Les déformations des colosses du Gem-pa-Aton, une question de perspective

Plusieurs conclusions s'imposent donc :

1° même si l'avènement de l'ère atoniste s'accompagne de l'émergence d'un style résolument neuf par rapport aux traditions égyptiennes, l'opposition contrastée entre style de Karnak ou des premières années de l'Atonisme et style d'Amarna ou de la fin du règne, presque toujours acceptée comme une évidence, est assurément excessive ;

2° dans les arts bidimensionnels comme dans les arts tridimensionnels, le facteur de la taille de l'œuvre peut induire, dans un sens comme dans l'autre, des déformations importantes, et il faut donc toujours veiller à comparer ce qui peut l'être ;

enfin, 3°, les colosses du Gem-pa-Aton de Karnak ne constituent pas l'exemple le plus représentatif du style en vigueur à l'inauguration de l'Atonisme, mais bien une version modifiée de ce style, modifiée en fonction de leur taille et d'un facteur de correction de la parallaxe. Ils doivent donc être observés et analysés en tenant compte de ce facteur de distorsion (ou de correction) et ils posent bel et bien le problème de la prise en considération des déformations de la perspective par l'art égyptien.

L'étude de cette question dans la statuaire pharaonique de dimensions colossales permet d'ailleurs de démontrer qu'à partir du Nouvel Empire (c. 1550 - 1080 av. J.-C.), les traits d'une sculpture peuvent effectivement être altérés pour des raisons de perspective et que cette déformation n'est pas fonction de la taille intrinsèque de l'œuvre, mais bien de la position d'un spectateur théorique dans l'environnement monumental où prenait place la statue.

Laboury AkhénatonVues de la tête d'un colosse osiriaque de la première cour du temple de Ramsès III à Médinet Habou, de face, depuis l'extrémité sud de la cour, depuis l'axe central de la cour et depuis le milieu de la moitié nord de la cour, et de profil

À l'analyse, sur une vue de profil, l'emplacement de l'oreille au sein du visage d'une statue égyptienne constitue donc un excellent indicateur non seulement de la présence mais aussi de l'importance d'une adaptation physionomique en fonction de la parallaxe ; elle permet, en outre, de reconstituer, mathématiquement, le contexte de visualisation original de l'œuvre. Ainsi peut-on calculer que, en fonction de l'angle de translation des éléments du visage des statues colossales d'Amenhotep IV érigées dans la cour du Gem-pa-Aton à Karnak, soit approximativement 18° au niveau des yeux - ces sculptures avaient été réalisées pour être regardées, en théorie, depuis une distance d'environ 20 coudées, soit 10,5 mètres - alors que, fait notable, elles bordaient une gigantesque cour de 210 mètres (400 coudées) de côté. Dans ces conditions d'observation, le visage, toujours jugé si caricatural, du royal adorateur de l'Aton nous apparaît sous un jour nouveau, suivant l'image qu'en développèrent ses concepteurs et dans une version nettement plus comparable et compatible avec ce que les fragments de statues contemporaines mais de taille humaine permettent de restituer comme portrait officiel du souverain au début de l'ère atoniste.

Laboury AkhénatonComparaison de vues de face de la tête Le Caire JE 98894, photographiée au niveau des yeux, du buste JE 98915, en tenant compte de la hauteur originale et du point de visualisation théorique de la statue, et d'une reconstitution de face du visage des statues de taille humaine d'Akhénaton au grand temple d'Aton à Akhet-Aton (d'après divers fragments du MMA de New York)

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