Quelques grands noms de l'histoire de la médecine à Liège
bacq

Un autre disciple de Henri Frédericq, Zénon-Marie Bacq (1903-1983) mérite toute l'attention. Après avoir terminé ses études de médecine en 1927 à l'ULB, puis travaillé, à Paris, au Collège de France chez Mayer et, à Boston, chez Cannon, Bacq est attaché au laboratoire de Henri Frédericq à partir de 1931. Il consacre ses  recherches à la physiologie du système nerveux autonome et aux médiateurs  humoraux des excitations adrénergiques. Par ses études sur les invertébrés marins, il contribue à la fondation de la pharmacologie comparée ; il confirme le rôle de l'acétylcholine dans la transmission neuromusculaire striée et découvre les sensibilisateurs au potassium. En 1940, mobilisé dans les services de protection de l'armée belge, il étudie la toxicologie de l'ypérite et ses interactions avec des coenzymes à groupe -SH. Enfin, au terme de la guerre, il devient un expert reconnu de la radiobiologie et préside le comité scientifique de l'O.N.U. pour l'étude des effets des radiations atomiques.

Comme Florkin, Bacq est un militant wallon actif et un homme de grande culture. Pianiste de talent, il a étudié l'harmonie et la composition musicale avec Paul Dukas à Paris ; on lui doit la mise en musique de divers poèmes de Guillaume Apollinaire.

beneden

Alors que la physiologie et la biochimie connaissent, à Liège, un essor remarqué, l'embryologie y fait aussi des progrès considérables. Le zoologiste Édouard Van Beneden (1846-1910), né à Louvain en 1846, devient chargé de cours, puis professeur extraordinaire de zoologie et d'anatomie comparée à l'ULg en 1871. Van Beneden sera le fondateur du superbe Institut de Zoologie qui porte aujourd'hui son nom. C'est à lui que l'on doit également l'introduction des cours de biologie dans les études médicales. Il découvre et décrit, chez l'ascaris, le phénomène de la méiose, c'est-à-dire, la réduction du nombre des chromosomes des cellules sexuelles et le rôle du noyau dans la reproduction. Il montre que les spermatozoïdes et les ovules ont le même nombre de chromosomes et que ces derniers y sont en quantité deux fois moindre que dans les cellules germinales qui leur ont donné naissance. Cette découverte est capitale pour aborder le problème de l'hérédité. Dès l'œuf fécondé, chaque cellule comporte, en effet, un capital nucléaire double dont chaque moitié correspond à l'apport de chaque parent. L'origine double du noyau fécondé rend compte des règles fondamentales de la génétique et fournit aussi une explication de la variabilité entre individus d'une même espèce. Un  disciple de Van Beneden, Hans de Winiwarter (1875-1949), qui sera professeur d'histologie à l'ULg, affinera les connaissances en la matière : il décrit les stades qui aboutissent à la maturation des cellules sexuelles et  précise le mécanisme par lequel se produit la méiose. Il établit un comptage du nombre des chromosomes chez divers vertébrés. Dans l'espèce humaine, il en dénombre 47 chez l'homme et 48 chez la femme ! Il a, en effet, « loupé »  le chromosome Y, le plus petit de tous, dont l'existence sera établie par T.S. Painter en 1921.

gratia
Les microbiologistes aussi ont eu leur temps de gloire dans notre cité. Parmi eux, nous retiendrons particulièrement le nom d'André Gratia (1893-1950). Fils d'un professeur de Cureghem, il est diplômé de l'ULB en 1919 et entreprend des recherches lors de séjours à Paris et aux États-Unis. Il devient, en 1932,  le successeur d'Ernest Malvoz à Liège, chargé de cours, puis professeur ordinaire de bactériologie et parasitologie. Il sera un précurseur de la génétique bactérienne et virale. De façon intéressante, on note, parmi ses travaux,  une étude sur la destruction du bacille charbonneux par les filtrats de culture d'un pénicillium que, en raison de problèmes de santé, Gratia n'aura pas le temps d'identifier. À son retour de congé de maladie, la souche de pénicillium a disparu ! Ainsi, à peu de chose près, il découvrait la pénicilline avant Fleming.  En 1945, il crée le Centre de Recherches sur la pénicilline et les antibiotiques ouvrant ainsi la voie à ses brillants successeurs que seront  M. Welsch, Recteur de l'ULg entre 1974-1977, et J-M Ghuysen (1925-2004), pharmacien et docteur en chimie, dont les recherches sur la structure chimique de la paroi bactérienne lui vaudront, en 1997, la très prestigieuse Albert Einstein World Award of Science.

 

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Rédiger un survol de quelques grands noms de la médecine et de la recherche médicale liégeoises est une entreprise délicate. Elle force à se limiter dans le temps, car un recul est indispensable pour évaluer, avec sûreté, l'importance des contributions du passé. Elle implique ensuite un choix de départ : faut-il citer les chercheurs de base ou plutôt les cliniciens ? La clinique et, plus que toute autre, la clinique universitaire jouent certes un rôle primordial dans la vie quotidienne d'une région, mais, par la force des choses, leur rayonnement est plus localisé et plus feutré. Si, pour ces raisons, l'intention est de s'en tenir aux chercheurs fondamentalistes, seules quelques disciplines dans lesquelles les apports liégeois furent particulièrement marquants pourront être sélectionnées et seront cités les noms de scientifiques qui, sans être médecins de formation, ont néanmoins participé, de façon notoire, aux progrès de nos connaissances médicales. À tous ces choix successifs, on pourrait très valablement en opposer d'autres. Cela sera peut-être pour une prochaine fois !

Henri  Kulbertus
Février 2010

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Henri Kulbertus est professeur émérite de cardiologie à l'ULg, pro-Doyen de la Faculté de Médecine. Ses recherches ont porté sur la  cardiologie clinique, en particulier, les arythmies cardiaques et la maladie coronarienne.

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