Asclépios et les médecins en Asie Mineure

Le premier, bien qu'originaire de Smyrne, est connu par une base de statue découverte à Rome et datée de la fin du 2e s. ap. J.-C. Ce monument porte une triple dédicace commandée par un médecin du nom de Nicomèdès, pour commémorer l'offrande d'une statue d'Asclépios enfant. Cette statue était destinée à un temple, probablement celui du dieu guérisseur qui s'élevait sur l'Esquilin, près des thermes de Trajan. Or le médecin d'origine ionienne apporte une précision peu commune quant à ses motivations : il souhaitait, par cet ex-voto, témoigner sa reconnaissance au dieu qui, dit-il, l'avait souvent aidé, par ses conseils, à éloigner la maladie. Bien qu'il ne mentionne ni les modalités ni la nature des conseils donnés par le dieu, Nicomèdès ne laisse planer aucun doute sur les circonstances dans lesquelles il avait bénéficié de l'assistance divine : c'est dans la pratique de l'art médical que le secours d'Asclépios lui avait été souvent précieux.

Relief Pirée médecin
Relief votif en marbre de l’Asclépieion du Pirée décoré d’une scène d’incubation ; début du 4e s. av. J.-C. Musée archéologique du Pirée

L'attachement des médecins au dieu Asclépios dans l'exercice même de leur art transparaît également à travers une série d'inscriptions mises au jour à Éphèse. Ces documents enregistrent les noms des vainqueurs aux différentes épreuves des concours organisés dans la cité, sous le règne d'Antonin le Pieux (138-161). Or il s'agit de compétitions d'un genre unique, puisqu'elles voyaient s'affronter, durant deux jours, des médecins lors de quatre catégories d'épreuves. Intitulées cheirourgia, organa, syntagmata, problemata, elles correspondaient sans doute à divers aspects de leur art2. Les deux premières catégories se rapportaient probablement à la chirurgie ; lors des cheirourgia, les participants auraient eu à démontrer leur habileté chirurgicale, tandis que les organa auraient visé la mise au point de nouveaux instruments chirurgicaux. Les syntagmata devaient concerner la découverte et la composition de nouveaux produits pharmaceutiques. Quant aux problemata, peut-être touchaient-ils à des problèmes de diagnostic et de traitement, dans lesquels les médecins devaient prouver leurs compétences.

En plus de la liste des médecins victorieux, l'une des inscriptions nous a conservé partiellement le nom d'un de leurs confrères, [...]inos, qui n'avait pas pris part aux concours, mais qui exerçait alors une fonction officielle, celle d'agonothète des Asclépieia, pour la quatrième fois. Ce personnage était chargé d'organiser les fêtes locales en l'honneur d'Asclépios. À Éphèse cependant, cette charge revêtait une signification plus large, puisque c'était à l'occasion des Asclépieia que se déroulaient les concours médicaux. Dans ce cadre, l'agonothète devait également veiller au bon déroulement des compétitions. Il importait donc qu'il ait lui-même des compétences médicales. L'organisation à Éphèse de compétitions entre médecins en relation directe avec les fêtes d'Asclépios constitue ainsi un indice supplémentaire des liens étroits qui existaient entre ceux-ci et le dieu guérisseur par excellence, considéré comme le garant divin de l'art médical.

De fait, si certains médecins, membres de la famille des Asclépiades, se réclamaient les héritiers d'Asclépios par le sang, tous l'étaient par l'art. C'est, dans cet esprit, que nombre d'entre eux se sont investis dans le culte du dieu-médecin, mais aussi qu'ils se sont placés, à l'occasion, sous sa protection dans leur pratique professionnelle. Nous avons ainsi gardé la trace d'une douzaine de médecins micrasiatiques dont le nom était formé sur celui du dieu. Le choix des anthroponymes Asclépiade, Asclépiacos ou Asclépiodote témoigne à nouveau d'une volonté manifeste, de la part des praticiens ou de leur famille, de placer la profession médicale sous l'égide du dieu-médecin3.

Cécile Nissen
Février 2010

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Cécile Nissen est chercheur en histoire de l'art et archéologie de l'Antiquité classique. Ses principales recherches portent sur l'histoire de la médecine grecque, avec notamment l'établissement de la prosopographie des médecins de l'Asie Mineure.


 

2 Cf. V. Nutton, Museums and Medical Schools in Classical Antiquity, in History of Education, 4, 1975, p. 6-7.
3 Il ne s'agit ici que d'une première approche de la question pour l'Asie Mineure. L'étude des relations entre Asclépios et les médecins sur le territoire micrasiatique devra être approfondie. Hormis les inscriptions, d'autres sources documentaires devront compléter l'enquête entreprise, qu'il suffise de mentionner ici l'impressionnant corpus littéraire, œuvre, au 2e s. ap. J.-C., de Galien de Pergame, lequel évoque à plusieurs reprises le dieu Asclépios.
 
Asie mineure

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