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Exposition « One shot » : Un tour du monde en ballon rond...

26 mai 2010
Exposition « One shot » : Un tour du monde en ballon rond...

foot

Depuis son ouverture en mars dernier, l'exposition « One Shot » ne cesse de faire parler d'elle. Tenue au B.P.S 22, espace de création contemporaine de la province du Hainaut (Charleroi, Belgique), elle permet la rencontre de deux mondes antonymes. L'intrigante alliance des univers du football et de l'art contemporain suscite bon nombre d'interrogations tant chez les amateurs du sport populaire que chez les passionnés de haute culture... Étonnement légitime face à ces deux mondes que tout semble opposer. Pourtant, une quarantaine d'artistes du monde entier parmi lesquels sculpteurs, peintres, photographes, dessinateurs... relèvent le défi ! Représentés dans l'exposition, ils tentent, à leur manière, de transmettre l'univers du football au travers d'œuvres étonnantes...

Hurlements, insultes, chants de supporters... dès son entrée dans l'exposition, le visiteur se retrouve plongé dans l'ambiance d'un match. Effervescence, passion, fièvre du sport... il peut commencer sa visite, qui risque d'être unique en son genre.    

Bien que le football soit reconnu comme le sport le plus populaire au monde, il n'en reste pas moins vrai qu'on l'associe souvent à des stéréotypes péjoratifs : reflet de violences parfois féroces entre supporters, mais aussi souvent témoin de comportements à caractère raciste et haineux envers le camp adverse ou les joueurs... Vécu comme une véritable socialisation de la guerre, ce sport ne pourrait, dès lors, se retrouver associé aux arts, temple des  sens, des émotions et de l'intellect.


Point de vue que Pierre-Olivier Rollin, directeur du B.P.S 22, ne partage pas : « Le football est bien plus qu'un sport, il brasse des enjeux bien plus importants. Il représente une sorte de condensé métaphorique sur le monde. Ce projet est, surtout, l'occasion d'accroître la citoyenneté critique. Les visiteurs ne viennent pas seulement pour vivre un moment d'émotion ou d'esthétique intense, mais davantage pour acquérir et nourrir un questionnement critique sur le monde contemporain. Dans les années 1970, l'objectif était de former des « CRAC », des Citoyens Responsables Actifs et Critiques... Toute notre programmation a donc été conçue selon ce principe. » 

Le projet du B.P.S 22 approche, donc, le football d'une manière particulière. Parmi les nombreuses facettes abordées, on retrouve le politique, les enjeux financiers, la culture populaire, le sexisme ou encore la religion...  « Chaque pièce peut être comprise comme une métaphore d'une problématique mondiale : l'exploitation du tiers monde, les rituels collectifs, la guerre, les territoires, le genre... » ajoute P.-O. Rollin.

Un instrument politique

geers2

Comme l'atteste Kendell Geers avec ses Dirty Balls (2002-2006), le football et le politique entretiennent depuis longtemps des rapports étroits. Pas de ressemblance frappante entre les deux activités, mais le politique et ses aspirants profitent, bien souvent, de l'impact du football sur les masses, pour servir leurs propres causes. De nombreux hommes politiques se retrouvent dans les tribunes de matchs importants non loin des périodes d'élection. Procédé efficace pour s'attirer la sympathie de l'opinion publique.

L'œuvre de Geers se compose, donc, d'un filet de goal suspendu au plafond du B.P.S 22, dans lequel se trouvent des ballons de football recouverts de masques caricaturaux d'hommes politiques très connus comme Silvio Berlusconi, Jacques Chirac ou encore Bernard Tapie...

 


Une machine économique

psjm

Ludique ou pas, le sport du ballon rond n'échappe pas aux principes du monde capitaliste. Sponsors, matériel sportif confectionné par des ouvriers en échange d'un salaire misérable ou encore transferts et salaires exorbitants des joueurs professionnels, les idéaux de profit se nichent dans chaque recoin du sport populaire.

En associant des enseignes de grandes marques avec un slogan percutant « Fait par des esclaves pour des gens libres », PSJM tente de témoigner du détournement des valeurs du sport, à présent régies par des enjeux financiers.

 

 


Symbole machiste

contreras

Dans un monde où les inégalités entre hommes et femmes sont encore trop présentes, le football ne déroge pas aux préjugés machistes. Depuis sa création, cet univers se développe, bien souvent, au travers de codes sexistes.

Pour Freddy Contreras, des paires de chaussures à talons aiguilles rouges agrémentées de crampons et disposées sur des crochets de vestiaire, permettent de témoigner des liens existant entre mode et football. En effet, certains joueurs sont régulièrement sollicités pour devenir les effigies de grandes marques. De plus, les codes du monde footballistique se retrouvent chamboulés par l'arrivée de ce symbole féminin par excellence.



 

Kendell Geers, Dirty Balls, 2002-2006 - Installation (masques en latex, ballons de foot, filet), dimensions variables - Courtesy: Galleria Continua, San Gimignano (IT) / Beijing (CN) / Le Moulin (FR)  © Lydie Nesvadba

PSJM, Proyecto Asia, 2008 (detail) Installation de quatre caissons lumineux, vinyle, 45 cm (diam.) chacun.  Courtesy: Espacio Liquido Gallery, Gijon (ES). © Leslie Artamonow

Freddy Contreras,Stud XI, 1996. Mixed media (installation de 11 paires de chaussures équipées de crampons), 250 x 500 x 45 cm.
© Leslie Artamonow
 
 

Panini collector

Et pour rester dans l'ambiance foot jusqu'au bout, le catalogue de l'exposition, reprenant les photographies des œuvres présentées, a été imaginé en hommage aux albums « Panini ». Une présentation originale qui permettra au visiteur de retrouver ses souvenirs d'enfance en disposant les œuvres de l'exposition, reproduites sur vignettes autocollantes, dans son album. 

 

Arbitrage artistique

everaert

Parmi les pièces exposées, une œuvre sans titre de Patrick Everaert spécialement conçue pour l'exposition. La photographie, représentant un banc de touche, témoigne de la passivité et de la solitude ressenties par certains joueurs, n'ayant pas la chance de fouler le terrain...

Le football n'étant pas son centre d'intérêt premier, il n'aurait jamais imaginé travailler sur ce sujet. « Je n'ai pas du tout l'habitude de travailler sur commande ni sur des thèmes précis. C'était donc un exercice un peu hors norme pour moi. C'était intéressant parce que cela m'a permis d'explorer un champ que je n'aurais probablement jamais abordé si je n'y avais pas été invité ! »

« One Shot » rime avec réussite pour l'artiste qui reconnaît la difficulté de mettre en place ce genre de thématique. Loin de tomber dans l'insignifiant et l'anodin, l'exposition se veut innovante et permet, selon lui, d'amplifier certains phénomènes latents de notre société.

Que ces problématiques se reflètent dans le sport ou dans l'art importe peu à Everaert, pour qui la frontière entre culture de masse et  haute culture ne devrait pas exister. « Si l'art ne servait pas l'ensemble de la société, il serait un exercice vain. Selon moi, l'art aussi bien que le sport sont deux moyens d'expression, touchant malheureusement deux publics différents, mais ayant chacun une validité propre. »

L'intérêt de l'exposition, en plus de sa grande diversité, serait donc de rassembler des publics différents autour d'un questionnement critique sur le monde. « Chacune de mes œuvres possède des niveaux de lectures différents pour que chaque personne, quel que soit son bagage, puisse faire son propre parcours face à l'image. » Certains l'appréhenderont donc de manière purement instinctive et sensorielle, alors que d'autres l'investiront avec des outils sémiologiques, philosophiques... Pourtant, il n'existe pas de hiérarchie entre ces deux styles d'interprétation selon Everaert. «  Une œuvre d'art réussie est une image qui a beaucoup à offrir mais qui n'apporte pas toutes les réponses, de manière à ce qu'on ait envie de la réinterroger souvent... « One Shot » réussit ce défi ! »  

Autre artiste, autre point de vue. Jean-Pierre Ransonnet, auteur d'une toile intitulée Insultes, s'exprime quant à l'association football - art contemporain. « Je ne crois pas qu'on puisse transmettre le goût du football grâce à l'art. Quoique le foot, à un certain niveau, peut devenir de l'art. Mais ce sont deux mondes totalement différents avec leurs codes respectifs. Il ne faut pas, pour autant, glorifier l'art par rapport au sport. Il y a du grand sport, du grand art et du bête sport comme du bête art, mais l'un ne va pas tellement avec l'autre... »

ransonnet

Pourquoi avoir, dès lors, choisi de travailler sur ce sujet qui ne semble pas l'inspirer à première vue  ? L'affectif et les souvenirs de jeunesse occupent une place importante dans le travail de l'artiste. Le thème des Ardennes, où il est né, revient d'ailleurs régulièrement au fil de ses œuvres. Ayant joué au football dans les années 1960, friand de l'ambiance qui s'en dégageait, il commence à élaborer une série de dessins humoristiques sur le sujet. « C'était les bas trop longs, les shorts trop courts, mal lavés, les terrains, les ballons trop gros, les noms des joueurs... »

Dans cette série, il réalise Insultes en 1975. « J'ai dessiné un bête terrain au pinceau comme si c'était un graphisme et j'y ai marqué, de manière spontanée, ce que les joueurs disent et entendent sur le terrain. » Boubiet, cougnet, crotte et bien d'autres termes sont immortalisés sur sa toile dans un camaïeu de rose...

Quant au prisme des problématiques contemporaines que représenterait le football, Ransonnet s'y accorde en partie. «  On y retrouve les problèmes de violence, de racisme, d'homophobie... C'est comme dans notre société mais en pire. Jusqu'à présent, on n'a quand même pas des bagarres dans toutes les rues, des caméras partout, mais il est vrai que ces sportifs sont des bêtes à fric, ils sont le support de publicités. C'est la pub, la télévision, toutes ces choses-là qui sont derrière ».

Le football, reflet de notre société ? Sûrement en partie, mais apparemment pas toujours dans le bon sens...

          

Mary Ceriolo
Mai 2010

crayon

Mary Ceriolo est étudiante en 2e année de master information & communication, finalité spécialisée  en journalisme.

 


 

EXPO « ONE SHOT », du 6/03 au 11/07/10
BPS 22
22, Boulevard Solvay
6000 CHARLEROI
TEL : 071/27.29.71
http://bps22.hainaut.be


 

Patrick Everaert, Sans titre, 2010 -Tirage photographique unique collé sur Dibond, 115 x 147 cm - Courtesy: Meessen De Clercq, Bruxelles (BE) - Production B.P.S.22 / B.P.S.22 production
 
Jean-Pierre Ransonnet, Insultes, 1975.Ecriture sur papier (gouache), deux fois 100 x 70 cm. © DGACH Marie-France Desainte

 

 
 

 


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