Les fourmis du foot

Dans une enquête réalisée très récemment, nous avons mis en évidence que l'altruisme passait en première position (score moyen de 3,5/4 dans une échelle de Lickert en quatre niveaux, de « très important » à « pas important du tout  »), devant la passion pour le football (3,0/4). Il est par ailleurs intéressant de noter que l'item « Apports divers » est celui qui est le moins bien considéré (1,6/4). À l'heure où le bénévolat semble en perte de vitesse, il est possible que ce type de réponse soit lié à un biais de désirabilité sociale, même si l'enquête était anonyme. Dans un sport où l'argent tient manifestement une place déterminante, les bénévoles chercheraient ainsi à mettre en exergue le rôle de contre-pouvoir de leur fonction face aux intérêts marchands, défendant le retour d'une forme de civilité ou tentant de s'élever au rang de caution morale (Walter, 2000).

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Cet auteur a d'ailleurs mis en évidence que les idéaux, les motifs de l'implication et l'ampleur de l'engagement de ces personnes divergent selon les caractéristiques de l'association (gestion entrepreneuriale vs bénévole ; pratique compétitive vs loisir) ou la position/responsabilité de l'individu au sein de la structure (centrale vs périphérique). Dans les associations « managériales » axées sur la compétition (p.ex. : un club de haut niveau), le bénévolat doit répondre à des exigences de « compétence » ; cela implique que peu d'entre eux se retrouvent à un poste clé alors que les spécialistes dominent. Lorsque l'on considère les associations « managériales » axées sur le loisir (p. ex. : un club de golf), c'est la qualité des prestations offertes qui prévaut ; les bénévoles y sont « utilisés » pour mettre en scène un esprit « club » (et faire oublier les finalités marchandes) ; ils sont légitimés s'ils travaillent pour le « bien de l'association ». Les associations « non marchandes » axées sur la compétition (p. ex. : un « petit » club) prônent généralement des valeurs instituant le sport en école de vie et la compétition comme un moyen de former le caractère ; elles choisissent le plus souvent de limiter les investissements financiers en axant leur activité sur une formation sociale des jeunes, accessible à tous et reposant sur la participation de bénévoles raisonnables et pédagogues. Dans le cas des associations « non marchandes » axées sur le loisir (p. ex. : un « club » donnant la priorité à des activités sociales), le bénévolat est considéré comme le garant d'un esprit familial et convivial  ; des valeurs telles que solidarité, don de soi et amitié sont mises en exergue ; le dénominateur commun consiste souvent à rejeter les formes compétitives traditionnelles au bénéfice d'un rapport plus sain au corps.

Au cours des 40 dernières années, le sport a été touché par différents phénomènes qui ont transformé les pratiques. Maux qui touchent la société dans son ensemble, l'individualisme et le mercantilisme ont ainsi gagné progressivement les structures sportives.  Le public des clubs sportifs s'est ainsi transformé et se caractérise de plus en plus par la présence des « homo zappiens » (Veen & Vracklung, 2006). De plus en plus, les adhérents deviennent des consommateurs, soucieux de tirer profit de leur activité et exigeant toujours davantage de confort personnel. Dans ce contexte, les bénévoles font de la résistance mais ils doivent faire preuve d'un solide idéal. En février de cette année, Le Soir proposait un article sur les bénévoles qui soulignait leur rôle fondamental et les conditions parfois difficiles auxquelles ils doivent faire face. Il s'intitulait : « Seule la passion nous permet de tenir le coup ».

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Dans le cadre de formations des responsables sportifs (Association Interfédérale du Sport Francophone) organisées à Bruxelles, Charleroi, Liège, Louvain-la-Neuve, Mons, Mouscron, Namur et  Pepinster entre 2002 et 2005, nous avons rencontré huit groupes de 25 à 35 dirigeants de clubs (toutes disciplines confondues). En utilisant la technique du groupe nominal, nous avons fait ressortir les difficultés qu'ils rencontraient au sein de leurs associations. Quatre thèmes en rapport avec les bénévoles se sont dégagés. De loin, le manque de bénévoles est apparu comme une préoccupation importante, comme en témoigne son identification dans 7 des 8 groupes. Trois autres thèmes ont également été régulièrement cités : le besoin de remise en question des responsables (4/8) ;  le manque de respect à l'égard de ces derniers ou l'attitude « Yakas » (3/8) et les motivations personnelles des bénévoles (3/8). Il semble donc opportun de poursuivre les recherches dans la perspective de comprendre et tenir compte de la diversité de leur statut et des contextes dans lesquels ils évoluent, d'une part, de les impliquer dans le développement de stratégies susceptibles de garantir la pérennité de leur action en respectant l'idéal qui les anime, d'autre part. Dans l'enquête que nous venons de réaliser, plusieurs témoignages soulignent le désarroi dans lequel se trouvent certains « comitards ». L'un d'entre eux proposait ainsi le commentaire suivant : « Le bénévolat se meurt ; les jeunes n'en veulent plus ; les vieux en ont marre de bosser pour des jeunes qui n'ont aucun respect du travail des bénévoles » (Bén. # 62). Cette opinion trouve une confirmation dans l'âge moyen des bénévoles appartenant à cet échantillon (52,2 ans), le plus jeune ayant 28 ans. Un autre déclarait : « C'est une fonction qui tend à disparaître. Elle suppose des valeurs de travail d'abord, de gratuité ensuite, d'altruisme, de communication, qui sont des valeurs en perte de vitesse » (Bén. #106). Il faut se souvenir qu'en moyenne, les bénévoles consacrent 444 heures par an à leur passion. On peut comprendre que ceci exige un minimum de respect de la part de ceux qui bénéficient de ce travail.

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