Les plantes médicinales en Égypte pharaonique : du mythe à la médecine

Dans l'Égypte pharaonique, la médecine est intimement liée à la religion. Les malades s'adressaient aux prêtres qui pratiquaient pour eux un rituel sacré proche de l'exorcisme. Si des plantes étaient utilisées, leur pouvoir curatif éventuel était volontiers attribué aux contextes mythologiques dans lesquels elles jouaient un rôle actif. Néanmoins, ces usages pourraient avoir parfois apporté des résultats objectifs aux yeux de la médecine moderne.

Parler de « plantes médicinales » à propos de l'Égypte des pharaons nous emmène bien loin de l'acception moderne de ce terme familier de longue date des acteurs de la santé pour qui elles possèdent des vertus pharmacologiques objectivées par des évaluations cliniques, voire par la mise en évidence de principes actifs, et dont la description scientifique constitue une discipline reconnue, la pharmacognosie.

Le prêtre guérisseur

Si les habitants de la vallée du Nil eurent anciennement recours aux plantes, ─ mais aussi aux produits d'origine animale ou minérale ─, à des fins thérapeutiques, leur usage ne pouvait pourtant refléter une telle approche, tant leur imprégnation religieuse était profonde jusque dans les choses les plus simples du quotidien. Dans cet ordre sacré où primait l'imaginaire, la vie sur terre n'était que l'écho d'un monde virtuel régi par des dieux dont les tribulations alimentaient une mythologie complexe. C'est bien celle-ci qui constituait la référence pour les prêtres considérés comme les guérisseurs de l'époque. Comment procédaient-ils dans l'exercice de leur art ?

Lors de leurs consultations, la première étape consistait à identifier le contexte mythique dont relevaient les symptômes observés, ce qui amenait à assimiler le patient examiné à un dieu lié à un événement intemporel ainsi actualisé. Dans un deuxième temps, le prêtre se faisait magicien en ordonnant à la maladie, souvent d'étiologie divine ou morbide, de quitter le corps concerné, ce qui évoque les pratiques d'exorcisme. Dans une troisième étape enfin, un rituel approprié était mis en place, perçu comme un remède administré au patient.

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Le relief « des instruments chirurgicaux » au temple de Kom Ombo, époque romaine. Noter la présence des deux yeux oudjat, à côté d'une balance utilisée pour les préparations, ce qui inscrivait les actes du médecin ophtalmologue dans une perspective mythique,  celle des yeux d'Horus blessés par Seth et dont l'intégrité était ainsi reconstituée.

Pouvoir sacré des plantes

Cette description de la démarche thérapeutique égyptienne révèle que le concept de « plante médicinale » était en fait autant magico-religieux que magico-médical, ce qui ne postule aucun principe actif au sens où nous l'entendons aujourd'hui. En revanche, une plante pouvait recéler un pouvoir curatif provenant d'un dieu, en particulier lorsqu'elle poussait à proximité de lui, comme c'était le cas pour la plante nebeh récoltée sur la célèbre butte osirienne de Bousiris et dont le lexique botanique grec aurait conservé le souvenir sous le nom de « tombe d'Osiris », peut-être le muflier. À l'époque gréco-romaine, l'attribution à Osiris de la mandragore, voire du lierre dionysiaque, illustrait encore cette perception sacrée des plantes médicinales qui s'est d'ailleurs maintenue dans l'herbaire chrétien, telle la plante de saint Antoine, le grand épilobe jadis répandu en Égypte et utilisé par la suite comme astringent.

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Isis avec les arbres osiriens (à gauche) et la mandragore proche d'un gibet (à droite), d'après un manuscrit de l'Épîtred'Othéa de Christine de Pisan (15e siècle), Bruxelles, Bibliothèque Royale Albert I er, Ms 9392, fol. 28, v° (d'après J. BALTRUŠAITIS, La quête d'Isis, Paris, 1985, p. 121, pl. VI).

À titre d'exemple, citons ici une conjuration du sein, un rituel magique destiné à soulager les seins douloureux en cas d'allaitement, où la poitrine de la patiente était assimilée à celle d'Isis occupée à nourrir Horus dans les marais de Chemmis, allusion au mythe d'Osiris dans lequel la déesse cachait l'enfant de celui-ci dans les marais du Delta. Ce buisson mythique devint le lieu d'un rituel royal d'union des hautes tiges qui le constituaient, prélude à l'union des plantes héraldiques du Nord et du Sud effectuée lors de l'investiture royale. Dans le traitement prescrit, on ne sera donc pas surpris de découvrir la plante seneb dont les fibres servaient à tresser le lien apotropaïque utilisé dans ce contexte.

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Le buisson de papyrus de Basse-Égypte dont les tiges sont réunies en colonne végétale à l'aide d'un cordon de type seneb et dont émerge l'Horus solaire et royal, d'après un ivoire phénicien d'Arslantasch, seconde moitié du 9e siècle av. J.- C., Musée d'Alep (Syrie), Inv. n° 305 (9875) (d'après le catalogue d'exposition Land des Baal, Mayence, 1982, p. 179, n° 165).

Si l'identification des plantes du lexique botanique égyptien reste difficile, ces rappels mythologiques permettent néanmoins de mieux comprendre le ressort de l'activité attribuée à un végétal qui, dans notre exemple, provenait sans doute d'un cordon utilisé dans des mimes sacrés ou dans des rituels royaux qui l'actualisaient de la sorte. Dans cette formule, l'association du cordon seneb à d'autres fibres végétales revêtirait même des accents synergiques en prenant en compte diverses liturgies.

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