Les Impressions Nouvelles

« Une vision décalée et romantique du métier d'éditeur »

Fondées en 1985 par Benoît Peeters, Marc Avelot et Jan Baetens, Les Impressions Nouvelles est un éditeur indépendant dont le catalogue est riche de plus de cent soixante titres. Des ouvrages qui touchent à de multiples domaines — le roman, le récit, la poésie, la bande dessinée, la biographie, l'essai, le théâtre, le beau-livre ou le cinéma — sans jamais sacrifier ni à la facilité, ni au commercial. Plusieurs de ses animateurs et auteurs présenteront leur maison pendant la Foire du Livre.

« Ne s'interdire aucun genre, aucun format. Donner à lire et à penser. Offrir un espace à de nouvelles écritures ou à des livres atypiques. » Ce credo, les responsables éditoriaux des Impressions Nouvelles, définies comme « un pôle de résistance et d'innovation, un réseau d'énergies et de solidarités », l'appliquent depuis vingt-cinq ans. « J'ai certainement une vision un peu romantique et décalée du métier, commente Benoît Peeters sur son site éditorial. Pour moi, d'une certaine façon, l'édition, la lecture et l'écriture, ce n'est pas vraiment différent. Ce sont simplement des états différents du même désir. »

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Ce qui frappe d'emblée, c'est l'extrême diversité des ouvrages publiés sous ce label. Prenons le 9e art, secteur abondamment représenté. Parmi les parutions récentes, figurent trois bandes dessinées et deux essais, l'un biographique, l'autre historique. Buzz-moi, très subtile et fort juste observation d'un monde, celui des médias, où la prétention, la suffisance et le mépris sont monnaie courante, est le troisième opus d'Aurélia Aurita. La jeune femme y raconte le buzz médiatique déclenché à la sortie de son premier album, Fraise et chocolat, récit porté par un humour coquin de ses amours au Japon avec Frédéric Boilet. De cet auteur BD, Les Impressions Nouvelles rééditent d'ailleurs Le rayon vert paru en 1987 chez Magic Strip. Et vient de paraître Lisbonne dernier tour, d'Aude Samama et Jorge Zentner, qui rend compte, dans de somptueux dessins, de la lente déchéance d'un prince de l'illusion.

À côté de ces BD « classiques » (mais certainement pas traditionnelles, et encore moins standard), l'éditeur publie deux ouvrages extrêmement ambitieux. Conçu par Jacques Samson et Benoît Peeters, Chris Ware, sous-titré « La bande dessinée réinventée », est la première étude consacrée à l'auteur américain de Jimmy Corrigan, couronné à Angoulême en 2003. Une passionnante plongée dans un univers graphique aussi étonnant que désorientant. Et c'est sous la forme d'un beau livre, aboutissement de vingt ans de recherches, que Thierry Smolderen rend hommage aux pionniers du genre dans Naissances de la bande dessinée. Depuis les « romans à estampes » du Suisse Rodolphe Töpffer (Mr Jabot, Mr Crépin ou Mr Pencil) aux comics des Américains Winsor McCay (Little Nemo), R.F. Outcault (The Yellow Kid), Rudy Dircks (The Katzenjammer Kids - Pim Pam Poum) ou A.B. Frost, en passant par les Français Gustave Doré, Caran d'Ache, l'Anglais Thomas Onwhyn ou un autre Français, Christophe (Le Sapeur Camembert, La Famille Fenouillard). S'appuyant sur une iconographie admirable, l'auteur met en lumière, outre l'extraordinaire créativité de ces précurseurs, les nombreuses fluctuations connues par la bande dessinée avant d'adopter la forme plus ou moins stable du « gaufrier ».

Du cinéma au roman

Le cinéma est au autre domaine cerné par les Impressions Nouvelles. Luc Delisse, qui enseigne le scénario à la Sorbonne et l'esthétique à l'École supérieure de réalisation, y a signé deux ouvrages sur ce sujet s'enrichissant l'un l'autre. Tandis que dans L'invention du scénario, il s'interroge sur la spécificité de cette forme littéraire hybride et mal définie, il analyse sous des angles différents, au fil de L'atelier du scénariste, une vingtaine de récits cinématographiques (Le Mépris, L'Armée des ombres, Le Cercle rouge, Lost Highway, L'Armée des douze singes, Million dollar baby, De battre mon cœur s'est arrêté, Welcome...). Delisse a prolongé cette recherche sous une forme romanesque dans Le professeur de scénario, l'histoire d'un écrivain qui se recycle avec succès dans le scénario, nouveau tome de son « autobiographie imaginaire » où figurent déjà Le Jugement dernier ou Le Testament belge.

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Sur le même rayon, il faut mentionner deux livres récents. La novellisation, du film au roman permet à Jan Baetens d'examiner les liens entre le 7e art et la littérature en s'appuyant sur de nombreux exemples. Notamment sur « l'adaptation romancée » des Vacances de Mr Hulot par Jean-Claude Carrière qu'il considère comme « un jalon injustement méconnu ». Et dans Voyage autour de ma chambre, Olivier Smolders a ressemblé des considérations et notes de travail qui ont accompagné la réalisation du film du même nom.

Cette petite structure aime bien, aussi, ruer dans les brancards. En donnant la parole à Dominique Labbé, convaincu que l'auteur du Cid est aussi celui du Tartuffe, de Dom Juan ou de L'Avare (Corneille dans l'ombre de Molière). À Benoît Landais enquêtant sur des œuvres de jeunesse abandonnées par Van Gogh à son départ des Pays-Bas en 1885 (Vincent avant Van Gogh. L'affaire Marijnissen) ou traquant les faux tableaux de ce peintre dans la collection du docteur Gachet (La Folie Gachet). Ou à Jean-Paul Morel dénonçant, avec force documents, le sort réservé à Camille Claudel enfermée pendant les trente dernières années de sa vie dans un hôpital psychiatrique (Camille Claudel, une mise au tombeau).

Et puis il y a la fiction, sous toutes ses formes. La poésie, avec, par exemple, Pour une poésie du dimanche Jan Baetens rend hommage, à sa manière, à Georges Bataille, Gottfried Benn, René Guy Cadou, Maxime Grevisse, Paul Nougé, aux cinéastes Jim Jarmusch et Abbas Kiarostami., et même à Francis Lalanne et à Dominique de Villepin. Le théâtre avec Signé Dumas, l'excellente pièce de Cyril Gely et d'Éric Rouquette à l'origine du film L'autre Dumas, où l'on voit Auguste Maquet se révolter contre le sort que lui réserve le tonitruant écrivain, avant d'abdiquer et s'y remettre.

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Et puis le roman. Les Impressions Nouvelles ont publié il y a quelque temps trois excellents coups d'essai, La Promesse faite à ma sœur du Rwandais installé en Belgique, Joseph Ndwaniye, Le Jeune Soir de Rossano Rosi et Être un caillou de Jeanne Moulin. Et elles possèdent dans leur catalogue deux écrivains tout à fait passionnantes, devenues des « auteurs maison », Sandrine Willems et Corinne Hoex, dont le troisième livre paraît début mars, en même temps qu'est réédité son premier, Le Grand Menu, sorti en 2001 à l'Olivier. Le titre de ce roman, Décidément je t'assassine, traduit avec justesse ce que ressent sa narratrice face à sa mère entrée à l'hôpital : que faire pour bien faire et ne pas lui déplaire ? L'octogénaire passionnée de scrabble, très active jusqu'il y a peu, fière de n'avoir besoin de personne pour mener sa vie, dépérit lentement. Avant de mourir. Et c'est à sa fille de gérer l'après. L'enterrement, les condoléances des proches et des voisins, la vente de la maison. Le style est simple, direct, juste, sans fioriture. L'émotion transparaît dans les interstices, dans les non-dits, dans les silences. Bref, une réussite dans ce qui apparaît comme un genre littéraire en soi, celui du deuil, que l'on imagine davantage proche de la réalité que du roman, celui-ci résidant dans la forme employée pour dire l'irrémédiable.

Michel Paquot
Février 2010

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Michel Paquot est journaliste indépendant.

 


 

Présentation des Impressions Nouvelles en présence de Benoît Peeters, Jan Baetens, Luc Delisse et Corinne Hoex le samedi 6 à 15h sur le plateau de Mille Feuilles