Quelques matchs célèbres
La littérature occidentale naît de façon épique et magistrale avec l'un des plus beaux récits de match qui ait jamais été écrit : la rencontre oppose les Achéens aux Troyens. Les premiers espèrent récupérer le titre, que leur ont pris leurs adversaires de façon injuste à leurs yeux. Ils comptent dans leurs rangs un formidable attaquant nommé Achille, capable de dribbler n'importe quel adversaire, malgré une faiblesse proverbiale au talon. Les Troyens sont de formidables défenseurs. Un mur noir semble s'être dressé devant leur but et leur ineffable gardien, Hector, est d'un courage à toute épreuve...
La littérature française s'ouvre sur un match inoubliable entre les Français et les Sarrasins. Charlemagne, l'entraîneur de l'équipe de France, compte surtout sur Roland de Roncevaux, qui attire à lui la ferveur médiatique et la faveur du public, mais qui a tendance à être « personnel », comme on disait dans la cour de récré, et à veiller plus à sa propre gloire qu'aux intérêts sacrés du groupe...
L'une des premières grandes pages de la littérature anglaise a pour cadre le derby véronais entre les Capulet et les Montaigu. Il semblerait que de secrètes ententes entre Roméo, le buteur des Montaigu, et Juliette, le masseur (ou la sœur, on ne sait trop) des Capulet, soient de nature à perturber le bon déroulement de la rencontre...
L'un des pères de la littérature russe s'est attaché à la description du match opposant l'équipe de France, encore elle, au onze russe. Napoléon, l'aigle d'Ajaccio, contre Koutouzov, qui n'a pas son pareil pour mettre l'adversaire hors-jeu par une prompte retraite. Mais, comme dans le film de Douglas Gordon et Philippe Parreno sur Zidane, dont parle ici avec verve l'ami François Provenzano, le romancier s'est parfois attaché aux pas d'un seul personnage perdu sur le terrain et ne comprenant pas l'ensemble de la manœuvre : malgré ses rêves de gloire, Nicolas Rostov ne sait même pas où est le ballon...
Étrangement, les débuts de la littérature italienne n'ont rien à voir avec le football : il y est question d'enfer, de purgatoire et de paradis. Mais si l'on considère que l'Italie a d'abord été romaine, il ne faut pas oublier le chef d'œuvre latin de César : La Guerre des... Gaules.
La bonne question
Qu'est-ce que la Coupe du Monde de Football nous apprend sur L'Iliade ?
Au moins trois choses. D'abord, Homère aurait pu se passer de dieux et des déesses, spectateurs intrusifs dont les interventions s'avèrent gênantes pour les lecteurs modernes. Le Mundial les remplace avantageusement par les caméras, ces divinités discrètes, invisibles, mais terriblement efficaces, assurant un contact beaucoup plus direct (c'est le cas de le dire) avec les mortels.
Ensuite, Homère s'est trompé sur la longévité des guerriers dominants. Le sport en général, le foot en particulier, prouve qu'il faut être jeune pour être le plus fort et que l'on ne le demeure pas longtemps. Quels sont les rares guerriers à avoir participé à trois coupes du monde ? Et pourtant Achille, après dix ans de guerre harassante, est toujours invaincu. Il demeure au sommet de la hiérarchie sportive de son temps durant une période tout à fait invraisemblable.
Enfin, Homère surestime le rôle des héros dans la victoire d'un camp ou de l'autre. La stratégie d'ensemble n'est pas assez prise en compte, comme si Zidane seul avait pu remporter la coupe du monde à la tête d'une équipe de Myrmidons unijambistes.
La littérature épique croit aux héros, à l'essence héroïque, plus encore que la presse sportive. Or, si l'on faisait taire cette presse, qui est volontiers épique elle-même, et aime parler de « talents », l'on verrait que le sport, comme l'art ou la science, est hélas ! d'abord affaire de travail acharné, d'entraînements intensifs, de gestes mille fois répétés... quand il ne s'agit pas de chimie : les grands sportifs d'aujourd'hui sont peut-être simplement ceux qui résistent mieux que les autres aux effets secondaires des médicaments.
À ce propos, il faut noter que les produits stupéfiants sont licites dans L'Iliade : Achille, trempé par sa mère dans le fleuve qui le rend invincible, n'est-il pas le plus grand dopé de toute la glorieuse histoire du sport ?
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