Fragonard meurt en 1799, il trace sa route pendant cette période de transition qu'est le 18e siècle, et il est l'un des acteurs de l'histoire de l'anatomie dont les traditions remontent à l'antiquité. C'est aussi, à la fin de son existence, un homme conscient des enjeux de la Révolution française, en particulier pour sa discipline.
Honoré Fragonard est né à Grasse. Il est issu d'une vieille famille d'origine italienne implantée depuis le 16e siècle, et qui fait partie de la bourgeoisie aisée de la ville. Chez les Fragonard, on est commerçant de génération en génération. Le père de l'anatomiste était gantier et parfumeur. À 18 ans, Honoré quitte sa famille pour s'installer à Lyon. On suppose qu'il se met au service de médecins pour en tirer enseignement, en « élève libre ». En 1756, il revient à Grasse et travaille comme apprenti chez un maître de la corporation des chirurgiens.
À cette époque, la chirurgie était considérée comme une profession manuelle, et le statut de chirurgien était inférieur à celui de médecin. Les chirurgiens étaient exclus des études médicales, et leurs interventions étaient conditionnées par le diagnostic d'un médecin, qui, lui, n'était pas autorisé à poser un acte chirurgical, indigne de sa fonction. Il faut attendre la Révolution française pour voir tomber la barrière entre chirurgien et médecin.
Les talents de Fragonard furent sollicités par Claude Bourgelat, directeur de l'Académie d'équitation de Lyon, qui fut à l'origine de la première école vétérinaire du monde, en 1761. L'objectif initial de Bourgelat était de rassembler les connaissances disparates acquises dans la médecine des animaux, pour construire un enseignement cohérent dans ce domaine. L'anatomie, comme la botanique, étaient les principales matières enseignées et le cheval, l'espèce étudiée en particulier, avant que d'autres animaux domestiques soient au programme, stimulant ainsi les progrès de l'anatomie comparée. Fragonard est chirurgien depuis trois ans lorsqu'il est approché par Bourgelat, non pas comme spécialiste de la médecine des animaux, mais comme professeur d'anatomie et démonstrateur, pour initier les étudiants aux travaux pratiques de dissection.
Au 18e siècle, s'accomplit la transition vers l'anatomie comparée. Comme le disait l'historien français Philippe Ariès, « le corps mort et nu du 16e au 18e siècle, est devenu à la fois un objet de curiosité scientifique et de délectation morbide ». Les amphithéâtres de dissection se multiplient, comme les cabinets d'histoire naturelle, et les figures de cire colorée. De grands talents comme l'anatomiste Antoine Portal, Jean-Joseph Sue ou Jacques Gamelin sont contemporains de Fragonard, mais celui-ci va développer en particulier la maîtrise de la conservation de ces corps disséqués.
Le programme d'enseignement conçu par Bourgelat offrait à l'anatomie en tant que science descriptive une place décisive, car elle constituait la voie d'accès à une connaissance du corps libérée des commentaires abstraits et de la métaphysique. La recherche du lien entre la structuration des organes et la compréhension de leurs dysfonctionnements est un pas décisif vers la médecine moderne.
L'apprentissage selon Bourgelat, qui n'était pas enseignant, fonction inférieure à la sienne, devait se décliner en trois années. La première était concentrée sur l'étude externe du cheval, des os et des muscles. La deuxième était consacrée à l'étude des viscères, à l'art du bandage, à la manipulation des matériels et à la botanique. La troisième année abordait la pathologie externe et interne du cheval, mais aussi du bœuf et de la brebis, la pharmacologie et les méthodes opératoires. Le programme intégrait des dissections de corps humains, dont l'anatomie était mieux connue et qui permettaient une approche comparative.
Photos du tournage du film © Jacques Donjean