La médecine dans l’Occident médiéval

 

Homme astral


Claude Galien de Pergame (ca 129/130-199/200) domine la science médicale jusqu’au 17e siècle. Selon ses théories, la physiologie est commandée par quatre humeurs qui correspondent aux quatre éléments aristotéliciens – eau, air, terre, feu – composant l’univers. Le déséquilibre des humeurs provoque la maladie. La thérapeutique est fondée sur les réceptaires, recueils de recettes simples, et les antidotaires contenant des préparations complexes. Au haut Moyen Âge, les monastères assurent la sauvegarde d’une partie de l’héritage antique. La réception de la médecine gréco-arabe aux 11e-12e siècles marque un tournant important dans l’évolution de la discipline. La médecine enseignée dans les universités est essentiellement scolastique. C’est dans le domaine de la chirurgie que le Moyen Âge sera le plus créatif.

Examen des urines

 

 

 

« Examen des urines ». Johannes DE KETHAM, Fasciculus medicine, Venise, Jean et Grégoire de Gregoriis frères, 1495 (Bibliothèque générale de philosophie et lettres, incunable XV. B 56, fol. 2r)
« Homme zodiacal ». Johannes De Ketham, Fasciculus medicine, Venise, Jean et Grégoire de Gregoriis frères, 1495 (Bibliothèque générale de philosophie et lettres, incunable XV. B 56, fol. 8r). Dans l'Antiquité et au Moyen Âge, nombreuses sont les interférences entre et médecine et astrologie, que ce soit pour prévoir l'évolution d'une maladie, adapter la diète ou déterminer les jours favorables à la saignée.

Des bases philosophiques héritées d'Hippocrate et de Galien

Selon une tradition qui remonte à Hippocrate (5e s. av. J.C), la médecine est divisée en trois branches : la diététique, la pharmaceutique, et la chirurgie. Les Anciens accordent une grande importance à la diététique, prise dans son sens le plus large, car elle permet d'éviter nombre de maladies.

Au 2e siècle de notre ère, le médecin grec Claude Galien synthétise les connaissances médicales depuis Hippocrate.  Si l'on excepte les critiques de Paracelse, il jouira d'une autorité incontestée et dominera la pensée médicale jusqu'au 17e siècle.

 

L'assise philosophique de la médecine galénique est le système aristotélicien des quatre éléments composant l'univers : l'eau, l'air, la terre et le feu. Chacun de ces éléments résulte de l'action des qualités élémentaires — une active, une passive — sur une matière première indifférenciée. Ainsi, l'eau est froide et humide, l'air chaud et humide, la terre est froide et sèche et le feu chaud et sec. En médecine, le corps humain est composé de quatre humeurs qui sont en quelque sorte la forme organique des quatre éléments. Le flegme est froid et humide comme l'eau ; le sang est chaud et humide comme l'air ; la bile noire est froide et sèche comme la terre ; la bile jaune, chaude et sèche comme le feu. Chez l'homme sain, la prédominance d'une humeur détermine sa complexion ou  son tempérament. Il y a quatre tempéraments, le flegmatique, le sanguin, le mélancolique et le bilieux ou colérique (du latin colera, bile jaune).

Le cadre de vie, les lieux, le climat et les saisons, également soumis au jeu des qualités,  exercent une influence sur l'organisme. L'hiver est froid et humide comme le flegme (les rhumes), le printemps est chaud et humide comme le sang, l'été chaud et sec comme la bile jaune, et l'automne est froid et sec comme la bile noire. Enfin, les complexions se modifient dans la vie de l'homme : l'enfant a la complexion du printemps, l'adolescent celle de l'été, l'homme mûr celle de l'automne et le vieillard celle de l'hiver.

Santé et maladie dépendent de l'équilibre des humeurs et de leur qualité. Si le déséquilibre s'aggrave, naissent des maladies, chaudes, froides, sèches ou humides que l'on guérira par des remèdes présentant la composition élémentaire opposée : une maladie froide et humide requiert donc des remèdes chauds et secs.

Pour se garder en santé, l'homme doit adopter un mode de vie adapté à son tempérament, à son âge et à son environnement. La diététique induit une abondante littérature, qui se concrétise par la prolifération de  régimes de santé, certains personnalisés.

Abricots  Gaudia
À gauche :  « Armoniaca ou abricot ». L'abricot est froid et humide. Celui qui veut absolument en manger doit avoir l'estomac vide et boire ensuite du bon vin. Il est surtout utilisé comme vomitif. Tacuinum sanitatis, XIVe siècle (Bibliothèque générale de philosophie et lettres, ms.  1041, fol. 7r.)   - À doirte :  « Gaudia ou joie ». La joie exalte la vertu vitale. Si on la multiplie, elle provoque la mort. Il faut donc la pratiquer avec modération. Tacuinum sanitatis, 14e siècle (Bibliothèque générale de philosophie et lettres, ms.1041, fol. 65r). Rappelons que les régimes de santé antiques et médiévaux considèrent l'homme dans sa globalité : alimentation, exercices physiques et sentiments.

La littérature pharmacologique de l'Antiquité et du Moyen Âge contient essentiellement deux genres correspondant à deux types de médications : les simples (ingrédient employé seul) décrits dans des herbiers et les composés (associations de simples) consignés dans des réceptaires et des antidotaires.

Par herbier, il faut entendre un répertoire qui  énumère dans l'ordre alphabétique des initiales, des simples végétaux, minéraux et animaux utilisés en pharmacie. Les simples végétaux y prédominent largement, d'où son nom d' « herbier ». Le plus ancien herbier conservé et le plus célèbre sont les cinq livres De la matière médicale écrits au premier siècle de notre ère par Pedanios Dioscoride d'Anazarba. Traduit en latin au 6e siècle, en arabe au 8e, Dioscoride commande la pharmacognosie jusqu'au 16e siècle, comme en témoigne le nombre considérable de manuscrits et d'éditions. Les réceptaires sont des recueils de compositions élémentaires, comportant un petit nombre d'ingrédients et d'opérations, des substances locales et bon marché. Les antidotaires, en revanche, rassemblent des « grandes compositions » portant fréquemment le nom d'un « inventeur » célèbre et comportant de nombreux ingrédients, souvent exotiques et coûteux.

vinaigre Genet
À gauche : « Acetum ou vinaigre ». Le vinaigre est froid et sec au second degré. Il est bon contre les vomissements et la diarrhée. Appliqué contre le visage du patient, il soigne la léthargie et la frénésie. Livre des simples medecines. Codex Bruxellensis IV 1024, 15e siècle (éd. fac-similé C. OPSOMER, 1980, fol. 18r). - À droite :  Le genêt est chaud et sec au second degré et fait bien uriner. Le genêt est efficace dans le traitement de la pierre, de la stangurie et de la dysurie. La décoction de ses fleurs soigne les écrouelles. Livre des simples medecines. Codex Bruxellensis IV 1024, 15e siècle (ibid., fol. 98v).

Une médecine essentiellement conventuelle jusqu'au 11e siècle

Ricota

La disparition de l'Empire romain en 476 ap. J.C. obère gravement la transmission à l'Occident du savoir médical gréco-romain. Dans un premier temps, le relais est assuré par une école médicale latine, active en Afrique du nord du 4e au 7e siècle. Grâce à elle, des traductions latines et des abrégés de traités médicaux grecs sont transmis à l'Europe occidentale, où la connaissance du grec s'est perdue. Ces débris de la science antique sont pieusement recueillis et recopiés inlassablement dans les monastères. L'intervention des moines va bien au delà d'une simple sauvegarde. Sous leur impulsion, le savoir médical progresse modestement par les échanges d'informations, au sein des abbayes, entre le scriptorium et la bibliothèque, d'une part, l'infirmerie et le jardin de plantes médicinales, d'autre part. C'est pourquoi les historiens qualifient cette période de Mönchsmedizin.

Dans l'armarium monastique, on trouve couramment des textes attribués à Galien, l'Histoire naturelle de Pline l'Ancien (1er s.),  le Liber medicinalis de Quintus Serenus Sammonicus (2e s.), le De morbis acutis de Caelius Aurelianus (5e s.), les Étymologies d'Isidore de Séville (7e s.), etc.

Compilation et empirisme donnent naissance à des œuvres nouvelles comme, par exemple, les deux réceptaires de l'abbaye de Saint-Gall datant du 9e siècle, le De naturis rerum de Raban Maur (9e s.) ou l'Hortulus de Walafrid Strabon (9e s.) qui décrit probablement le jardin de l'abbaye de Reichenau.

« Recocta ou ricotta ». La ricotta est froide et humide. Elle nourrit le corps mais se digère difficilement et provoque une maladie bilieuse. On élimine sa nocivité avec du beurre et du miel. Tacuinum sanitatis, XIVe siècle (Bibliothèque générale de philosophie et lettres, ms. 1041, fol. 40v).

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