Traduire Alice hier, aujourd'hui, demain

Curieusement, concernant les noms propres, j'ai fait exactement le choix inverse, le nom de la chatte étant le seul que j'aie décidé de « traduire ». Dinah est donc devenue Dînette. Mais il est vrai que de Minette à Dînette il n'y avait qu'un pas, un tout petit coup de dent qu'il était bien tentant de donner pour souligner le caractère gourmand du félin dont le nom en anglais est homonyme de diner dîneur » en français).

Car garder les prénoms anglais et conserver autant que possible les marqueurs de civilisation, entretient le dépaysement, ce « merveilleux ailleurs », pour reprendre la formule de Guy Leclercq, qui participe pour beaucoup à la magie du récit.

Il est bien connu que l'imaginaire enfantin aime à se projeter dans des époques révolues qui, tout en lui fournissant quelques repères, aiguillonnent sa curiosité. Le vouvoiement faisant partie de ces marqueurs temporels, j'ai tenu à le garder. Car Alice est à bien des égards une petite fille de son temps et c'est aussi cela qui la rend fascinante. Elle joue au croquet, mange des tartines de pain beurré au goûter, se rend en chemin de fer à la plage où les adultes s'abritent des regards dans des cabines de bain roulantes tandis que les enfants s'amusent à creuser le sable avec des pelles en bois.

Henri Bué a traduit les chansons d'Alice de telle sorte qu'elles font instantanément résonner une mélodie familière à l'oreille du lecteur français, et l'effet produit par celle du Chapelier « Twinkle, Twinkle Little Bat » (parodie de « Twinkle, Twinkle Little Star ») sur l'air de « Ah, vous dirais-je maman » transformé en « Ah, vous dirais-je ma sœur »,   ou par le quadrille des Homards sur l'air de « Nous n'irons plus au bois », devenu « Nous n'irons plus à l'eau... », est tout simplement désopilant.

La transposition sur des airs connus s'est imposée à moi aussi comme une évidence, et je me suis laissé porter par les réminiscences de mon enfance. Ainsi, la chanson du Chapelier est devenue tout naturellement une version de « Maman les p'tits bateaux » revisitée en « Maman les p'tits gâteaux » et le refrain du Quadrille des Homards, celui de « Chevaliers de la table ronde » (« Ferez-vous, oui, oui, oui, Ferez-vous, non, non, non, Ferez-vous un petit pas de danse ... »). Comme bien souvent dans ces cas-là, c'est la libre association d'idées qui sert de moteur, l'inconscient et le vécu de chacun ouvrant la voie à l'inspiration. Et qui sait si un jour, ce ne seront pas des parodies de chansons de Johnny, Francis Cabrel ou MC Solaar  qui se substitueront aux comptines de Lewis Carroll !

Car traduire Alice, c'est aussi, et pour une bonne part, retomber en enfance : siffler en travaillant et s'amuser en traduisant !

Enfin, pour conclure ce petit papier en forme d'hommage à Henri Bué, je dirai que si surannée que puisse nous paraître aujourd'hui sa traduction, elle n'en possède pas moins d'évidentes qualités, à commencer par son titre, qui non seulement n'a pas pris une ride, mais s'est si largement imposé dans l'imaginaire collectif qu'il y a fort à parier que les générations à venir seront encore nombreuses à parler des Aventures d'Alice au Pays des Merveilles.

Martine Céleste Desoille
Mars 2010

 

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 Martine Céleste Desoille est traductrice et a traduit Alice au Pays des Merveilles, éditions Soleil, illustrations de François Amoretti, à paraître en mars 2010.

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Traduction de Martine Céleste Desoille

© MC PRODUCTIONS / AMORETTI

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 Traduction de Henri Bué

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