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La médecine à Liège aux 17e et 18e siècles

17 February 2010
La médecine à Liège aux 17e et 18e siècles

À la fin du 17e siècle, les professions médicales à Liège sont réglementées et dotées d'un organe de contrôle, le Collège des médecins, garant d'une certaine qualité des soins. Des médecins, des chirurgiens et des apothicaires possèdent des bibliothèques professionnelles. L'analyse de celles-ci est d'un grand intérêt pour évaluer le niveau scientifique de leur propriétaire.  L'automédication est très répandue. Elle se fonde sur d'innombrables recettes ou secrets qui circulent dans toutes les couches de la population. Au 18e siècle,  le thermalisme se développe à Spa, attirant des curistes de l'Europe entière.   

Organisation de la profession

pharmacopee

Jusqu'à la fin du 17e siècle, la pratique de la médecine à Liège est réglementée, mais peu contrôlée en ce qui concerne son niveau et sa qualité. Médecins, chirurgiens, barbiers, apothicaires et sages-femmes appartiennent à des catégories sociales strictement hiérarchisées et cloisonnées. Le schéma des professions médicales reproduit le système corporatif en vigueur à l'époque. On se préoccupe surtout de définir les conditions d'accès à la profession et d'empêcher qu'elle ne soit exercée en dehors du cadre établi. Les  médecins, auréolés du prestige d'un diplôme universitaire, forment une caste à part. Ce grade, ils ont dû le conquérir à Reims, à Pont-à-Mousson, en Avignon ou à Louvain puisque toute tentative de créer une université à Liège est systématiquement réduite à néant par les solides protections dont jouit l'université de Louvain. Les chirurgiens et les barbiers sont réunis dans la Compagnie de saint Cosme et de saint Damien qui existe depuis le Moyen Âge. Les apothicaires appartiennent au métier des merciers, corporation un peu hétérogène qui, en plus des merciers, rassemble les épiciers (marchands d'épices), les apothicaires, les libraires et les imprimeurs. Quant aux sages-femmes, elles sont placées sous l'autorité du prévôt car, dans un monde où la mort est omniprésente, les préoccupations religieuses dominent. Face à l'importante mortalité néonatale, les sages-femmes doivent avant tout être capables d'administrer le baptême !

Des mesures de rationalisation vont progressivement être mises en place. En 1687, le prince-évêque Maximilien-Henri de Bavière promulgue un nouveau règlement pour les chirurgiens de la Compagnie de saint Cosme et de saint Damien. Il stipule, entre autres, que le candidat chirurgien, au terme de six années d'apprentissage, passera un examen portant sur l'anatomie, les tumeurs, les plaies et les fractures devant un jury composé de trois médecins et de six maîtres-chirurgiens. Il fixe un numerus clausus de 28 chirurgiens pour la ville de Liège et sa banlieue, qui comptent environ 60 000 habitants.

Mais l'étape décisive est la création du Collège des médecins le 31 mars 1699 par le prince-évêque Joseph-Clément de Bavière. À l'instar d'autres villes étrangères, Liège est dotée d'un véritable organe de contrôle. Ce Collège est composé d'un président, qui est d'office l'échevin le plus ancien qui siège au Conseil privé (donc un homme du prince), de quatre médecins, de deux chirurgiens et de deux apothicaires. L'autorité du Collège s'étend à l'ensemble des professions médicales, tant sur le plan du recrutement que sur celui de l'exercice de la médecine. Les chirurgiens sont définitivement séparés des barbiers et les apothicaires quittent le métier des merciers. Désormais, médecins, chirurgiens et apothicaires sont réunis en un seul corps où chacun voit sa sphère de compétence et d'activité strictement définie. 

Le Collège vérifie les qualifications de l'impétrant et veille à ce que les praticiens de toutes catégories s'inscrivent au Collège et paient leur inscription. Pour être inscrit au Collège, le médecin doit présenter les lettres officielles délivrées par l'université où il a obtenu son diplôme. Les épreuves  pour l'obtention de la maîtrise de chirurgie sont identiques à celles du Règlement de 1687. Pour obtenir la maîtrise de pharmacie, l'apprenti doit passer deux examens, l'un sur la composition des médicaments, l'autre sur la connaissance des simples figurant dans le Dispensatorium. Il doit ensuite réaliser un chef-d'œuvre qui consiste en une préparation magistrale imposée par le jury, qui se déplace alors à l'officine de l'apprenti et assiste à la confection du médicament.

Des examens sont instaurés pour les autres agents médicaux : les sages-femmes et leur équivalent masculin, les accoucheurs, ceux qui sont autorisés à pratiquer la saignée (il n'est pas rare d'y trouver des femmes), les dentistes, les arracheurs et arracheuses de dents, les poseurs de ventouses, les distributeurs et distributrices de remèdes.

frère cellite

Certes, le modus operandi du Collège n'est pas exempt de protectionnisme, et les enfants de praticiens accèdent plus facilement à la profession (comme cela se passe dans les autres métiers d'ailleurs). Mais le souci de la qualité est bien réel. Les candidats qui n'ont pas satisfait doivent représenter les examens. Les remèdes spécifiques, pour lesquels les distributeurs de remèdes sont tenus de solliciter une autorisation de vente, sont examinés et c'est l'efficacité du médicament qui détermine la décision.

Enfin, le Collège est aussi chargé de juger les plaintes de patients qui estiment avoir été lésés. Il procède alors au contrôle du registre de visites que le chirurgien est tenu de rédiger, et il détermine si le nombre de prestations, les soins fournis et le montant des honoraires sont justifiés par la pathologie du patient.

Dès sa création en 1699, le Collège fut chargé par le prince-évêque de rédiger une pharmacopée. Cette tâche menée par quatre médecins et deux apothicaires prendra plus de quarante ans. Ce n'est qu'en 1741 que la Pharmacopoea Leodiensis sortira de presse et sera le recueil de médicaments officiel et obligatoire pour toute la principauté.

Frère cellite. Les Alexiens, appelés aussi frères cellites ou lollards, installés à Volière, avaient pour mission
de s'occuper des aliénés et d'enterrer les indigents et  plus particulièrement les pestiférés lors des épidémies.
Le cercueil qui figure à côté du religieux évoque cette tâche.
Bibliothèque générale de philosophie et lettres, ms. 1578, fol. 91, 17e-18e siècle).

La culture médicale

Les testaments, les inventaires après décès et les catalogues de ventes publiques révèlent la présence de nombreuses bibliothèques privées à Liège. Des médecins, des chirurgiens, des apothicaires, voire des distributeurs de remèdes possèdent des bibliothèques plus ou moins importantes. Deux exemples illustreront notre propos.

La bibliothèque de 84 volumes que le chirurgien Lambert Goby (1652-1729) lègue à son petit-fils Mathias Luthienne, avec l'espoir que celui-ci embrassera la carrière médicale, est strictement professionnelle et résolument  moderne. La médecine française y est majoritaire, particulièrement les œuvres des iatrochimistes de l'école de Montpellier. Sa connaissance du latin lui donne accès aux traités des savants anglais Thomas Sydenham et Richard Morton, et allemands, Johann Doläus et Michael Ettmüller. Paracelse est représenté par La grande chirurgie et trois des onze tomes de ses œuvres complètes publiées à Francfort en 1605. Comme beaucoup de chirurgiens influencés par les théories paracelsiennes, Goby se montre intéressé par l'alchimie.

La bibliothèque du « docteur » Charles-Antoine Lazare, alias Gamba Curta, compte 105 œuvres. Ce personnage très controversé est né à Arciste dans le duché de Milan en 1701 et décède à Liège en 1768. En 1727, il s'installe à Liège, où il débute en jouant des pièces de théâtre dans une baraque installée successivement sur le Quai de la Goffe et sur la Batte. Il en profite pour vendre des remèdes de son invention, notamment un baume contre les vers et une eau ophtalmique. Ce charlatan, qui se pare abusivement du titre de docteur en médecine, parvient même à obtenir un poste de chirurgien à la cour de Jean-Théodore de Bavière. En 1750, il publie  un Traité de la pratique pour la cure des maladies vénériennes et de celles de l'urètre par Mr le Docteur Gamba Curta, Chirurgien de la Cour de Sa Sérénissime Éminence Monseigneur l'Évêque et Prince de Liège A Paris ert se vend à Liège, E. Kints, 1750, 8°, 184 p. et, en 1753, une Dissertation sur les propriétés et l'usage d'un spécifique universel distribué par Monsieur Charles-Antoine Lazare, dit Gamba Curta, docteur en médecine, Liège, J.F. Bassompierre, 1753, 12°, 17 p. Par testament, il lègue ses « bougies médicamenteuses pour les maux du canal de l'urètre » et ses manuscrits de secrets au major Debru, chirurgien juré de la Cité de Liège. Il lègue à sa gouvernante le secret de son baume déposé le 15 janvier 1767 au Grand Greffe des Échevins de Liège et qui était toujours en vente en 1809 !

L'inventaire de sa bibliothèque, où l'on trouve pour moitié des livres de littérature et de médecine, reflète bien sa double activité de comédien et de vendeur de remèdes. Sa bibliothèque médicale est surtout orientée vers la pharmacologie, mais il possède aussi l'Abrégé de la théorie chymique, tiré des propres écrits de M. Herman Boerhaave  par Julien Offray de la Mettrie et les Aphorismes de M. Herman Boerhaave sur la connoissance et la cure des maladies traduits par La Mettrie.



Et la pratique ...

Maison Porquin

L'inégalité sociale devant la maladie est évidente. Le malade fortuné ne quitte pas son domicile. Le médecin et le chirurgien se rendent à son domicile pour effectuer les actes médicaux réclamés par son état. Situation confortable si l'on songe à la promiscuité et à l'absence d'hygiène dans les institutions hospitalières. Même atteint d'une maladie contagieuse, il ne sera pas contraint de gagner une léproserie ou un lazaret, mais  il pourra rester chez lui à condition de ne pas sortir.

Les nombreux hospices et hôpitaux que compte la Cité de Liège sont davantage des lieux d'asile pour les indigents, les vieillards et les pèlerins que des établissements de soins. L'hôpital de Bavière, connu aussi sous le nom de Maison de Miséricorde, fondé en 1603 par le prince-évêque Ernest de Bavière, est une des rares exceptions. Avec une capacité d'environ septante lits, un suivi médical assuré par des médecins et des chirurgiens et par une communauté de religieuses hospitalières, il constitue un modèle pour l'époque.

Photo : Gustave Ruhl,  Maison Porquin, photographiée en 1903 . Elle date de la 2e moitié du 16e siècle, disparue aujourd’hui. Elle fut acquise par Ernest de Bavière pour y établir l’hôpital qui portera son nom. À l’époque de la fondation en 1603, il y fit ajouter un deuxième bâtiment et une chapelle (Coll. artistiques de l'Université de Liège, inv. 32372)
 

Dans la mesure du possible, on recourt à l'automédication. D'innombrables recettes médicinales circulent, dont certaines remontent à la plus haute Antiquité. Elles sont rassemblées dans des réceptaires savants ou de modestes carnets de famille, ou encore notées à la hâte sur les pages de garde et les espaces laissés blancs dans les manuscrits et imprimés de toutes sortes.  Aux 17e et 18e siècles, on en trouve régulièrement dans les traités d'économie domestique, tel Le théâtre d'agriculture et mesnage des champs d'Olivier de Serres et surtout, dans des manuels à l'usage des « bienfaiteurs éclairés », qui soignent les pauvres bénévolement, à savoir les curés et les châtelaines. On constate toutefois que le Médecin des pauvres et le Chirurgien des Pauvres de Paul Dubé, le Recueil des remèdes faciles et éprouvés  de Madame Fouquet, ou encore Le manuel des Dames de charité d'Arnauld de Nobleville, sont largement utilisés dans toutes les couches de la population et chez celui qui possède quelques livres, l'un de ces ouvrages figurera souvent aux côtés d'un psautier et de l'Almanach de Mathieu Laensbergh.

 
 
bière d'absinthe
Bière d'absinthe, thériaque « diatessaron », sédatif pour enfants et « lait virginal »,
18e siècle (Bibliothèque générale de philosophie et lettres, ms. 2110B, fol.124v-125r).

 

Il ne faut pas non plus sous-estimer l'importance des détenteurs de secrets extraordinaires et des distributeurs de remèdes spécifiques que le Collège des médecins s'efforce de contrôler avec plus ou moins de succès. Ils sévissent dans les foires, insèrent des publicités dans les gazettes ou font imprimer des brochures accrocheuses.

onguent

Un récit consigné dans un manuscrit provenant de la Chartreuse de Liège1 illustre à merveille l'attitude face à la maladie. Le 5 février 1700, le procureur de la Chartreuse, le Père Barthélemy Réginald Delbrouck, voit apparaître une petite plaie au-dessus de son talon droit. Malgré l'application d'un emplâtre d'onguent de Nuremberg et d'un emplâtre de blanc d'œuf et de craie, la plaie s'étend et on fait appel au chirurgien Lambert Goby, qui diagnostique une gangrène. Ses remèdes ne produisent aucun effet, pas plus que ceux proposés par d'autres confrères qui s'obstineront durant plusieurs mois, et à grands frais, déplore le narrateur. S'engage alors une recherche tous azimuts de détenteurs de secrets et de recettes certifiées efficaces, telle la « poudre impériale » appliquée durant 5 semaines sans succès. Enfin, une recette de Monsieur Waut, chanoine de Saint-Paul, donne quelque espoir. Malheureusement, le 3 août, le procureur est frappé d'hémiplégie du côté droit. Lambert Goby, rappelé à son chevet, soigne la plaie et applique une fistule au bras gauche. On n'en connaît pas le résultat, mais à la date du 28 décembre 1701, le copiste note laconiquement « dom Barthélemy Réginald Delbrouc n'at plus sceu marcher ». Il est intéressant de faire remarquer que le manuscrit dans lequel figure cet épisode contient une série de recettes pour les foulures, les contusions, les blessures et coups d'épée, la colique et la gravelle, attribuées au chanoine de Saint-Paul et un « remède merveilleux » mis sous le nom de M. Detrixhe.  Ce chanoine, réputé pour ses remèdes, serait-il le chanoine Pierre de Woot de Trixhe, baptisé à Notre-Dame-aux-Fonts à Liège le 1er septembre 1670 ?


Onguent de la mère supérieure de l'Hôtel-Dieu de Paris « bon pour tous les maux de hasard »,
18e siècle (Bibliothèque générale de philosophie et lettres, ms.  2110B, fol. 130). 
 

Les Eaux de Spa

Le monde médical liégeois s'intéresse aux sources spadoises à partir du 16e siècle. Le premier traité sur les propriétés de ses « fontaines acides », publié simultanément en latin, en français et en espagnol en 1559,  est l'œuvre de Gilbert Fusch, alias Lymborch ou Philarète (ca 1504-1567), médecin d'Érard de la Marck et de ses successeurs. L'analyse des eaux sera poursuivie par trois médecins d'Ernest de Bavière, Philippe Gheerincx (1549-1604), Thomas de Rye (ca 1540-début 17e s.) et Henri de Heer (1570-ca 1636).  De nombreuses vertus sont reconnues aux fontaines spadoises, notamment pour le traitement de la gravelle, des rhumatismes, de la syphilis et de la stérilité.

Spa : Pouhon  Spa : Vauxhall

À gauche : Jean-Baptiste Bergmüller (1724-1785), Vue de la place de Spa et de la fontaine du Pouhon
(Coll. artistiques de l'Université de Liège, inv. 37682)
À droite : Le Vauxhall de Spa, célèbre lieu de divertissement pour les curistes au 18e siècle
(Coll. artistiques de l'Université de Liège, inv. 29274)

Au 18e siècle, le génie commercial du médecin theutois, Jean Philippe de Limbourg (1726-1811), va propulser Spa au premier rang des Villes d'Eaux. En vantant les qualités de ses eaux minérales dans plusieurs ouvrages et surtout, en mettant en évidence l'importance d'y associer détente et plaisir dans ses Nouveaux Amusemens des Eaux de Spa (1763), il fera accourir la « jet set » de l'Europe entière et assurera du même coup la fortune des maisons de jeux de la ville !

Carmélia Opsomer
Février 2010

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Carmélia Opsomer, membre de l'Académie royale de Belgique, enseigne l'Histoire du livre et des bibliothèques et l'Histoire du livre à l'époque de la Renaissance à l'ULg. Ses principales recherches portent sur l'histoire des sciences et de la médecine, ainsi que sur les bibliothèques anciennes (15e-18e siècles).



1  Université de Liège, Bibliothèque générale de Philosophie et Lettres, ms. 563

Bibliographie
Carmélia Opsomer, « Les livres de science » dans Florilège du livre en Principauté de Liège du IXe au XVIIIe siècle, Publ. de la Société des Bibliophiles liégeois, Liège, 2009, p. 325-337.
Carmélia Opsomer, « La bibliothèque du chirurgien liégeois Lambert Goby » dans Bulletin de la Société des Bibliophiles liégeois, t. XXV (2005), p. 83-130.
Marcel Florkin et Jean Kelecom, Le monde médical liégeois avant la Révolution, Publ. de la Société des Bibliophiles liégeois, Liège, 1996, 2 vol.
Carl Havelange, Les figures de la guérison (XVIIIe-XIXe siècles. Une histoire sociale et culturelle des professions médicales au Pays de Liège (Bibl. de la Faculté de Philosophie et Lettres de l'ULg, fasc. CCLV), Liège, 1990.


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