Les plantes médicinales en Égypte pharaonique : du mythe à la médecine

Remèdes des rois et des dieux

Le souci de recourir à des drogues végétales éprouvées s'exprime parfois : « Connaître les choses (remèdes) qui doivent être préparées avec le ricin, telles qu'elles furent trouvées dans des écrits de l'ancien temps comme étant des choses utiles aux hommes ... vraiment efficaces un million de fois ». Ailleurs, c'est une formule capillaire qui est recommandée parce qu'elle avait été jadis préparée pour Cheche, la mère du roi Téti (VIe dynastie). En fait, c'est bien le caractère archaïque de l'utilisation de ces plantes qui en a magnifié le prestige, au point parfois de les intégrer aux mythes, à l'image de ces formules du Livre des Morts redécouvertes par un prince égyptien en visite à Hermopolis (Ch. 137 A).

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Un buisson de ricin (Ricinus communis L.) près de Scheich Abd-el-Gurna, dans la région thébaine (d'après SHOSKE, S., KREISSL, B., GERMER, R., Anch Blumen für das Leben. Pflanzen im alten Ägypten, Munich, 1972, p. 24, fig. 56).

Les parties de plantes utilisées, voire même les différentes qualités d'un même végétal, comme les exsudats gommo-résineux aromatiques des arbres à encens, étaient mises à profit soit à titre curatif, soit à titre préventif pour chasser les actions néfastes imputables à des dieux, à des génies vecteurs d'épidémies ou encore aux esprits de morts en errance. Citons ces préparations topiques qui contenaient des graines de plantes aromatiques ou oléagineuses, inconnues pour la plupart, dans le traitement des maladies de la tête. Ces formules décrivent Rê comme en étant le premier bénéficiaire, manifestement en souvenir de l'épisode mythique où le dieu soleil avait perdu son uraeus frontal, parti s'établir en Nubie, laissant ainsi sa tête royale sans défense.

Notons que la mention d'une cuisson suivie de la réalisation d'une composition homogène reflète déjà des connaissances en matière de formulation, encore que celles-ci ne fussent qu'un héritage de la cosmétologie sacrée. Relevons aussi les variétés de teinte rose ou rousse et à odeur nauséabonde de résines à usage rituel, considérées comme issues de l'œil de Seth et préconisées contre les maladies anales. Cet usage rappelait les pratiques homosexuelles de ce dieu maléfique et violent qui ne risquait pas d'importuner quelqu'un qui s'était prémuni en s'enduisant d'un produit venant de lui, à l'image des encadrements de porte des temples faits en bois rouge séthien, ce qui immunisait ces derniers contre les visites malveillantes de cet ennemi mortel d'Osiris. Les références mythiques feraient presque sourire dans ces cas...

Du mythe à la médecine

En conclusion, l'approche raisonnée des « plantes médicinales » de l'Égypte pharaonique doit prendre en compte des considérations sacrées, héritées des mythologies mais aussi des liturgies divines dans lesquelles elles trouvaient la justification de leur usage à des fins thérapeutiques. Si nous avons des raisons de douter de l'efficacité d'une telle démarche, certains résultats objectifs pourraient néanmoins avoir été obtenus en usage interne ou externe. L'huile de cade, utilisée jusqu'à une époque récente dans le traitement empirique du psoriasis, en conserverait la mémoire sous le couvert de l'huile sefetj obtenue à partir du génévrier oxycèdre. Enfin, il apparaît que le savoir-faire égyptien dans la préparation d'huiles et d'onguents rituels a contribué à l'essor de la future pharmacie galénique.

Pierre P. Koemoth
Février 2010

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Pierre Koemoth, pharmacien-biologiste et égyptologue,  enseigne la religion de l'Égypte ancienne à l'ULg. Il a notamment publié avec M.H. Marganne la bibliographie de la pharmacopée égyptienne et gréco-égyptienne (http://www.cedopal.ulg.ac.be) .


 

Orientation bibliographique
Th. BARDINET, Les papyrus médicaux de l'Égypte pharaonique, Paris, Fayard, 1995

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