Claude Bernard, le père de la révolution médicale expérimentale et sa brûlante actualité

L'homéostasie et le milieu intérieur

Dans l'histoire de la pensée médicale, l'un des mérites indéniables de Claude Bernard est d'avoir créé le magistral concept de milieu intérieur. Bernard était bien conscient que l'anatomie restait la base de la physiologie, mais il rendit évident qu'il existe des processus physiologiques qui ne peuvent être compris sur la base de la seule anatomie. Il écrira que les parties humorales ou physico-chimiques, qui ne peuvent être disséquées et qui constituent notre environnement interne, ont été trop largement négligées.

Ce concept a influencé de manière profonde et durable la façon de penser des biologistes et des médecins. Claude Bernard était pleinement conscient de son importance et soutenait même que, avec le principe de déterminisme, il constitue la base de la nouvelle ‘médecine expérimentale' :

« La fixité du milieu intérieur est la condition d'une vie libre et indépendante. (...) La médecine scientifique moderne est fondée sur la connaissance de la vie des éléments dans le milieu intérieur ; c'est donc une conception différente du corps humain. Ces idées sont de moi et c'est là le point de vue essentiel de la médecine expérimentale. (...) La constance du milieu intérieur nécessite un tel degré de perfection de l'organisme que les variations extérieures sont immédiatement compensées et ajustées. »

En écrivant cela, Claude Bernard ouvre l'un des domaines scientifiques les plus passionnants, celui des régulations, des ajustements et des compensations. Il mentionne quatre exemples qui illustrent ce concept encore aujourd'hui : les régulations du volume hydrique, de la température corporelle, de la concentration en oxygène, et des réserves énergétiques. Enrichie progressivement au cours de ses recherches, la « constance du milieu intérieur »  trouvera une nouvelle formulation dans le concept d'homéostasie énoncé par Walter Cannon en 1926. Ce concept d'homéostasie s'est développé pour inclure, en plus des organes, les cellules, les protéines, et même les régulations génétiques, démontrant ainsi qu'il est un des principes fondamentaux de la biologie.

La grande majorité des conclusions de Claude Bernard sur les fonctions normales de l'organisme étaient fondées sur l'étude de leurs perturbations pathologiques, provoquées artificiellement ou non dans des expérimentations animales. Son intime conviction que l'étude des êtres vivants est un prérequis pour comprendre le fonctionnement et les dysfonctionnements des organes et des organismes influencera des générations de scientifiques et de médecins, et contribuera ainsi à être l'une des périodes les plus riches de l'histoire des sciences biomédicales.  

La naissance de la médecine moderne

Personne n'a défendu avec plus de ténacité et d'intelligence que Claude Bernard la nécessité d'une nouvelle médecine fondée sur la physiologie. Le protagoniste de la médecine expérimentale, qu'il espérait voir supplanter rapidement la médecine empirique existante basée uniquement sur l'observation du malade, devait rester un médecin observant ses patients le plus complètement possible, mais capable, grâce à la science expérimentale, d'analyser « chacun des symptômes en cherchant à les ramener à des explications et à des lois vitales qui comprendront le rapport de l'état pathologique avec l'état normal ou physiologique ». Il soutenait que la formation de tels médecins ne pouvait se réaliser que dans des laboratoires spécialisés, car « les préceptes utiles sont seulement ceux qui ressortent des détails d'une pratique expérimentale dans une science déterminée ». Mais la politique parcimonieuse du gouvernement français et le fait qu'il n'enseignait pas dans le cadre des institutions médicales firent que Bernard ne bénéficia pas des mêmes avantages que ses collègues étrangers pour réaliser ses objectifs. Même à ses heures de gloire, son propre laboratoire conservera toujours des dimensions modestes. Seul un petit groupe d'étudiants assidus pourront apprendre la physiologie expérimentale sous la direction de ce maître.

Claude Bernard lesson Leon Thermite
La leçon de Claude Bernard par Leon Thermite

Imaginant l'avenir, Bernard prédisait que « le médecin expérimentateur [...] veut comprendre ce qu'il fait ; il ne lui suffit pas d'observer ou d'agir empiriquement, mais il veut expérimenter scientifiquement et comprendre le mécanisme physiologique de la production de la maladie et le mécanisme d'action curative du médicament. » Claude Bernard dira aussi que, si l'hôpital est l'antichambre de la médecine scientifique, le laboratoire est lui le vrai sanctuaire de la science médicale. C'est là que le chercheur explore et découvre les explications sur la nature des phénomènes vivants tant dans les conditions normales que dans les conditions pathologiques.

A partir de 1868, Claude Bernard occupera le siège 29 à l'Académie Française et Ernest Renan lui succédera à cette place. Quand il meurt en 1878, il a droit à des funérailles nationales, un honneur qui n'avait été octroyé à aucun scientifique avant lui, et son tombeau se trouve au cimetière du Père Lachaise à Paris.

Il est fondamental de rappeler que de véritables révolutions scientifiques ont eu lieu dans le passé, alors qu'une nouvelle révolution, celle de la génétique se déroule devant nos yeux. Les changements de pensée que cette dernière induit sont si profonds et prometteurs que nous pourrions être tentés de négliger notre héritage en le considérant comme dépassé ou inintéressant. La connaissance de l'œuvre géniale de Claude Bernard démontre néanmoins l'inconscience d'un tel oubli.

Vincent Geenen
Février 2010

crayon

Vincent Geenen est Directeur de recherches au FRS-FNRS. Il enseigne à l'ULg l'Embryologie et l'Histoire de la recherche biomédicale. Ses principales recherches portent sur la physiologie du thymus, et le développement d'un nouveau type de vaccin contre le diabète juvénile basé sur les propriétés tolérogènes naturelles du thymus.


 

Références

-   Conti F, Claude Bernard: primer of the second biomédical révolution.
     Nature Reviews Molecular Cellular Biology, 2001, 2: 703-708.
-   Canguilhem G, Un physiologiste philosophe, Claude Bernard.
     Dialogue, 1967, 5: 555-572.
-   Bernard C, Introduction à l'Etude de la Médecine Expérimentale.
     Ballière, Paris, 1865.
-   Website http://www.claude-bernard.co.uk
 
 

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