Les sportifs de haut niveau bénéficient aujourd'hui d'un encadrement pluridisciplinaire. Une série de tests et d'évaluations qui permettent de prévenir des blessures graves, mais également d'améliorer les performances. Jean-Louis Croisier, lui, est spécialisé dans l'isocinétisme, et étudie les performances et éventuels déséquilibres musculaires. Ayant développé au fil des années une grande expertise et une belle reconnaissance, son département traite aujourd'hui avec de grands clubs de football, comme le Standard de Liège, Lille et Lyon, mais aussi Barcelone, ainsi qu'avec plusieurs athlètes de renommée internationale.
Les blessures à répétition, les tendinites, les arrêts de carrière prématurés, toute une série d'accidents qui affectent la vie des sportifs de haut niveau et qui prennent aujourd'hui une dimension importante dans l'opinion public. L'un des reflets témoignant de cette évolution est la mise en place et l'évolution de toute une série d'expertises autour du sportif. Un Rocky déchu se remettant à niveau avec son seul entraîneur au rythme d'une musique endiablée semble donc bien être l'image d'une époque préhistorique.
Jean-Louis Croisier, président du département des sciences de la motricité de la faculté de médecine de l'ULg, souligne cette évolution. « Avant, il n'y avait que le sportif et son entraîneur, tous deux évoluant à la quête de la performance. Aujourd'hui, dans la culture du sport s'est développée en parallèle de cette recherche de performance une culture de la prévention lésionnelle. Autour du binôme sportif-entraîneur s'est créé un nuage de plusieurs composantes d'évaluations et d'aides. Elles sont physiologiques, psychologiques, nutritives, touchent à la préparation ou à l'isocinétisme, par exemple. » Bien sûr, toutes ces mesures visent à minimiser le risque de blessure du sportif. Et ces recherches sont avant tout mues par une logique de la prévention. « Mais tous ces tests autour de ce binôme contribuent aussi quelque part à améliorer la performance du sportif. Les informations récoltées permettent à l'entraîneur d'être plus efficace, de faire de meilleurs choix dans la planification et le contenu des entraînements. Ces tests sont donc réalisés dans leurs intérêts et, quand ils sont pris en compte, renforcent leur compétence et leur pouvoir. Certains entraîneurs en ont encore peur et se renferment dans une bulle avec leurs sportifs. Ils pensent être omniscients, tout savoir. Il est fréquent d'observer que les personnes ouvertes aux collaborations ont de meilleurs résultats. » L'avenir du sport de haut niveau ressemblerait donc à ce schéma d'un binôme entouré de satellites scientifiques. Mais il y a encore un travail d'éducation à une culture de l'encadrement pluridisciplinaire.
Passionné de sport, le kinésithérapeute Jean-Louis Croisier s'est spécialisé dans l'isocinétisme, l'un de ces nuages gravitant autour du binôme. Derrière ce mot barbare se cache un dynamomètre autorisant des mouvements articulaires à vitesse constante. Cette machine aux allures d'engin de musculation permet d'effectuer des mesures précises de performance musculaire d'une part, et de la rééducation d'autre part. « Ce qui fait son originalité est que la résistance offerte au mouvement s'adapte instantanément à ce qu'arrive à produire le sportif, en fonction du groupe musculaire sollicité et des spécificités de la physiologie musculaire » explique Jean-Louis Croisier. Outre la rééducation et le renforcement musculaire, l'isocinétisme a une autre particularité particulièrement intéressante pour le sportif. « Aujourd'hui, on peut détecter au sein d'un groupe de joueurs de football ceux qui ont un risque de déchirure des muscles ischio-jambiers plus élevé. En début de saison, nous évaluons l'effectif complet d'une équipe et nous identifions ceux qui ont un risque significatif de blessure. En marge de cette évaluation, et suite à de nombreuses recherches scientifiques, on propose l'application de programmes permettant de normaliser le profil musculaire, ce qui réduit significativement le risque de lésion. »1
La pointe du savoir en 3D
Derrière la prouesse technique, il y a une évolution de la manière de penser le sport. Au cours de sa carrière, le kinésithérapeute a très vite croisé le chemin de sportifs professionnels. « Au départ, nous les voyions quand ils étaient blessés. Ils réalisaient des tests et on leur prodiguait des soins à ce moment-là. De fil en aiguille, nous avons envisagé l'idée d'essayer d'anticiper la blessure. Une dimension préventive s'est donc petit à petit imposée dans notre démarche. » Un bouleversement fondamental dans la manière de penser l'encadrement médical des sportifs, qui depuis, n'a de cesse de se renforcer à travers une érudition et un arsenal technologique de plus en plus impressionnant.
« Je me souviens d'un sprinter belge qui avait des soucis musculaires, sous la forme de blessures à répétition. Il nous décrivait également des anomalies dans sa technique de course, se désole Jean-Louis Croisier. On a supposé qu'il pouvait y avoir un lien entre anomalies musculaires, blessures et perturbations du geste sportif. Objectivement, grâce à l'isocinétisme, nous pouvions observer les anomalies de force, mais pas les anomalies de geste car on n'avait rien pour analyser les mouvements. On a pu, par une rééducation adaptée, corriger le déséquilibre musculaire du coureur, mais nous n'avons pas pu apprécier, évaluer sa technique de course avant et après la guérison. » Une limite qui ne sera bientôt plus que du passé. Avec l'aide de la Communauté française et de l'ULg, le Département des Sciences de la Motricité développe en partenariat avec la Faculté des Sciences Appliquées un Laboratoire d'Analyse du Mouvement Humain (LAHM), qui verra le jour au Sart Tilman dans les prochains mois. Ce fleuron de la technologie permettra d'analyser le mouvement en 3D, ce qui apparaît très innovant. Grâce à un système de capteurs-émetteurs, de caméras... il sera possible d'enregistrer un geste sportif et de le modéliser avant de pouvoir l'analyser en détail. Ce laboratoire permettra de mieux comprendre la gestuelle sportive et d'éventuelles plaintes douloureuses, par exemple au niveau des épaules (fréquentes chez les joueurs de tennis) ou aux ischio-jambiers (pour les footballeurs et sprinters). Il permettra donc aux chercheurs de l'ULg d'être plus efficaces dans le traitement individuel des sportifs. « Par exemple, on sait que certaines lésions proviennent de gestes devenus anormaux chez les athlètes de haut niveau. La recherche de la performance passe souvent par l'apparition d'un geste qui devient hors norme, que ce soit dans l'amplitude du mouvement ou par les composantes de force générée. Le mouvement, hyper-sollicitant et hyper-répétitif, finit par créer des lésions. » Le LAMH contribuera à identifier ces gestes anormaux et, par une collaboration étroite entre scientifiques et entraineurs, permettra d'envisager une adaptation du geste tout en tenant compte du fragile équilibre résultant des volontés de prévention d'une part, et de la performance recherchée par l'entraineur d'autre part.
Consulter l'article d'Audrey Binet sur le site Reflexions : Football et isocinétisme, une équipe gagnante
Philippe Lecrenier
Mai 2010
Philippe Lecrenier est journaliste, diplômé de l'ULg en information et communication à finalité presse écrite et audiovisuelle.
1 Ces connaissances ont fait l'objet d'une publication dans la très prestigieuse revue American Journal of Sports Medicine. Jean-Louis Croisier, Sebastien Ganteaume, Johnny Binet, Marc Genty, Jean-Marcel Ferret, « Strength Imbalances and Prevention of Hamstring Injury in Professional Soccer Players: A Prospective Study », in American Journal of Sports Medicine, 2008, 36, 1469-75.