La médecine à Liège aux 17e et 18e siècles

Il ne faut pas non plus sous-estimer l'importance des détenteurs de secrets extraordinaires et des distributeurs de remèdes spécifiques que le Collège des médecins s'efforce de contrôler avec plus ou moins de succès. Ils sévissent dans les foires, insèrent des publicités dans les gazettes ou font imprimer des brochures accrocheuses.

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Un récit consigné dans un manuscrit provenant de la Chartreuse de Liège1 illustre à merveille l'attitude face à la maladie. Le 5 février 1700, le procureur de la Chartreuse, le Père Barthélemy Réginald Delbrouck, voit apparaître une petite plaie au-dessus de son talon droit. Malgré l'application d'un emplâtre d'onguent de Nuremberg et d'un emplâtre de blanc d'œuf et de craie, la plaie s'étend et on fait appel au chirurgien Lambert Goby, qui diagnostique une gangrène. Ses remèdes ne produisent aucun effet, pas plus que ceux proposés par d'autres confrères qui s'obstineront durant plusieurs mois, et à grands frais, déplore le narrateur. S'engage alors une recherche tous azimuts de détenteurs de secrets et de recettes certifiées efficaces, telle la « poudre impériale » appliquée durant 5 semaines sans succès. Enfin, une recette de Monsieur Waut, chanoine de Saint-Paul, donne quelque espoir. Malheureusement, le 3 août, le procureur est frappé d'hémiplégie du côté droit. Lambert Goby, rappelé à son chevet, soigne la plaie et applique une fistule au bras gauche. On n'en connaît pas le résultat, mais à la date du 28 décembre 1701, le copiste note laconiquement « dom Barthélemy Réginald Delbrouc n'at plus sceu marcher ». Il est intéressant de faire remarquer que le manuscrit dans lequel figure cet épisode contient une série de recettes pour les foulures, les contusions, les blessures et coups d'épée, la colique et la gravelle, attribuées au chanoine de Saint-Paul et un « remède merveilleux » mis sous le nom de M. Detrixhe.  Ce chanoine, réputé pour ses remèdes, serait-il le chanoine Pierre de Woot de Trixhe, baptisé à Notre-Dame-aux-Fonts à Liège le 1er septembre 1670 ?


Onguent de la mère supérieure de l'Hôtel-Dieu de Paris « bon pour tous les maux de hasard »,
18e siècle (Bibliothèque générale de philosophie et lettres, ms.  2110B, fol. 130). 
 

Les Eaux de Spa

Le monde médical liégeois s'intéresse aux sources spadoises à partir du 16e siècle. Le premier traité sur les propriétés de ses « fontaines acides », publié simultanément en latin, en français et en espagnol en 1559,  est l'œuvre de Gilbert Fusch, alias Lymborch ou Philarète (ca 1504-1567), médecin d'Érard de la Marck et de ses successeurs. L'analyse des eaux sera poursuivie par trois médecins d'Ernest de Bavière, Philippe Gheerincx (1549-1604), Thomas de Rye (ca 1540-début 17e s.) et Henri de Heer (1570-ca 1636).  De nombreuses vertus sont reconnues aux fontaines spadoises, notamment pour le traitement de la gravelle, des rhumatismes, de la syphilis et de la stérilité.

Spa : Pouhon  Spa : Vauxhall

À gauche : Jean-Baptiste Bergmüller (1724-1785), Vue de la place de Spa et de la fontaine du Pouhon
(Coll. artistiques de l'Université de Liège, inv. 37682)
À droite : Le Vauxhall de Spa, célèbre lieu de divertissement pour les curistes au 18e siècle
(Coll. artistiques de l'Université de Liège, inv. 29274)

Au 18e siècle, le génie commercial du médecin theutois, Jean Philippe de Limbourg (1726-1811), va propulser Spa au premier rang des Villes d'Eaux. En vantant les qualités de ses eaux minérales dans plusieurs ouvrages et surtout, en mettant en évidence l'importance d'y associer détente et plaisir dans ses Nouveaux Amusemens des Eaux de Spa (1763), il fera accourir la « jet set » de l'Europe entière et assurera du même coup la fortune des maisons de jeux de la ville !

Carmélia Opsomer
Février 2010

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Carmélia Opsomer, membre de l'Académie royale de Belgique, enseigne l'Histoire du livre et des bibliothèques et l'Histoire du livre à l'époque de la Renaissance à l'ULg. Ses principales recherches portent sur l'histoire des sciences et de la médecine, ainsi que sur les bibliothèques anciennes (15e-18e siècles).



1  Université de Liège, Bibliothèque générale de Philosophie et Lettres, ms. 563

Bibliographie
Carmélia Opsomer, « Les livres de science » dans Florilège du livre en Principauté de Liège du IXe au XVIIIe siècle, Publ. de la Société des Bibliophiles liégeois, Liège, 2009, p. 325-337.
Carmélia Opsomer, « La bibliothèque du chirurgien liégeois Lambert Goby » dans Bulletin de la Société des Bibliophiles liégeois, t. XXV (2005), p. 83-130.
Marcel Florkin et Jean Kelecom, Le monde médical liégeois avant la Révolution, Publ. de la Société des Bibliophiles liégeois, Liège, 1996, 2 vol.
Carl Havelange, Les figures de la guérison (XVIIIe-XIXe siècles. Une histoire sociale et culturelle des professions médicales au Pays de Liège (Bibl. de la Faculté de Philosophie et Lettres de l'ULg, fasc. CCLV), Liège, 1990.

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