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Modélisation 3D des constructions d'Akhénaton

25 April 2010
Modélisation 3D des constructions d'Akhénaton

ATON-3D : Étude de la politique architecturale du règne d'Amenhotep IV à l'aide de la modélisation tridimensionnelle

Un vaste projet de recherche interdisciplinaire et international a été mis en œuvre en 2009 sous l'égide de l'Agence Nationale de la Recherche (ANR-08-BLAN-0202-01) ; intitulé ATON-3D, il vise à étudier la politique architecturale d'Amenhotep IV- Akhénaton, tant à Karnak qu'à Amarna, grâce à la modélisation numérique en trois dimensions des structures édifiées selon les directives du roi. Il constitue l'amorce d'un programme de grande envergure au sujet des constructions d'Akhénaton, basé sur l'ensemble des sources documentaires disponibles pour cette étude et sur la restitution systématique par la voie informatique des espaces bâtis.

L'originalité exceptionnelle du règne d'Amenhotep IV-Akhénaton au sein des dernières années de la XVIIIe dynastie réside dans l'élaboration d'un programme architectural innovant, rompant avec plus de 1500 ans de traditions, mis en place pour impulser et soutenir la première révolution politico-religieuse connue de l'histoire de l'humanité. Elle se caractérise par des inventions technologiques comme la construction de murs en briques de pierre (les talatats) et des innovations fonctionnelles comme la suppression des toitures dans les sanctuaires des temples, le tout ouvrant sur un urbanisme original dont les extensions à l'est du temple de Karnak et surtout la ville nouvelle d'Amarna sont les plus beaux témoignages.

Sur le site d'Amarna, l'architecture nouvelle joue un rôle prépondérant dans l'application concrète des réformes. Mieux comprendre l'action politique du roi et de son entourage passe impérativement par une analyse de son projet d'urbanisme. Et pour mieux appréhender le fonctionnement du tissu urbain constitué par ces édifices, il est indispensable de les restituer au plus proche de ce qu'ils ont été, et ceci avec la plus grande rigueur scientifique.

Paradoxalement, bien que les constructions monumentales du règne, démantelées bloc par bloc à la mort du pharaon et que nous cherchons à restituer, soient l'un des vecteurs les plus tangibles pour une approche historique, elles n'ont pas fait l'objet d'études systématiques, et jamais il n'a été tenté de mettre méthodiquement en rapport le projet architectural avec les données épigraphiques, archéologiques et iconographiques. Deux freins importants ont pénalisé cette recherche : d'une part, la difficulté de manipulation d'une documentation aussi importante et d'autre part le retard pris sur l'analyse de l'image antique comme source d'information pour la restitution des espaces bâtis aujourd'hui disparus. En effet, les informations tridimensionnelles contenues dans les représentations iconographiques ont toujours été suspectées d'approximations. Bien au contraire, l'apport exceptionnel de ces sources documentaires pour la connaissance du bâti a pu être mis en évidence grâce aux travaux que nous menons depuis plus d'une quinzaine d'années dans ce domaine au sein de la Plate-Forme Technologique 3D (PFT3D) de l'Institut Ausonius.

Les sources documentaires

Les données nécessaires au projet appartiennent à l'une de ces trois catégories :

- Les données épigraphiques du règne d'Akhénaton

  • Attestations des noms des édifices
  • Attestations textuelles d'existence de bâtiments
  • Attestations textuelles d'événements liés à des bâtiments
- Les données iconographiques sur la représentation d'édifices

  • Scènes des tombes thébaines et amarniennes
  • Pierres isolées (talatats) déjà publiées
  • Scènes issues des parois de talatats déjà assemblées, ou publiées
  • Scènes issues d'objets et fragments divers conservés dans les musées

- Les éléments d'architecture (épars et in situ), classés par sites archéologiques

  • Blocs divers architecturés
  • Blocs provenant de la statuaire monumentale
  • Plans, relevés de structures en place.

Les scènes des tombes amarniennes constituent une documentation exceptionnelle puisque parfaitement contemporaines de la ville dont les vestiges sont encore visibles au sol. Le projet s'attache à mettre en évidence l'importance que revêtent ces données iconographiques. Étant donné que les constructions de Karnak sont des réalisations prototypes de celles qui seront élevées à Amarna, il existe une grande complémentarité entre les pierres bien conservées et issues des premières réalisations du règne à Thèbes (mais sans ancrage archéologique) et les vestiges d'Amarna dont nous ne possédons que très peu de pierres provenant des murs, mais qui fournissent en revanche des informations métriques très précises sur les plans des édifices. Ces données sont exceptionnelles par la quantité d'informations cohérentes qu'elles livrent pour guider le travail de restitution tridimensionnelle. Ipso facto, la confrontation de l'ensemble de cette documentation est pertinente sur le plan de la méthodologie.

La construction pharaonique en général est renforcée par de la statuaire monumentale. Les constructions du règne d'Amenhotep IV n'échappent pas à la règle. Par chance, bien que détruites lors du règne d'Horemheb, une série de sculptures monumentales nous sont parvenues à l'état fragmentaire. Grâce à l'aimable autorisation de Guillemette Andreu, directrice du département des antiquités égyptiennes du Musée du Louvre et l'aide de Christophe Barbotin, conservateur en chef dans ce même département, nous avons déjà entrepris l'exploitation de ces vestiges en effectuant une numérisation par scanner laser 3D d'un buste royal retrouvé dans la grande cour à l'est du temple d'Amon de Karnak (Louvre E27112).

Le fichier 3D qui en résulte constitue l'un des éléments importants pour la restitution de la statuaire du règne :

fig1 scan buste akhenaton

Fig. 1 : Fichier numérique 3D obtenu par scanner laser à partir du buste d'Amenhotep IV conservé au Musée du Louvre

Un travail de restauration virtuelle a déjà été entrepris afin de réinsérer ces éléments d'architecture dans leur contexte :

 fig2 akhenaton 3colosses3D

Fig.2 : Restauration virtuelle en cours des colosses d'Amenhoptep IV

Méthodologie de la mise en œuvre des restitutions en 3D

Par restitution nous entendons bien entendu l'acte scientifique de restituer, à une époque ou date précises, des structures antiques disparues ou dégradées, et non pas le fait de transposer en numérique des édifices encore existants du patrimoine.

Afin de poser les bases scientifiques et méthodologiques d'une restitution des créations architecturales du règne, il est nécessaire de rassembler et d'administrer la documentation indispensable à la conduite de ce projet.

Mise en place d'un modèle préparatoire

La difficulté de mise en œuvre d'un tel projet pluridisciplinaire réside d'une part dans la façon de faire dialoguer entre eux tous les spécialistes et d'autre part d'arriver à engranger les avancées significatives en termes de validation des restitutions des espaces disparus. C'est précisément ici que le modèle numérique 3D revêt toute son importance. En effet, tant qu'un tel modèle n'est pas visualisable, le dialogue entre spécialistes est délicat, chacun des scientifiques ayant sa propre vision des volumes. Dès qu'une première ébauche tridimensionnelle est élaborée, il devient alors possible à deux chercheurs de champs disciplinaires distincts de dialoguer entre eux sur la restitution de volumes disparus. Une argumentation peut se mettre en place de façon précise, chacun activant ses connaissances propres face aux détails de la restitution 3D visible par tous. La toute première étape des projets scientifiques de restitution que nous encadrons techniquement est l'élaboration incontournable de cette première ébauche 3D des édifices étudiés en tenant compte des éventuelles hypothèses antérieures si elles existent.

fig3 amarna general01

 Fig. 3 : Première approche préparatoire du centre de la ville d'Amarna

Les modèles à cette étape ne sont certes pas encore validés scientifiquement, mais nous venons de montrer qu'ils sont indispensables pour la mise en place d'un dialogue entre tous les partenaires scientifiques.

Organisation de la documentation nécessaire au travail de restitution en 3D

C'est parallèlement à cette première réalisation que nous constituons la base documentaire de l'ensemble des sources qui seront nécessaires à l'opération de restitution.

Pour le projet ATON-3D, ce sont les trois corpus documentaires évoqués plus haut qui sont élaborés. Ils sont complétés par les données suivantes :

- Hypothèses antérieures de restitution (maquettes physiques, dessins, modèles numériques)

- Documents complémentaires (parallèles documentaires issus d'édifices d'autres règnes).

Nous avons mis au point ArchéoGRiD, un système spécifique de traitement de ces données, dont l'interface se présente comme une table lumineuse virtuelle, et utilise une structure particulière faite d'« unicos » et d'« unitexte », fragments d'image ou de texte permettant la manipulation de leurs contenus sémantiques.

fig4 sanctuaire aton

Fig. 4 : Entrée du sanctuaire du grand temple d'Aton (travail en cours)

Évolution des modèles 3D par approximations successives

Des séminaires sont organisés dans le but de faire évoluer la connaissance et les hypothèses de restitution et d'actualiser le modèle numérique 3D en fonction des discussions.

La nomenclature 3D

Des liens hypertextes sont introduits dans les constituants du modèle numérique 3D pour informer de la nature, du nombre et de la qualité des sources (épars, iconographies, plans, in-situ, etc) qui ont été interprétées pour aboutir à la restitution. Ils reposent sur le concept de nomenclature 3D, système ouvert et évolutif, qui a pour but de permettre l'identification et le repérage de tous les composants architecturaux, du plus grand des pylônes à la plus modeste des bases de colonne. C'est-à-dire que pour l'ensemble des espaces, structures et édifices du règne, nous avons défini un vocabulaire décrivant la hiérarchie « volumique » qui reflète ce qui subsiste aujourd'hui sur le terrain et ce qui n'est qu'hypothèse et interprétation de l'iconographie. Cette nomenclature constitue l'arête dorsale du projet. À partir d'un élément quelconque du modèle numérique, il devient alors possible d'interroger les corpus documentaires associés.

Cette méthode conduira progressivement à la construction de modèles numériques conformes aux hypothèses scientifiques actuelles, mais destinés à évoluer en fonction de nouvelles avancées de la recherche. Corrélativement, ils sont d'un niveau suffisant pour servir de support à la communication scientifique ainsi qu'à la communication vers le public au titre de la valorisation des programmes de recherche.

fig5 
Q46-1

Fig.5 : Amarna - Maison du directeur du bétail d'Aton  Q46-1 (travail en cours)

Bien évidemment, les modèles 3D sont développés de telle sorte qu'ils puissent être indépendants des logiciels utilisés garantissant ainsi leur pérennité.

Résultats attendus

Les principales retombées scientifiques, outre les publications du groupe de travail, consisteront en l'ouverture de nouvelles voies de recherches sur les programmes architecturaux d'Amenhotep IV s'accompagnant d'une prise en compte renouvelée des données iconographiques du règne. Sur le plan méthodologique, nous espérons également renforcer la légitimité de l'usage des technologies avancées (modélisation 3D, réalité virtuelle) appliquées à l'archéologie, démontrant que ces méthodes, loin d'être de simples moyens d'illustration, constituent de véritables enjeux pour la gestion et la maîtrise des données scientifiques et autorisent la manipulation d'une documentation hétérogène et complexe. Ces techniques ont déjà fait leurs preuves dans le monde industriel et notre programme tend à leur donner leurs lettres de noblesse en tant qu'outil d'aide à la décision pour la recherche archéologique.

Le programme ATON-3D fera l'objet d'une présentation dans l'Odéon de Réalité Virtuelle de l'Archéopôle d'Aquitaine à l'automne 2011, lors d'une exposition consacrée au règne d'Amenhotep IV-Akhénaton.

Après export de leur géométrie structurée vers un format consultable sur le web, les modèles 3D seront également proposés au public, de même que toutes les données scientifiques sur lesquelles ont été fondées les hypothèses de restitutions.

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Fig. 6 : essai de visualisation de l'entrée du sanctuaire du petit temple d'Aton d'Amarna dans Google-Earth, permettant une interaction entre les données scientifiques et les espaces bâtis concernés

Robert Vergnieux
Mai 2010

 

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Robert Vergnieux est docteur d'état en égyptologie et directeur de la Plate-Forme Technologique 3D de l'Institut Ausonius (CNRS - Université Michel de Montaigne - Bordeaux 3).

Il est responsable du programme ANR ATON-3D, auquel participent également  Jean-Luc Chappaz (Musée d'Art et d'Histoire de Genève), Marc Gabolde (Université de Montpellier), Jean-Claude Golvin (Ausonius), Dimitri Laboury (Université de Liège - FNRS), Kate Spence (Université de Cambridge) ainsi que Nathalie Prévôt (Ausonius), Loïc Espinasse et Pascal Mora (Archéotransfert).


 

http://archeovision.cnrs.fr


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