Asclépios et les médecins en Asie Mineure

Asclepios

En Asie Mineure, les inscriptions attestent des rapports existant entre cultes guérisseurs et pratique rationnelle de la médecine. Certains médecins entretiennent notamment des relations particulières avec le dieu de la médecine Asclépios, en jouant un rôle important dans son culte.

La médecine grecque, considérée à juste titre comme l'ancêtre de notre médecine scientifique, a bénéficié, dès l'Antiquité, d'un prestige qui est encore aujourd'hui associé aux noms de Galien de Pergame et plus encore d'Hippocrate de Cos. Promoteur, à l'époque classique, d'une conception rationnelle de la médecine, Hippocrate a influencé de manière déterminante l'évolution de l'art médical. À sa suite, les médecins grecs ont défendu une explication naturelle des maladies par des facteurs externes à l'homme (paramètres atmosphériques et climatiques...), mais aussi internes (troubles physiologiques, mode de vie...). À cette causalité naturelle des affections correspondaient des thérapeutiques également d'origine naturelle (remèdes pharmacologiques, opérations chirurgicales, régime) prescrits par les médecins.

À côté de représentants célèbres de l'art médical, renommés dès l'Antiquité grâce à leur production littéraire, d'autres sources documentaires, telles les inscriptions, les papyrus ou les monnaies, nous ont conservé le souvenir de centaines de praticiens, dont les noms auraient sombré dans l'oubli s'ils n'avaient été transcrits, qui dans une épitaphe, qui dans une compilation de recettes. Au service d'une communauté civique, d'un groupement professionnel ou d'une autorité politique, ces médecins se sont illustrés aux quatre coins du monde gréco-romain, notamment en Asie Mineure, c'est-à-dire dans l'actuelle péninsule turque. Les relations établies, dès le début du premier millénaire, entre le continent grec et la côte occidentale de l'Asie Mineure se sont maintenues jusqu'à la fin de la domination romaine. Les sources littéraires, papyrologiques, épigraphiques et numismatiques ont permis d'y retrouver la trace de plus de trois cents médecins grecs et romains entre le 5e s. av. J.-C. et le 5e s. ap. J.‑C.1

Hormis la consultation d'un médecin, spécialiste humain de l'art médical, les Anciens pouvaient également recourir à la médecine divine. Il s'agissait alors de s'adresser à un dieu réputé pour ses pouvoirs guérisseurs, généralement par la méthode de l'incubation ; le malade se rendait dans un sanctuaire, où il passait une ou plusieurs nuits, dans l'attente d'une apparition divine en rêve, vecteur d'une guérison, soit immédiate, soit via une prescription médicale. Si la conception primitive qui attribuait l'origine des maladies à une intervention divine a reculé au fil des siècles, combattue notamment par les médecins dès l'époque hippocratique, la puissance guérisseuse reconnue aux divinités n'a jamais été mise en doute. Bien qu'ils aient prôné d'autres traitements, les médecins eux-mêmes, parfois impuissants à soigner certaines affections, ne se sont jamais opposés à l'activité des cultes guérisseurs et à leur consultation par les malades. Au contraire, nombre d'entre eux semblent avoir entretenu avec Asclépios, le dieu-médecin par excellence, des relations privilégiées, de nature cultuelle notamment. Ainsi, plusieurs inscriptions datées du Haut-Empire, renferment des dédicaces offertes par des médecins d'Asie Mineure en l'honneur d'Asclépios, parfois associé à sa fille et auxiliaire favorite Hygie, personnification de la Santé ; elles font mention d'offrandes de statues, d'autels, d'objets sacrés et même de sanctuaires ou de temples.

Asclépios et Hygie

Une illustration significative de cet investissement de certains médecins en faveur du culte d'Asclépios est fournie par le personnage d'Héraclite de Rhodiapolis, en Lycie. Actif au début du 2e siècle de notre ère, ce médecin jouissait d'une grande renommée dans sa patrie, mais aussi dans les villes d'Alexandrie, Rhodes et Athènes. Il était, en effet, l'auteur d'ouvrages médicaux et philosophiques en prose et en vers, aujourd'hui disparus, qui lui avaient valu le titre d'Homère des poèmes médicaux. Cependant, s'il est honoré par ses concitoyens, c'est aussi en raison de son implication dans la vie de la cité : outre qu'il y a dispensé des soins gratuitement, il s'est distingué par l'édification d'un temple et la consécration de statues à Asclépios et à Hygie, ainsi que par des dons d'argent ayant notamment permis l'organisation de concours en l'honneur du dieu‑médecin, appelés Asclépieia. Héraclite accordait lui-même une importance particulière à son engagement au profit du culte local d'Asclépios. Il avait pris la peine de consacrer une dédicace au dieu-médecin et à sa fille, où il commémore l'offrande du temple et des statues, le financement des Asclépieia, mais aussi l'exercice à vie de la prêtrise des deux divinités. L'implication d'un médecin dans des fonctions officielles du culte asclépiéen n'est pas rare. En Asie Mineure par exemple, un certain Mènodôros avait également été nommé prêtre d'Asclépios, à deux reprises au moins, dans la ville de Germè, en Mysie. En Asie Mineure comme dans le reste du monde gréco-romain, on observe ainsi une implication active des médecins au service du culte asclépiéen, particulièrement visible durant les premiers siècles de l'Empire, période la mieux documentée par les sources épigraphiques. Quelquefois même, cet investissement en faveur d'Asclépios dépassait le cadre strictement cultuel. L'Asie Mineure en offre deux exemples très évocateurs, avec des médecins d'Ionie, sur la côte égéenne.


 

1 C. Nissen, Prosopographie des médecins de l'Asie Mineure pendant l'Antiquité classique, I. Catalogue des médecins, 2009 : publication électronique sur le site de la Bibliothèque interuniversitaire de Médecine et d'Odontologie (BIUM) de Paris, collection Asclépiades, résumé et texte intégral en PDF accessibles à l'adresse  http://www.bium.univ-paris5.fr/histmed/asclepiades/nissen.htm.

Illustrations :
Statuette d’Asclépios en marbre ; époque romaine, Musée de la Médecine de Bruxelles.
Relief en marbre de Thessalonique représentant Asclépios et Hygie côte à côte ; 5e s. av. J.-C. Musée archéologique d'Istanbul.

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