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Le football, l'Iliade, Zidane et Jean-Philippe Toussaint

26 mai 2010
Le football, l'Iliade, Zidane et Jean-Philippe Toussaint

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Quelques matchs célèbres

La littérature occidentale naît de façon épique et magistrale avec l'un des plus beaux récits de match qui ait jamais été écrit : la rencontre oppose les Achéens aux Troyens. Les premiers espèrent récupérer le titre, que leur ont pris leurs adversaires de façon injuste à leurs yeux. Ils comptent dans leurs rangs un formidable attaquant nommé Achille, capable de dribbler n'importe quel adversaire, malgré une faiblesse proverbiale au talon. Les Troyens sont de formidables défenseurs. Un mur noir semble s'être dressé devant leur but et leur ineffable gardien, Hector, est d'un courage à toute épreuve...

La littérature française s'ouvre sur un match inoubliable entre les Français et les Sarrasins. Charlemagne, l'entraîneur de l'équipe de France, compte surtout sur Roland de Roncevaux, qui attire à lui la ferveur médiatique et la faveur du public, mais qui a tendance à être « personnel », comme on disait dans la cour de récré, et à veiller plus à sa propre gloire qu'aux intérêts sacrés du groupe...

L'une des premières grandes pages de la littérature anglaise a pour cadre le derby véronais entre les Capulet et les Montaigu. Il semblerait que de secrètes ententes entre Roméo, le buteur des Montaigu, et Juliette, le masseur (ou la sœur, on ne sait trop) des Capulet, soient de nature à perturber le bon déroulement de la rencontre...

L'un des pères de la littérature russe s'est attaché à la description du match opposant l'équipe de France, encore elle, au onze russe. Napoléon, l'aigle d'Ajaccio, contre Koutouzov, qui n'a pas son pareil pour mettre l'adversaire hors-jeu par une prompte retraite. Mais, comme dans le film de Douglas Gordon et Philippe Parreno sur Zidane, dont parle ici avec verve l'ami François Provenzano, le romancier s'est parfois attaché aux pas d'un seul personnage perdu sur le terrain et ne comprenant pas l'ensemble de la manœuvre : malgré ses rêves de gloire, Nicolas Rostov ne sait même pas où est le ballon...

Étrangement, les débuts de la littérature italienne n'ont rien à voir avec le football : il y est question d'enfer, de purgatoire et de paradis. Mais si l'on considère que l'Italie a d'abord été romaine, il ne faut pas oublier le chef d'œuvre latin de César : La Guerre des... Gaules.

 

La bonne question

Qu'est-ce que la Coupe du Monde de Football nous apprend sur L'Iliade ?

Au moins trois choses. D'abord, Homère aurait pu se passer de dieux et des déesses, spectateurs intrusifs dont les interventions s'avèrent gênantes pour les lecteurs modernes. Le Mundial les remplace avantageusement par les caméras, ces divinités discrètes, invisibles, mais terriblement efficaces, assurant un contact beaucoup plus direct (c'est le cas de le dire) avec les mortels.

Ensuite, Homère s'est trompé sur la longévité des guerriers dominants. Le sport en général, le foot en particulier,  prouve qu'il faut être jeune pour être le plus fort et que l'on ne le demeure pas longtemps. Quels sont les rares guerriers à avoir participé à trois coupes du monde ? Et pourtant Achille, après dix ans de guerre harassante, est toujours invaincu. Il demeure au sommet de la hiérarchie sportive de son temps durant une période tout à fait invraisemblable.

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Enfin, Homère surestime le rôle des héros dans la victoire d'un camp ou de l'autre. La stratégie d'ensemble n'est pas assez prise en compte, comme si Zidane seul avait pu remporter la coupe du monde à la tête d'une équipe de Myrmidons unijambistes.

La littérature épique croit aux héros, à l'essence héroïque, plus encore que la presse sportive. Or, si l'on faisait taire cette presse, qui est volontiers épique elle-même, et aime parler de « talents », l'on verrait que le sport, comme l'art ou la science, est hélas ! d'abord affaire de travail acharné, d'entraînements intensifs, de gestes mille fois répétés... quand il ne s'agit pas de chimie : les grands sportifs d'aujourd'hui sont peut-être simplement ceux qui résistent mieux que les autres aux effets secondaires des médicaments.

À ce propos, il faut noter que les produits stupéfiants sont licites dans L'Iliade : Achille, trempé par sa mère dans le fleuve qui le rend invincible, n'est-il pas le plus grand dopé de toute la glorieuse histoire du sport ?

 

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*    *

 

La guerre sans la mort

Pourquoi la littérature, qui a consacré tant de pages mémorables à la guerre, et qui continue à le faire, éprouve tant de difficultés à parler du foot ? Il y a François Bégaudeau, certes, et son roman Jouer juste, paru en 2003, qu'évoque également dans ce dossier François Provenzano, mais c'est une exception. Et les autres exceptions que l'on trouvera çà et là seront toutes extrêmement récentes, elles aussi, comme si le foot était un phénomène apparu ces dix dernières années. Pourquoi ce silence ?

Premier élément de réponse : le foot ne fait guère couler le sang. Cela devrait plaider en sa faveur. Ses plus zélés détracteurs devraient au moins lui reconnaître cette fonction cathartique : le foot joue à la guerre et active les passions nationalistes sans causer de pertes humaines. Mais il semblerait que, d'un point de vue littéraire, cette absence de la mort est une tare. Elle interdit au football d'aspirer à la grandeur guerrière. Zidane, décidément, est un nain devant Achille. Preuve a contrario : le roman consacré en 2006 par Laurent Mauvignier à un événement footballistique datant de 1985 : Dans la foule met en scène le drame du Heysel...

Second élément de réponse : l'image télévisuelle, par laquelle la plupart des gens prennent connaissance d'un match, est déjà une forme d'écriture. Elle impose un point de vue, une focalisation, avec des plans d'ensemble et des gros plans. Elle désigne les séquences mémorables en les repassant au ralenti au détriment de la continuité chronologique de l'action. Et, même sans le regard des caméras, un match est facile à comprendre : les spectateurs présents dans le stade, même à une mauvaise place, savent toujours qui mène à la marque ; et, si les équipes sont à égalité, ils ont conscience de la domination de l'une sur l'autre. Un match de foot est d'emblée un récit. Rien de tel lors d'une bataille : les maillots sont plus variés, plus difficiles à reconnaître et les mouvements apparemment plus confus. Impossible de savoir qui mène au score : ce sont des rumeurs qui laissent à penser qu'un camp prend l'ascendant sur l'autre. Les spectateurs et les acteurs n'y comprennent rien : ils sont tous dans la position de Nicolas Rostov dans Guerre et Paix ou de Fabrice del Dongo à Waterloo au début de La Chartreuse de Parme. D'ailleurs, la victoire – Talleyrand le savait mieux que personne – s'obtient autant à la table des négociations que sur le champ de bataille. Dès lors, la guerre a besoin d'être écrite pour être lisible : la littérature a longtemps trouvé dans ce rôle sa véritable utilité sociale et Stendhal ne fait que se révolter contre cet état de fait en racontant une bataille du point de vue de celui qui se noie dedans en y perdant son latin. Le foot, au contraire, est sans cesse déjà écrit : il ne suscite par avance qu'une littérature secondaire, interviews redondants ou articles de presse interchangeables. Or la Littérature ne peut se contenter d'être limitée à de la littérature secondaire.

 

Toussaint sur le point de penalty

Toussaint

C'est dans ce contexte qu'intervient un écrivain nommé Jean-Philippe Toussaint. A priori, il n'a pas les faveurs des pronostics : il ne passe pas précisément pour un peintre de bataille et on le gratifie volontiers de l'étiquette « minimaliste », qui pourrait se traduire par « anti-épique ». Son équipe, les éditions de Minuit, plane dans de hautes sphères artistiques n'ayant pas grand lien avec le monde brutal et populaire du football. Et pourtant, c'est lui, Jean-Philippe Toussaint, qui se retrouve, en 1985, sur le point de penalty, sommé de marquer, au profit des lettres, un but de légende.

Il a derrière lui la littérature, Beckett et ses clodos peu sportifs, Nabokov, ses fillettes et ses papillons, Robbe-Grillet au miroir, Sartre au regard de nausée, Musil et Proust. Et il doit tirer. Transformer ce poids du passé en une force qui rende son tir irrésistible.

En 2003, pour son premier roman, François Bégaudeau, plus ou moins dans la même situation, tirera immédiatement en force. Lui aussi, sans doute, il sentira Beckett dans son dos, mais il n'hésitera pas à donner d'emblée la parole à un entraîneur de foot. Un entraîneur, surnommé « le professeur », parlant à ses joueurs dans les vestiaires, avant les prolongations d'un match de Coupe d'Europe. Le roman sera fait d'un long monologue éblouissant, absolument pas crédible, ne cherchant pas à l'être, très littéraire et très moderne dans son phrasé, de plus en plus moderne, même, au fur et à mesure que le texte avancera, devenant beckettien dans ses derniers pages, l'entraîneur se muant lentement en une sorte de Molloy obsessionnel et délirant. François Bégaudeau, en 2003, conférera la maîtrise du discours littéraire à un entraîneur tout en lui retirant, par son délire final, la maîtrise footballistique : ainsi, il offrira la littérature directement au football, sans qu'on sache qui y gagne, qui marque le penalty, finalement, la littérature ou le foot, dans une grande confusion magnifique, François Bégaudeau, en 2003.

Mais Jean-Philippe Toussaint monte sur le terrain en 1985. Sans doute est-il le premier à oser parler foot en littérature. Il sait que ce n'est ni Zidane, ni Achille qui a gagné la guerre de Troie  mais le rusé Ulysse. Laissons donc Zidane pour le moment, Zidane qui d'ailleurs n'a que treize ans en 1985 et joue dans un petit club, l'US Saint-Henri ou le SO Septèmes-les-Vallons1. Toussaint, en 1985, sait qu'il doit ruser, comme Ulysse, et il fait une feinte.

Cette feinte consiste à produire un décalage humoristique ou ironique, à faire comme s'il était normal de parler foot dans un roman par ailleurs très littéraire, à prendre un ton anormalement sérieux et grave pour un sujet qui n'est pas considéré comme tel. Et le contenu est décalé lui aussi, tout autant que la forme. Le narrateur écoute le football comme s'il s'agissait de musique classique.

Deux fois par semaine, j'écoutais le compte rendu radiophonique du déroulement de la journée de championnat de France de football. L'émission durait deux heures. D'un studio parisien, le présentateur orchestrait les voix des envoyés spéciaux qui suivaient les rencontres dans les différents stades. Étant d'avis que le football gagne à être imaginé, je ne ratais jamais ce rendez-vous. Bercé par de chaudes voix humaines, j'écoutais les reportages la lumière éteinte, parfois les yeux fermés.2 

Un peu plus loin dans le même roman, l'écrivain fait mine de créer une espèce de suspense et met en scène un narrateur apparemment passionné par un match. Mais il termine la scène de façon déceptive, sans nous faire part du résultat final de la rencontre, dont la description est par ailleurs parasitée par les remarques d'Edmondsson, la compagne du narrateur  :

Un soir, je demandai à Edmonsson de dîner un peu plus tôt qu'à l'ordinaire, car à vingt heures trente, en match retour des huitièmes de finale de la Coupe d'Europe des vainqueurs de Coupe, l'Inter de Milan recevait les Glasgow Rangers. Quinze jours plus tôt, en Écosse, les deux équipes avaient fait match nul. Après le repas, Edmondsson m'accompagna dans le salon de l'hôtel, où se trouvait le poste de télévision. Le match commença tout de suite. Les Écossais, groupés en défense, pratiquaient un jeu heurté, taclaient pour nuire. J'étais assis à moins d'un mètre de l'écran. Edmondsson suivait la rencontre derrière moi, à moitié allongée sur un canapé. Elle trouvait que je ressemblais un peu à un des joueurs. Je protestais (c'était un grand rouquin avec des taches de rousseur). Oui un peu, disait-elle, dans la façon de courir. Chut, disais-je ; (parce qu'Edmondsson connaissait ma façon de courir ?). À la mi-temps, l'Inter de Milan menait déjà deux à zéro. Nous remontâmes dans la chambre avant la fin du match.3 

Le spectateur croit sans cesse que Toussaint va tirer, mais il fait des feintes, mine de toucher le ballon, l'évite de justesse, remettant sans cesse à plus tard le tir définitif, fatiguant le gardien en face de lui, à la façon dont, dans son roman L'Appareil-photo (1988), son narrateur fatigue une olive avant de la piquer d'un coup de fourchette décisif. « Mais pour l'heure, j'avais tout mon temps : dans le combat entre toi et la réalité, sois décourageant4» : telle est alors sa devise.

 



1 Authentique.
2 Jean-Philippe Toussaint, La Salle de bain, Paris, Minuit, 1985, p. 13.
bidem, pp. 85-86.
4 Jean-Philippe Toussaint, L'Appareil-photo, Paris, Minuit, 1988, p. 50.

Extension du domaine de la littérature

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On aurait pu croire qu'il ne tirerait jamais. Mais toute feinte a une fin. Jean-Philippe Toussaint frappa la balle vingt-et-un an plus tard, au gré d'un livre de dix-huit pages intitulé La Mélancolie de Zidane (2006).

Entre-temps, la situation a évolué. Zidane est devenu un demi-dieu du stade, le meilleur footballeur français de tous les temps, le plus grand sportif algérien de l'histoire, le vainqueur de la Coupe du monde de 1998 et de la Coupe d'Europe de 2000. En 2006, il est passé non loin de l'exploit en finale d'une nouvelle Coupe du monde, mais - un joueur italien ayant trouvé en sa susceptibilité son talon d'Achille - il est tombé de son trône de façon spectaculaire en assénant à celui-ci un incontrôlable coup de boule. Quant à Jean-Philippe Toussaint, il n'a plus rien du romancier débutant. Il n'est plus obligé de s'appuyer sur Beckett  : il peut compter, déjà, sur une œuvre solide. Après le succès de La Salle de bain et après le semi-échec de Monsieur (1986), il a publié L'Appareil-photo, petit chef-d'œuvre qui marque l'aboutissement de sa première manière ; il a tâté du modernisme avec La Réticence (1991) ; il a développé au plus loin sa veine comique avec La Télévision (1997), le roman le plus drôle de la fin du 20e siècle, et, surtout, il s'est inventé une seconde manière avec Faire l'amour (2002) et Fuir (2005), deux romans graves, solennels et beaux. Il sait qu'il n'est plus obligé de passer par l'humour et que sa nouvelle règle a pour nom poésie. Il n'est plus minimaliste. Il peut tirer, il tire. Et c'est le but.

Car Zidane, sous la plume de Toussaint, en dix-huit petites pages évoquant la finale de la Coupe du monde de 2006, devient un personnage littéraire : le penalty initial, marqué par le joueur français, devient une « citation », le fâcheux coup de boule est un « geste de calligraphie » qualifié de « romanesque ». Mais ce n'est pas tout : Zidane devient aussi, du même coup, un héros typique de Toussaint. Deux citations de La Salle de bain, explicitement insérées dans le texte, s'appliquent en effet au footballeur. Et, la dernière page, en transformant le paradoxe de Zénon en « paradoxe de Zidane », fait allusion, de façon presque subliminale, à une scène de ce même roman où il est question de fléchettes...

De plus, Toussaint n'hésite pas à se montrer lyrique et épique, au gré de phrases somptueusement tracées, immobiles et tournoyantes, qui se permettent d'entrer dans la conscience de Zidane et de lui prêter le sentiment le plus littéraire qui soit : la mélancolie. Le livre s'ouvre ainsi :

Zidane regardait le ciel de Berlin sans penser à rien, un ciel blanc nuancé de nuages gris aux reflets bleutés, un de ces ciels de vent immenses et changeants de la peinture flamande, Zidane regardait le ciel de Berlin au-dessus du stade olympique le soir du 9 juillet 2006, et il éprouvait avec une intensité poignante le sentiment d'être là, simplement là, dans le stade olympique de Berlin, à ce moment précis du temps, le soir de la finale de la Coupe du monde de football. 5

Avec ces répétitions et ces insistances, Toussaint se montre épique, certes, mais il ne se contente pas d'être Homère : il est aussi Stendhal. Car le récit footballistique n'est pas ici répété. L'écriture du match, qui a eu lieu en direct devant des milliers de spectateurs et des millions de téléspectateurs par le truchement des caméras, n'est pas ici réécrite. Nulle littérature secondaire dans ces dix-huit pages. Au contraire, le match est désécrit. Toussaint introduit de la confusion dans la triste linéarité de ce récit déjà rédigé au moment où les événements se sont déroulés. La littérature, qui, en refusant de continuer à rendre les guerres lisibles, s'est rebellée, avec Stendhal, contre le devoir que lui imposait les puissants, se révolte ici contre l'omnipotence de la télévision, contre son penchant à tout transformer en récit clair, direct, toujours déjà interprété. Le narrateur lui-même est égaré : « Personne, dans le stade, n'a compris ce qui s'était passé6. »  Et l'écrivain finit par mettre en doute l'action du match la plus célèbre et la plus médiatique, ce trop fameux coup de boule :

Le geste de Zidane, invisible, incompréhensible, est d'autant plus spectaculaire qu'il n'a pas eu lieu. Il n'a tout simplement pas eu lieu, si l'on s'en tient à l'observation directe des faits dans le stade et à la confiance légitime qu'on peut accorder à nos sens, personne n'a rien vu, ni les spectateurs ni les arbitres. Non seulement le geste de Zidane n'a pas eu lieu, mais quand bien même aurait-il eu lieu, quand bien même Zidane aurait-il eu la folle intention, le désir ou le fantasme, de donner un coup de tête à un de ses adversaires, la tête de Zidane n'aurait jamais dû atteindre son adversaire, car, chaque fois que la tête de Zidane aurait parcouru la moitié du chemin qui la séparait du torse de l'adversaire, il lui en serait encore resté une autre moitié à parcourir, puis une autre moitié, puis une autre moitié encore, et ainsi de suite éternellement, de sorte que la tête de Zidane, progressant toujours vers sa cible mais ne l'atteignant jamais, comme dans un immense ralenti monté en boucle à l'infini, ne pourra pas, jamais, c'est physiquement et mathématiquement impossible (c'est le paradoxe de Zidane, si ce n'est celui de Zénon), entrer en contact avec le torse de l'adversaire - jamais, seule la fugitive pulsion qui a traversé l'esprit de Zidane a été visible aux yeux des téléspectateurs du monde entier.7 

 

Ce qui se joue ici est particulièrement subtil : Toussaint fait référence au paradoxe de la flèche (celle-ci n'atteignant jamais son but puisqu'il lui reste toujours la moitié de la distance à parcourir, si infime soit-elle), mais peut-être aussi nous demande-t-il de songer à l'autre grand paradoxe de Zénon : celui qui est dit « d'Achille et de la tortue », qui veut qu'Achille ne parvienne jamais à rattraper la tortue dont il se rapproche infiniment. Zidane est donc bel et bien Achille. Mais il est aussi et surtout Nicolas Rostov, perdu sur le terrain. Il est aussi et surtout Fabrice del Dongo recevant un carton rouge incompréhensible.

Quoi qu'il en soit, cette fois, pas de doute : contrairement au tir majestueux mais confus de Bégaudeau, le penalty tiré après vingt-et-un ans de ruse par Jean-Philippe Toussaint est marqué au nom de la seule littérature romanesque. Ce but inoubliable s'inscrit au profit d'une véritable extension du domaine de la littérature, à sa gloire et en son honneur.

 

Laurent Demoulin
Mai 2010
 
 
crayon
Laurent Demoulin est docteur en Philosophie et lettres. Ses recherches portent sur le roman contemporain belge et français, ainsi que sur la poésie du 20e siècle.



 
5 Jean-Philippe Toussaint, La Mélancolie de Zidane, Paris, Minuit, 2006, p. 7.
6 Ibidem, p. 14.
7 Ibidem, p. 16-18.


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