Culture, le magazine culturel en ligne de l'Universit� de Li�ge


La médecine dans l’Occident médiéval

21 February 2010
La médecine dans l’Occident médiéval

 

Homme astral


Claude Galien de Pergame (ca 129/130-199/200) domine la science médicale jusqu’au 17e siècle. Selon ses théories, la physiologie est commandée par quatre humeurs qui correspondent aux quatre éléments aristotéliciens – eau, air, terre, feu – composant l’univers. Le déséquilibre des humeurs provoque la maladie. La thérapeutique est fondée sur les réceptaires, recueils de recettes simples, et les antidotaires contenant des préparations complexes. Au haut Moyen Âge, les monastères assurent la sauvegarde d’une partie de l’héritage antique. La réception de la médecine gréco-arabe aux 11e-12e siècles marque un tournant important dans l’évolution de la discipline. La médecine enseignée dans les universités est essentiellement scolastique. C’est dans le domaine de la chirurgie que le Moyen Âge sera le plus créatif.

Examen des urines

 

 

 

« Examen des urines ». Johannes DE KETHAM, Fasciculus medicine, Venise, Jean et Grégoire de Gregoriis frères, 1495 (Bibliothèque générale de philosophie et lettres, incunable XV. B 56, fol. 2r)
« Homme zodiacal ». Johannes De Ketham, Fasciculus medicine, Venise, Jean et Grégoire de Gregoriis frères, 1495 (Bibliothèque générale de philosophie et lettres, incunable XV. B 56, fol. 8r). Dans l'Antiquité et au Moyen Âge, nombreuses sont les interférences entre et médecine et astrologie, que ce soit pour prévoir l'évolution d'une maladie, adapter la diète ou déterminer les jours favorables à la saignée.

Des bases philosophiques héritées d'Hippocrate et de Galien

Selon une tradition qui remonte à Hippocrate (5e s. av. J.C), la médecine est divisée en trois branches : la diététique, la pharmaceutique, et la chirurgie. Les Anciens accordent une grande importance à la diététique, prise dans son sens le plus large, car elle permet d'éviter nombre de maladies.

Au 2e siècle de notre ère, le médecin grec Claude Galien synthétise les connaissances médicales depuis Hippocrate.  Si l'on excepte les critiques de Paracelse, il jouira d'une autorité incontestée et dominera la pensée médicale jusqu'au 17e siècle.

 

L'assise philosophique de la médecine galénique est le système aristotélicien des quatre éléments composant l'univers : l'eau, l'air, la terre et le feu. Chacun de ces éléments résulte de l'action des qualités élémentaires — une active, une passive — sur une matière première indifférenciée. Ainsi, l'eau est froide et humide, l'air chaud et humide, la terre est froide et sèche et le feu chaud et sec. En médecine, le corps humain est composé de quatre humeurs qui sont en quelque sorte la forme organique des quatre éléments. Le flegme est froid et humide comme l'eau ; le sang est chaud et humide comme l'air ; la bile noire est froide et sèche comme la terre ; la bile jaune, chaude et sèche comme le feu. Chez l'homme sain, la prédominance d'une humeur détermine sa complexion ou  son tempérament. Il y a quatre tempéraments, le flegmatique, le sanguin, le mélancolique et le bilieux ou colérique (du latin colera, bile jaune).

Le cadre de vie, les lieux, le climat et les saisons, également soumis au jeu des qualités,  exercent une influence sur l'organisme. L'hiver est froid et humide comme le flegme (les rhumes), le printemps est chaud et humide comme le sang, l'été chaud et sec comme la bile jaune, et l'automne est froid et sec comme la bile noire. Enfin, les complexions se modifient dans la vie de l'homme : l'enfant a la complexion du printemps, l'adolescent celle de l'été, l'homme mûr celle de l'automne et le vieillard celle de l'hiver.

Santé et maladie dépendent de l'équilibre des humeurs et de leur qualité. Si le déséquilibre s'aggrave, naissent des maladies, chaudes, froides, sèches ou humides que l'on guérira par des remèdes présentant la composition élémentaire opposée : une maladie froide et humide requiert donc des remèdes chauds et secs.

Pour se garder en santé, l'homme doit adopter un mode de vie adapté à son tempérament, à son âge et à son environnement. La diététique induit une abondante littérature, qui se concrétise par la prolifération de  régimes de santé, certains personnalisés.

Abricots  Gaudia
À gauche :  « Armoniaca ou abricot ». L'abricot est froid et humide. Celui qui veut absolument en manger doit avoir l'estomac vide et boire ensuite du bon vin. Il est surtout utilisé comme vomitif. Tacuinum sanitatis, XIVe siècle (Bibliothèque générale de philosophie et lettres, ms.  1041, fol. 7r.)   - À doirte :  « Gaudia ou joie ». La joie exalte la vertu vitale. Si on la multiplie, elle provoque la mort. Il faut donc la pratiquer avec modération. Tacuinum sanitatis, 14e siècle (Bibliothèque générale de philosophie et lettres, ms.1041, fol. 65r). Rappelons que les régimes de santé antiques et médiévaux considèrent l'homme dans sa globalité : alimentation, exercices physiques et sentiments.

La littérature pharmacologique de l'Antiquité et du Moyen Âge contient essentiellement deux genres correspondant à deux types de médications : les simples (ingrédient employé seul) décrits dans des herbiers et les composés (associations de simples) consignés dans des réceptaires et des antidotaires.

Par herbier, il faut entendre un répertoire qui  énumère dans l'ordre alphabétique des initiales, des simples végétaux, minéraux et animaux utilisés en pharmacie. Les simples végétaux y prédominent largement, d'où son nom d' « herbier ». Le plus ancien herbier conservé et le plus célèbre sont les cinq livres De la matière médicale écrits au premier siècle de notre ère par Pedanios Dioscoride d'Anazarba. Traduit en latin au 6e siècle, en arabe au 8e, Dioscoride commande la pharmacognosie jusqu'au 16e siècle, comme en témoigne le nombre considérable de manuscrits et d'éditions. Les réceptaires sont des recueils de compositions élémentaires, comportant un petit nombre d'ingrédients et d'opérations, des substances locales et bon marché. Les antidotaires, en revanche, rassemblent des « grandes compositions » portant fréquemment le nom d'un « inventeur » célèbre et comportant de nombreux ingrédients, souvent exotiques et coûteux.

vinaigre Genet
À gauche : « Acetum ou vinaigre ». Le vinaigre est froid et sec au second degré. Il est bon contre les vomissements et la diarrhée. Appliqué contre le visage du patient, il soigne la léthargie et la frénésie. Livre des simples medecines. Codex Bruxellensis IV 1024, 15e siècle (éd. fac-similé C. OPSOMER, 1980, fol. 18r). - À droite :  Le genêt est chaud et sec au second degré et fait bien uriner. Le genêt est efficace dans le traitement de la pierre, de la stangurie et de la dysurie. La décoction de ses fleurs soigne les écrouelles. Livre des simples medecines. Codex Bruxellensis IV 1024, 15e siècle (ibid., fol. 98v).

Une médecine essentiellement conventuelle jusqu'au 11e siècle

Ricota

La disparition de l'Empire romain en 476 ap. J.C. obère gravement la transmission à l'Occident du savoir médical gréco-romain. Dans un premier temps, le relais est assuré par une école médicale latine, active en Afrique du nord du 4e au 7e siècle. Grâce à elle, des traductions latines et des abrégés de traités médicaux grecs sont transmis à l'Europe occidentale, où la connaissance du grec s'est perdue. Ces débris de la science antique sont pieusement recueillis et recopiés inlassablement dans les monastères. L'intervention des moines va bien au delà d'une simple sauvegarde. Sous leur impulsion, le savoir médical progresse modestement par les échanges d'informations, au sein des abbayes, entre le scriptorium et la bibliothèque, d'une part, l'infirmerie et le jardin de plantes médicinales, d'autre part. C'est pourquoi les historiens qualifient cette période de Mönchsmedizin.

Dans l'armarium monastique, on trouve couramment des textes attribués à Galien, l'Histoire naturelle de Pline l'Ancien (1er s.),  le Liber medicinalis de Quintus Serenus Sammonicus (2e s.), le De morbis acutis de Caelius Aurelianus (5e s.), les Étymologies d'Isidore de Séville (7e s.), etc.

Compilation et empirisme donnent naissance à des œuvres nouvelles comme, par exemple, les deux réceptaires de l'abbaye de Saint-Gall datant du 9e siècle, le De naturis rerum de Raban Maur (9e s.) ou l'Hortulus de Walafrid Strabon (9e s.) qui décrit probablement le jardin de l'abbaye de Reichenau.

« Recocta ou ricotta ». La ricotta est froide et humide. Elle nourrit le corps mais se digère difficilement et provoque une maladie bilieuse. On élimine sa nocivité avec du beurre et du miel. Tacuinum sanitatis, XIVe siècle (Bibliothèque générale de philosophie et lettres, ms. 1041, fol. 40v).

Introduction de la médecine gréco-arabe aux 11e et 12e siècles

Les traductions arabo-latines qui pénètrent en Occident aux 11e et 12e siècles marquent un tournant décisif dans l'évolution de la médecine médiévale. Elle renoue enfin avec la médecine grecque et découvre la science arabo-islamique. La réception de la médecine arabe est initiée à la fin du 11e siècle par l'immense activité de traduction de Constantin l'Africain (c. 1015-1087), un marchand d'origine maghrébine, qui se fait moine au Mont-Cassin. Au siècle suivant, à Tolède, Gérard de Cremone traduit les œuvres de Rhazes (865-925), le Canon d'Avicenne (980-1037), la chirurgie d'Abulcasis (ca 940-1013).

Apothicaire

L'École de Salerne, déjà célèbre au 10e siècle pour la compétence de ses médecins, prépare l'intégration de la médecine dans les universités. Une médecine salernitaine fondée sur un vaste corpus de traités s'élabore à partir du 11e siècle et au 12e  un enseignement est dispensé.  Les œuvres maîtresses sont : en diététique, le Regimen sanitatis Salernitanum ou Régime de Salerne, populaire jusqu'au 19e siècle, comme l'attestent des centaines de manuscrits et environ 240 éditions ; en pharmacologie,  l'Antidotarium Nicolai et le Liber de simplici medicina ou Circa instans de Matthaeus Platearius (12e s.). Traduits  dans toutes les langues d'Europe, sans cesse enrichis dans leur tradition manuscrite, ils sont, avec Dioscoride, la base même du métier de speciarius au Moyen Âge.

 

 L'apothicaire compose les remèdes suivant les prescriptions du médecin. Hortus sanitatis. De herbis et plantis. De animalibus et reptilibus. De lapidibus et in terre venis nascentibus. De urinis et earum speciebus, [Strasbourg, Jean Prüss, 1497] (Bibliothèque générale de philosophie et lettres, incunable XV. B 43, fol. 333v).  

 

Les universités

Le 13e siècle voit la création des universités. Quatre grandes universités se partagent un quasi monopole en matière médicale : la plus ancienne, Bologne, fondée à la fin du 11e siècle, Padoue, Montpellier et Paris. La philosophie naturelle d'Aristote, qui imprègne profondément l'enseignement universitaire, provoque l'émergence d'une médecine scolastique. L'enseignement consiste en majeure partie à lire et à faire l'exégèse des traités d'Hippocrate, Aristote, Galien et Avicenne, et des innombrables commentaires qui leur sont consacrés. Les points de désaccord entre ces diverses autorités, mis en évidence lors de la lectio, donnent lieu à un exercice oratoire très prisé : la disputatio.

Des préoccupations pratiques ne sont pas absentes

En effet, une littérature médicale typiquement médiévale se développe à partir de la fin du 13e siècle, celle des consilia. Le consilium est une consultation mise par écrit, établie pour un cas bien précis, qui décrit les symptômes, pose le diagnostic, fixe le régime et prescrit les médicaments.

Toutefois, c'est en chirurgie que les progrès les plus notables se font jour.  On observe l'usage d'une éponge somnifère, imbibée d'opium, de jusquiame et de mandragore, pour endormir le patient avant une opération. Les vertus narcotiques de ces plantes étaient bien connues des Anciens, mais la confection de cette éponge, séchée après son utilisation et plongée dans l'eau tiède pour lui rendre son efficacité lors d'une nouvelle intervention, est neuve.

Dissection

Dans le dernier quart du 13e siècle, des dissections humaines sont pratiquées, alors que les connaissances anatomiques des Anciens étaient basées sur la dissection d'animaux, notamment le singe et le porc. À Bologne, Mondino de Luzzi (1275-1326) consigne dans un petit traité sa méthode et ses observations à propos de la dissection de deux cadavres de femmes. La multiplication des autopsies n'aura pas un effet immédiat sur les études anatomiques. En cause, le poids écrasant de Galien : les données de l'expérience qui contredisent le maître sont considérées comme des exceptions de la nature....

La dissection humaine apparaît à la fin du 13e siècle. Bartholomaeus Anglicus, De proprietatibus rerum, en français, Lyon,  Mathieu Huss, 1487 (Bibliothèque générale de philosophie et lettres, incunable XV. A 30, fol. 39r)  

Henri de Mondeville utilise un aimant pour extraire les particules métalliques logées dans les blessures. Il insiste sur la nécessité de ligaturer les artères avant une amputation. Guy de Chauliac (ca 1298-1368) invente un système de poulie et contrepoids qui facilite la respiration chez un patient souffrant de côtes fracturées. Il est l'auteur d'une Chirurgia magna ou Grande chirurgie, abondamment traduite et imprimée, qui est considérée comme le meilleur ouvrage de chirurgie jusqu'à Ambroise Paré.

Carmélia Opsomer
Février 2010

icone crayon

Carmélia Opsomer, membre de l'Académie royale de Belgique, enseigne l'Histoire du livre et des bibliothèques et l'Histoire du livre à l'époque de la Renaissance à l'ULg. Ses principales recherches portent sur l'histoire des sciences etde la médecine, ainsi que sur les bibliothèques anciennes (15e-18e siècles). 


 
 
Bibliographie
 
Histoire de la pensée médicale en Occident s.dir. de Mirko Drazen GRMEK, Paris, 1995.
Carmélia Opsomer, L'art de vivre en santé. Images et recettes du moyen âge : le Tacuinum sanitatis (manuscrit 1041) de la Bibliothèque de l'Université de Liège, Alleur, 1991.
Nancy Siraisi, Medieval and early Renaissance medicine. An introduction to knowledge and practice, Chicago-London, 1990.
Livre des simples medecines. Codex Bruxellensis IV 1024, éd. fac-similé avec textes et commentaires de Carmélia Opsomer, Anvers, 1980, 2 vol.


� Universit� de Li�ge - https://culture.uliege.be - 29 March 2024