L'œil de Howard Webb et la main de Thierry Henry

arbitres

À propos de Kill the referee1 et de Une main en trop2

« Si vous savez, je veux savoir. »
(Propos d'un juge de ligne filmé pendant l'Euro 2008)

 

Le documentaire Kill the referee a jeté un pavé dans la grande mare du football en suivant, pendant l'Euro 2008, plusieurs équipes d'arbitres professionnels. Filmée en gros plan sur le terrain comme en dehors, à l'hôtel, en déplacement, à l'entraînement ou lors des débriefings, leur compétition, avec ses joies et ses déboires, révèle le désarroi d'arbitres sur lesquels pèsent de plus en plus la responsabilité du sport-spectacle par excellence : réputés garants des règles, mais impuissants face aux ralentis de télévision. Les travaux de Paul Yonnet montrent que la position, aujourd'hui intenable, de l'arbitre de football tient à un passage à la limite, à un renversement, de ce qui justifie l'intérêt passionné d'un vaste public pour le football, en particulier pour la Coupe du Monde, principale compétition entre équipes nationales. Depuis un siècle, le sport-spectacle est le lieu où, par des modes d'identification complexes, les individus attestent leur égalité, s'identifient les uns aux autres et font société. Le football est, par excellence, ce théâtre de l'égalité qu'une main volontaire peut profaner et renverser en théâtre de l'injustice.


Le pouvoir en trompe-l'œil de l'arbitre

 « Vous avez tout pour vous faire respecter. » Tel est le message que Michel Platini adresse, en début de compétition, aux arbitres sélectionnés pour le Championnat d'Europe 2008. L'ancien numéro 10 de la Juventus de Turin, devenu président de l'UEFA, raconte comment, jeune footballeur du championnat de France, il a été réduit au silence par un arbitre autoritaire qui lui a donné une carte jaune à sa première rouspétance : « Si un joueur court vers vous, donnez-lui la carte jaune. Il ne reviendra pas. » L'arbitre perd, en revanche, son autorité s'il veut expliquer sa décision. Le seul langage de l'arbitre est celui du carton, jaune sauf désagréable exception. Tout au plus six ou sept mots par match. Les arbitres assemblés autour de Platini acquiescent silencieusement.

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Quelques jours plus tard, le premier ministre polonais, qui estime que son équipe nationale a été lésée par une décision arbitrale, déclare que, s'il en avait la possibilité, il tuerait lui-même l'arbitre du match. Howard Webb, un géant faisant jusque-là la fierté de son père, lui-même arbitre amateur qui a transmis sa passion à son fils, est soudain défait, presque aussitôt démenti par les écrans du stade Ernst Happel de Vienne et par les petits écrans de ce que Paul Yonnet appelle le Grand Stade. Hors-jeu ! L'arbitre est placé sous protection policière. Sa maison en Angleterre fait aussi l'objet d'une étroite surveillance. L'erreur a pourtant été commise par son assistant, qui a tardé à se repositionner.

Le football se pratique à onze contre onze. La carte rouge est considérée par l'amateur de football comme une arme déloyale que l'arbitre brandit contre le football. L'inégalité numérique n'est que difficilement tolérée sur un terrain de football, contrairement à ce qui se passe sur la glace des patinoires de hockey, où le jeu en supériorité numérique, le power play, permet aux deux équipes de rivaliser de maîtrise, offensive ou défensive. En football, l'exclusion n'est tolérée que parce qu'elle est censée décupler la motivation des 10 joueurs restant sur le terrain et parce qu'elle appelle souvent une « compensation ».

Michel Platini, fils d'immigré italien, devenu joueur vedette, sélectionneur national, bonhomme Michelin de la Coupe du Monde 1998, puis haut dirigeant, incarne l'unanimité qui règne dans le monde du football. Le foot est un sport simple, universel, dont les règles immuables doivent être appliquées de la même façon jusque dans la dernière des divisions régionales. Il n'est pas favorable à l'introduction de l'arbitrage vidéo. Il attend de l'arbitre qu'il « sente le jeu », comme on attend d'un joueur qu'il « joue juste ». Le règlement, pour simple qu'il soit, est soumis à cette mystérieuse interprétation.

L'arbitre central est, au fond, comme Platini lui-même, un « numéro 10 ». Dans une autre séquence de Kill the referee, l'ancien joueur réconforte un arbitre un peu troublé par l'agitation qui entoure son collègue Webb : « Si le juge de ligne voyait tous les hors-jeu, il serait numéro 10, un champion. Il ne serait plus un assistant. » L'artiste a vu sa partition gâchée par le manque de talent de son porteur de drapeau. On touche peut-être là un point aveugle de Michel Platini, que l'on considérait au temps de sa gloire plutôt comme un « 9,5 », synthèse rare du numéro 10, qui oriente le jeu de son équipe, et du numéro 9, qui en concrétise la domination. 



 

Images extraites du film Kill the referee
 
1 Kill the referee (Les Arbitres) est un documentaire réalisé par Jean Libon et Yves Hinant à l'occasion du Championnat d'Europe des Nations de 2008, organisé en Suisse et en Autriche.
2 Paul Yonnet, Une main en trop suivi de « Football, les paradoxes de l'identité » et de « Sport et sacré », Paris, Éditions de Fallois, 2010, 196 p.

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