînement régulier. Cette sorte de « garde civique » avant la lettre était la seule force militaire permanente et professionnelle en dehors de la noblesse d'épée. Constituée de roturiers, elle jouissait cependant de privilèges spécifiques qui l'amenèrent à développer un profond sentiment d'appartenance, voire de caste, au sein de sa propre communauté, avec des traditions fortement ancrées et des rituels religieux et festifs particuliers. Elle était généralement placée sous le patronage d'un saint guerrier : saint Sébastien, saint Georges, saint Martin... Ses membres disposaient d'une particularité vestimentaire distinctive, qui renforçait leur esprit de corps, à une époque où l'uniforme militaire au sens moderne n'existait pas encore.

En temps de paix, les gildes de gens de traits organisaient des compétitions amicales, dotées de prix, rassemblant des compagnies déléguées par plusieurs villes. On y faisait assaut d'adresse mais aussi de fastes et... de libations.

Les gildes de ce genre furent nombreuses dans les territoires qui forment la Belgique actuelle. Il en existe encore de nos jours, quoique beaucoup soient de fondation relativement récente. En effet, nombre de celles créées au Moyen Âge ont disparu en raison de circonstances diverses mais surtout parce que, lors de la généralisation des armes à feu, au 16e siècle, elles furent frappées d'obsolescence et leur fonction militaire perdit sa raison d'être. D'autres ne survécurent pas à l'abolition des corporations d'Ancien Régime décrétée par les autorités révolutionnaires françaises.


La ville de Visé constitue précisément, à cet égard, une exception et, assurément, un cas unique en Wallonie. Contrairement à certaines localités, où parfois la naissance d'une confrérie  de ce genre fut encore antérieure à la sienne, Visé est la seule qui ait conservé sa gilde des arbalétriers de façon continue depuis sa création. Car la « Compagnie royale des Arbalétriers de Visé » (les « Bleus ») célèbre en grande pompe, cette année ses 700 ans d'existence ! Sa charte de fondation a disparu mais diverses considérations historiques semblent conforter la tradition qui la ferait remonter à l'année 1310, sous le règne du prince-évêque de Liège Thibaut de Bar. Peu après, cette bourgade fluviale située entre Liège et Maestricht, se dote de remparts, donc entend assurer sa propre protection (notamment celle de la navigation marchande sur la Basse-Meuse liégeoise) et, de ce fait, jouer un rôle militaire.

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