De la chrétienté universelle à l'Europe moderne : quels liens entre Église et État ?

À l'aube de l'époque moderne, le modèle médiéval de l'imperium doit céder la place à l'Europe des États. Jadis singulière, la chrétienté latine devient plurielle. Il s'agissait d'une vaste communauté de croyants partageant une seule foi et dominée par le double pouvoir universel du pape et de l'empereur. Désormais, elle se divise en de multiples États. Toutefois, le passage de la chrétienté médiévale unitaire à l'Europe fragmentée des États modernes n'évacue pas le religieux de la sphère politique. Seule la nature du rapport Église-État change ou, pour mieux dire, s'inverse. Désormais, l'Église ne domine plus l'État mais passe à son service : elle lui est subordonnée et sert d'instrument à sa politique.

Les États confessionaux

Triomphent alors les États confessionaux dont les sujets sont contraints de suivre la religion que leur prince leur impose selon le principe « Tel prince, telle religion » (cuius regio, eius religio) ; s'ils refusent, ils n'ont d'autre choix que de partir. L'unité religieuse est en effet une exigence politique de la plus haute importance puisqu'elle assure à la fois l'union des sujets et l'obéissance à celui qui les dirige.

La situation est particulièrement claire du côté protestant. Dans l'Empire morcelé, les princes qui veulent se dégager de la tutelle impériale saisissent l'opportunité qu'offre la réforme luthérienne : en effet, Luther non seulement les invite à prendre en main l'organisation de l'Église mais il enseigne également aux fidèles une obéissance absolue aux autorités civiles, en se référant au verset de saint Paul selon lequel « toute personne [sera] soumise aux autorités supérieures » (Rom. XIII, 1). À Genève, Calvin donne aussi à l'État le pouvoir d'organiser l'Église, de s'assurer que la « pure doctrine » est suivie et que les principes de la morale chrétienne sont dûment observés. Du côté anglais, Henry VIII, excommunié par le pape, fait voter par le parlement l'Acte de Suprématie (1534) qui le reconnaît comme le chef suprême de l'Église.

Les princes catholiques empruntent la même voie : les Habsbourg de Madrid, « Rois Catholiques » intransigeants, ainsi que leurs cousins de Vienne font le grand nettoyage dans leurs territoires et royaumes où ils encouragent leurs sujets à un catholicisme d'État exalté. Cette politique confessionnelle conquérante se rencontre ailleurs, comme dans la Bavière des Wittelsbach. Partout, l'obligation religieuse de droit public fait loi : la religion d'État s'impose.

Des exceptions ?

Edit de nantes

Dans cette Europe où le pluri-confessionalisme est un signe de faiblesse, seuls deux pays semblent faire exception : la république bourgeoise des Provinces-Unies qui tolère les minorités religieuses, à condition qu'elles soient discrètes, et la France monarchique qui a mis fin à quarante ans de guerres de religion grâce à l'édit de Nantes, accordant aux protestants la liberté de culte et de conscience sur le territoire français. L'édit, toutefois, n'est qu'un compromis destiné à ramener l'ordre en attendant que soit trouvée la solution qui ramènerait une foi unique dans le royaume : les privilèges qu'il autorise sont progressivement rabotés jusqu'à sa révocation en 1685 par Louis XIV. La monarchie absolue ne pouvait supporter les dissidences : une foi, une loi, un roi. Plus encore, l'essence divine de la monarchie conforte le roi dans son sens aigu de ses responsabilités religieuses.

Bossuet

Bossuet est l'ardent porte-parole de ces principes et lorsqu'il reprend le verset néo-testamentaire Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu, ce n'est pas pour affirmer la séparation du politique et du religieux. Au contraire, il s'agit de rappeler que « se soumettre aux ordres publics, c'est se soumettre aux ordres de Dieu [...] car Dieu même l'ordonne ainsi pour le bien des choses humaines » (Méditations sur l'Évangile, XXXVe jour).


 
 
Illustrations : 
Édit de Nantes
Hyacinthe Rigaud (1659-1743), Portrait de Bossuet (Musée du Louvre, Paris)

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