Léonard de Vinci : La leçon d'anatomie

Dès 1487, Léonard de Vinci entreprend de disséquer des corps, dans le projet de réaliser un important traité d'anatomie, qu'il souhaite très illustré. Il ne s'intéresse pas uniquement à l'aspect des muscles et organes, il tente égement d'en comprendre le fonctionnement et réalise quelques découvertes importantes. Le peintre qu'il est étudie plus particulièrement  la musculature et le mouvement. De nombreuses planches anatomiques du maître nous sont parvenues.

 

« Dans les écoles d'anatomie des médecins, il disséquait des cadavres de criminels, indifférents aux aspects inhumains et répugnants de cette étude, soucieux seulement d'apprendre comment il pourrait représenter de la manière la plus adéquate dans sa peinture les différents muscles et les articulations, leur flexion et leur extension ».
Paolo Giovio, Vie de Léonard de Vinci (vers 1527)

Comme la plupart des artistes de la Renaissance italienne, Léonard de Vinci estime la représentation de la figure humaine comme l'un des objets essentiels de l'art. Or, pour parfaitement dépeindre un corps humain, il faut le connaître dans son apparence extérieure mais aussi le comprendre dans son fonctionnement interne. Pour atteindre cet objectif, au même titre que Masaccio (1401-1428), Donatello (1386-1466), Antonio Pollaiuolo (1432-1498) ou Michel-Ange (1475-1564), Léonard observe attentivement des sculptures, antiques et contemporaines, et des squelettes. Il s'adonne aussi à la dissection. Selon une note datant des dernières années de sa vie, il aurait disséqué plus de vingt cadavres. Les premières dissections sont pratiquées à Milan, à partir de 1487 environ, avec l'idée de rédiger un traité général d'anatomie, organisé selon la croissance progressive du corps humain, depuis son stade embryonnaire dans l'utérus jusqu'à l'âge adulte.

2Etude d'embryons, Windsor
Étude anatomique du foetus dans l'utérus, vers 1510, plume, lavis
brun et craie rouge, 30,4 x 22 cm, Windsor Castle, Royal Library
(RL19102r)

Entre 1510 et 1511, à l'Université de Pavie, Léonard poursuit cette entreprise, encouragé par Marcantonio della Torre qui lui fait découvrir le De l'utilité des parties du corps du Grec Galien (2e siècle après J-C), les écrits de l'Iranien Avicenne (10e-11e siècles) et le court manuel médiéval de dissection, Anothomia, de l'Italien Mondino de' Liuzzi (1316). Enfin, à Rome, entre 1513 et 1516, le maître fréquente l'hôpital Santo Spirito in Sassia, où il dirige plusieurs autopsies. Le traité d'anatomie n'a jamais vu le jour, en revanche, des centaines de dessins autographes, souvent annotés d'explications et de légendes, nous sont parvenus. Pour la majeure partie d'entre eux, ils sont aujourd'hui conservés dans trois manuscrits de la collection royale anglaise, à Windsor.

1Etudes anatomiques de l'épaule, Windsor
Études anatomiques de la musculature de l'épaule, du cou et du
thorax, vers 1509-1510, plume et lavis brun sur pierre noire, 28,9 x 19,8
cm, Windsor Castle, Royal Library (RL19001v)

Certaines de ces feuilles témoignent de découvertes majeures : Léonard reconnaît ainsi le rôle du cœur dans la circulation sanguine (« une invention » due à William Harvey au 17e siècle), il identifie aussi l'existence de quatre cavités cardiaques alors que Vésale et Descartes n'y verront toujours que deux. Toutefois, ce n'est pas en raison de ces résultats, certes parfois spectaculaires, que le travail de Léonard dans le domaine de l'anatomie est aujourd'hui considéré comme précurseur. D'abord, l'importance qu'il accorde à l'illustration des phénomènes observés est inédite : l'image  avait rarement jusqu'alors occupé tant de place dans la science anatomique,  une façon de faire  qui n'a cessé de croître depuis. De plus, l'ambition du Florentin consiste à aller plus loin que ne l'ont fait ses contemporains, notamment dans la représentation du mouvement. C'est sans doute pourquoi les études anatomiques de Léonard sont autant topographiques que physiologiques : le maître enregistre l'aspect des différentes parties du corps humain mais il cherche aussi, et surtout, à comprendre le fonctionnement des muscles et des organes.

3Etudes de jambes d'homme et de cheval, Windsor
Études anatomiques de la musculature de la jambe et comparaison de
cette musculature chez l'homme et le cheval, vers 1507, plume, lavis brun
et craie rouge, 28,2 x 20,4 cm, Windsor Castle, Royal Library (RL12625r)

Par exemple, l'étude de la musculature est toujours mise en rapport avec les conditions du mouvement et l'effort du personnage. En témoignent plusieurs dessins mais aussi des notes, comme celle où il indique : « Tu représenteras le bon fonctionnement des membres, c'est-à-dire dans l'acte de se lever après s'être couché, remuant, courant et sautant en des attitudes variées, soulevant et portant de gros poids, lançant des objets au loin et nageant. Et, ainsi, pour chaque mouvement, tu démontreras quels membres et quels muscles le déterminent, et notamment le jeu des bras ». Tous les éléments étudiés séparément servent ensuite à recomposer la totalité de l'organisme, avec parfois, par analogie, la substitution d'organes animaux aux organes humains n'ayant pu être connus directement : l'étude du fœtus humain s'enrichit ainsi par celle de l'utérus bovin, les membres inférieurs de l'homme sont confrontés à ceux du cheval. Dans les études d'anatomie de Léonard, pourtant si novatrices, les erreurs sont donc nombreuses, d'autant plus que les croquis ne sont pas réalisés directement lors de la dissection, mais, plus tard, dans l'atelier, à partir des observations enregistrées sur un cas précis. Somme toute, dans ce domaine aussi, comme dans la plupart des champs d'investigation auxquels Léonard s'est intéressé, l'art est « chose mentale », il naît toujours d'une reconstruction de l'esprit.

  Laure Fagnart
Février 2010

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Laure Fagnart est chargée de recherches FNRS au Service d'Hhistoire de l'Art et Technologie des arts plastiques (Temps modernes). Elle a publié récemment Léonard de Vinci en France. Collections et collectionneurs, XVe-XVIIe siècles