La médecine à Liège aux 17e et 18e siècles

La culture médicale

Les testaments, les inventaires après décès et les catalogues de ventes publiques révèlent la présence de nombreuses bibliothèques privées à Liège. Des médecins, des chirurgiens, des apothicaires, voire des distributeurs de remèdes possèdent des bibliothèques plus ou moins importantes. Deux exemples illustreront notre propos.

La bibliothèque de 84 volumes que le chirurgien Lambert Goby (1652-1729) lègue à son petit-fils Mathias Luthienne, avec l'espoir que celui-ci embrassera la carrière médicale, est strictement professionnelle et résolument  moderne. La médecine française y est majoritaire, particulièrement les œuvres des iatrochimistes de l'école de Montpellier. Sa connaissance du latin lui donne accès aux traités des savants anglais Thomas Sydenham et Richard Morton, et allemands, Johann Doläus et Michael Ettmüller. Paracelse est représenté par La grande chirurgie et trois des onze tomes de ses œuvres complètes publiées à Francfort en 1605. Comme beaucoup de chirurgiens influencés par les théories paracelsiennes, Goby se montre intéressé par l'alchimie.

La bibliothèque du « docteur » Charles-Antoine Lazare, alias Gamba Curta, compte 105 œuvres. Ce personnage très controversé est né à Arciste dans le duché de Milan en 1701 et décède à Liège en 1768. En 1727, il s'installe à Liège, où il débute en jouant des pièces de théâtre dans une baraque installée successivement sur le Quai de la Goffe et sur la Batte. Il en profite pour vendre des remèdes de son invention, notamment un baume contre les vers et une eau ophtalmique. Ce charlatan, qui se pare abusivement du titre de docteur en médecine, parvient même à obtenir un poste de chirurgien à la cour de Jean-Théodore de Bavière. En 1750, il publie  un Traité de la pratique pour la cure des maladies vénériennes et de celles de l'urètre par Mr le Docteur Gamba Curta, Chirurgien de la Cour de Sa Sérénissime Éminence Monseigneur l'Évêque et Prince de Liège A Paris ert se vend à Liège, E. Kints, 1750, 8°, 184 p. et, en 1753, une Dissertation sur les propriétés et l'usage d'un spécifique universel distribué par Monsieur Charles-Antoine Lazare, dit Gamba Curta, docteur en médecine, Liège, J.F. Bassompierre, 1753, 12°, 17 p. Par testament, il lègue ses « bougies médicamenteuses pour les maux du canal de l'urètre » et ses manuscrits de secrets au major Debru, chirurgien juré de la Cité de Liège. Il lègue à sa gouvernante le secret de son baume déposé le 15 janvier 1767 au Grand Greffe des Échevins de Liège et qui était toujours en vente en 1809 !

L'inventaire de sa bibliothèque, où l'on trouve pour moitié des livres de littérature et de médecine, reflète bien sa double activité de comédien et de vendeur de remèdes. Sa bibliothèque médicale est surtout orientée vers la pharmacologie, mais il possède aussi l'Abrégé de la théorie chymique, tiré des propres écrits de M. Herman Boerhaave  par Julien Offray de la Mettrie et les Aphorismes de M. Herman Boerhaave sur la connoissance et la cure des maladies traduits par La Mettrie.



Et la pratique ...

Maison Porquin

L'inégalité sociale devant la maladie est évidente. Le malade fortuné ne quitte pas son domicile. Le médecin et le chirurgien se rendent à son domicile pour effectuer les actes médicaux réclamés par son état. Situation confortable si l'on songe à la promiscuité et à l'absence d'hygiène dans les institutions hospitalières. Même atteint d'une maladie contagieuse, il ne sera pas contraint de gagner une léproserie ou un lazaret, mais  il pourra rester chez lui à condition de ne pas sortir.

Les nombreux hospices et hôpitaux que compte la Cité de Liège sont davantage des lieux d'asile pour les indigents, les vieillards et les pèlerins que des établissements de soins. L'hôpital de Bavière, connu aussi sous le nom de Maison de Miséricorde, fondé en 1603 par le prince-évêque Ernest de Bavière, est une des rares exceptions. Avec une capacité d'environ septante lits, un suivi médical assuré par des médecins et des chirurgiens et par une communauté de religieuses hospitalières, il constitue un modèle pour l'époque.

Photo : Gustave Ruhl,  Maison Porquin, photographiée en 1903 . Elle date de la 2e moitié du 16e siècle, disparue aujourd’hui. Elle fut acquise par Ernest de Bavière pour y établir l’hôpital qui portera son nom. À l’époque de la fondation en 1603, il y fit ajouter un deuxième bâtiment et une chapelle (Coll. artistiques de l'Université de Liège, inv. 32372)
 

Dans la mesure du possible, on recourt à l'automédication. D'innombrables recettes médicinales circulent, dont certaines remontent à la plus haute Antiquité. Elles sont rassemblées dans des réceptaires savants ou de modestes carnets de famille, ou encore notées à la hâte sur les pages de garde et les espaces laissés blancs dans les manuscrits et imprimés de toutes sortes.  Aux 17e et 18e siècles, on en trouve régulièrement dans les traités d'économie domestique, tel Le théâtre d'agriculture et mesnage des champs d'Olivier de Serres et surtout, dans des manuels à l'usage des « bienfaiteurs éclairés », qui soignent les pauvres bénévolement, à savoir les curés et les châtelaines. On constate toutefois que le Médecin des pauvres et le Chirurgien des Pauvres de Paul Dubé, le Recueil des remèdes faciles et éprouvés  de Madame Fouquet, ou encore Le manuel des Dames de charité d'Arnauld de Nobleville, sont largement utilisés dans toutes les couches de la population et chez celui qui possède quelques livres, l'un de ces ouvrages figurera souvent aux côtés d'un psautier et de l'Almanach de Mathieu Laensbergh.

 
 
bière d'absinthe
Bière d'absinthe, thériaque « diatessaron », sédatif pour enfants et « lait virginal »,
18e siècle (Bibliothèque générale de philosophie et lettres, ms. 2110B, fol.124v-125r).

 

Page : précédente 1 2 3 suivante