Les photographies du Fonds Gustave Ruhl

Et puisque seule compte alors la valeur documentaire, cela donne des centaines de clichés décortiquant le vieux Liège avec très peu de considération esthétique : des menus formats peu flatteurs, des cadrages fantasques et des flous pas franchement artistiques. En l'absence du format « panoramique », Ruhl reconstitue photographiquement des édifices tirés en longueur en les découpant en morceaux qu'il assemble ensuite, à la manière d'un puzzle. Récemment émergée, la photographie figurait alors au panthéon des loisirs bourgeois, et elle arrivait à point pour alimenter le fonds documentaire constitué par Gustave Ruhl pour élaborer ses maquettes. Elle s'y assortissait de documents manuscrits, de croquis, de gravures, minutieusement collectés, ainsi que de l'ouvrage de référence notoire en la matière : Liège à travers les âges, les rues de Liège (1902) de Théodore Gobert, avec lequel Ruhl entretient d'ailleurs des contacts personnels. 

 

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Gustave Ruhl, Verviers - Eglise Saint-Remacle : trésor tabernacle dans la sacristie et bras-reliquaires (19 juillet 1913),
photographie (négatif), 1913, Collections artistiques de l'ULg, inv. 34778.
 
Dès 1900, Gustave Ruhl met sa passion au service de la Commission Royale des Monuments, et, dans une perspective d'archivage et de classement cette fois, fait défiler de nouveau la pellicule pour inventorier toutes les richesses architecturales de la Wallonie : des églises, des chapelles, les pièces d'orfèvrerie et autre patrimoine immobilier qu'elles renfermaient, des cimetières, des maisons de style, des châteaux, etc.

Enfin, un troisième type de photographies compose l'iconographie ruhlienne : des vues beaucoup plus personnelles cette fois. Pourtant, pas de portraits ou très peu. Non pas la vie, mais des lieux de vie. Comme toujours, des traces durables mais néanmoins périssables du passage de l'homme. De lui-même, en l'occurrence. Verviers, où il a grandi. Cologne, ville d'origine de son père, où Ruhl a passé une partie de son enfance. Pour le coup, des clichés dont la valeur historique s'apprécie d'autant mieux que la seconde guerre mondiale a très peu épargné la plus ancienne des grandes cités allemandes.

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Gustave Ruhl, Cologne - Heumarckt : pendant le marché (7 juillet 1905), photographie (négatif), 1905,
Collections artistiques de l'ULg, inv. 33086. 

Le répertoire colonais atteste par ailleurs de la fascination que les anciennes fortifications militaires exerçaient sur Gustave Ruhl. L'architecture défensive l'a d'ailleurs inspiré pour de nombreuses maquettes, dont celle de l'imposante porte médiévale Hahnenthor, premier ouvrage du genre à son actif, encore un peu maladroit et naïf. Enfin, au registre des photographies de cette trempe personnelle, on peut encore inscrire toutes les vues de la maison de l'hôtel de maître que Ruhl avait fait ériger avec sa femme Anna Hauzeur sur le boulevard d'Avroy, ou encore toutes celles de leur maison de campagne à Basse Hermalle, et de la ville de Visé non loin, dont les richesses architecturales avaient particulièrement attiré l'œil et l'objectif de Ruhl. Et l'intérêt du mécène ne connaissait pas de frontières, puisqu'il collectionnait également des photographies et des cartes postales de l'étranger : États-Unis, Rome, Carcassonne, Tolède, Grenade et bien d'autres.

À sa mort, en 1929, Gustave Ruhl lègue à l'État belge, au profit de l'Université de Liège, l'hôtel du boulevard d'Avroy avec le mobilier et les œuvres qu'il contient, dans l'espoir d'une reconversion de la demeure bourgeoise en musée d'archéologie. Mais, après d'âpres débats et de vives réflexions, l'ULg doit prendre la décision difficile d'abattre le bâtiment, et fait construire un home pour étudiants à la place, inauguré en 1958. Ruhl fait également don de 32 maquettes et plans en relief, d'un millier de pièces de monnaie, dont des monnaies grecques, de 2000 photographies, et de plus d'un millier de cartes postales, qui viennent étoffer les Collections artistiques de l'ULg.

Près d'un siècle plus tard, l'Université rend hommage à cet ouvrage de toute une vie, en dépoussiérant d'antiques négatifs parmi les plus représentatifs du travail de Ruhl et en procédant à des retirages, parfois délicats — le temps accomplissant inexorablement à son office d'altération — pour les exposer à la Galerie Wittert. Une exposition semi-permanente qui se tient en ce moment dans le cadre de la 7e Biennale internationale de la photographie et des Arts visuels de Liège.

Infos pratiques :

L'exposition sera ouverte jusqu'au 13 mars du lundi au vendredi  de 9h à 12h30 et de 14h à 17h, et le samedi de 10h à 13h.
Elle ouvrira également du 19 juillet au 18 septembre, et du 15 novembre au 22 décembre 2010.

 

Bérénice Vignol
Février 2010

icone crayonBérénice Vignol est étudiante en  2e année du Master en Information et Communication, finalité spécialisée en journalisme.

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