Espagne : Javier Cercas

Depuis une dizaine d'années, la Guerre civile a suscité une littérature d'une exceptionnelle  abondance : les présentoirs des librairies espagnoles n'en finissent pas de se  remplir de témoignages, d'essais, mais aussi d'ouvrages de fiction sur cette période noire de l'Histoire. Dans cette importante masse bibliographique, on passerait facilement inaperçu. Mais en 2001, un auteur a fait figure d'exception. Avec son roman Les Soldats de Salamine, Javier Cercas a bouleversé l'Espagne. Son récit suivant, À la vitesse de la lumière, l'a définitivement placé parmi les auteurs qui comptent.

Né à Cáceres en 1962, ce docteur en Philologie hispanique commence à publier à la fin des années quatre-vingts. Si ses premiers écrits - quelques romans, des nouvelles, des traductions d'auteurs catalans ou anglais - ne se font pas remarquer à l'époque, on y observe pourtant déjà les traits qui constitueront sa marque de fabrique. Car s'il y a une thématique qui fascine Javier Cercas, c'est la relation qui se noue entre fiction et réalité.  Ainsi, l'axe central de ses œuvres est bien souvent l'écriture d'un roman, roman qui parfois s'identifie avec celui que le lecteur a entre les mains. Quant aux personnages, écrivains, journalistes ou professeurs d'université, ils constituent autant de doubles fictionnels de Javier Cercas. Ces deux aspects conjugués induisent, au sein même de ses romans, une véritable réflexion sur la Littérature.

Le succès des Soldats de Salamine

soldats

En 2001, Javier Cercas publie Les soldats de Salamine, roman qui fera de lui l'auteur de best-sellers qu'il est aujourd'hui. Un million d'exemplaires vendus dans le monde, une dizaine de prix, une adaptation au cinéma et un Vargas Llosa élogieux qui affirme n'avoir pas lu de meilleur roman depuis longtemps : il n'en fallait pas plus aux journalistes pour parler de « phénomène Cercas ».

Les soldats de Salamine raconte la rencontre de Javier Cercas, un écrivain reconverti au journalisme, avec un épisode curieux de la Guerre d'Espagne : dans les derniers jours du conflit, Rafael Sánchez Mazas, le fondateur du parti nationaliste de la Phalange, voit sa vie sauvée par un jeune soldat républicain. Cercas entreprend alors de fouiller le passé, afin de raconter l'histoire surprenante de l'écrivain fasciste. Mais pour mener ce projet à son terme, il lui manque un élément : qui est cet homme qui, soixante ans plus tôt, épargna la vie de Sánchez Mazas ? Le récit prend alors des allures d'enquête policière, à une nuance près : c'est un héros, et non un coupable, qui est recherché. 

Javier Cercas a apporté un renouveau dans la littérature sur la Guerre civile, en insérant ce thème dans la dynamique du roman contemporain. À la fois autofiction et métafiction, Les soldats de Salamine place l'aventure de l'écriture au centre du récit. Ainsi, l'auteur met en scène son alter ego de fiction, un écrivain raté qui raconte les différentes étapes du processus d'écriture : la naissance du projet, la documentation et l'enquête, la première rédaction, les doutes. C'est à la fin du texte qu'il se dit enfin prêt à commencer la rédaction de son roman... Roman que nous lecteurs, venons de terminer.

S'il a séduit public et critique, le livre a aussi décontenancé, comme c'est souvent le cas quand on entreprend d'écrire sur un personnage controversé, au risque de le rendre sympathique. Un roman sur Sánchez Mazas, ce ministre sous la dictature de Franco ? Curieuse idée. Même Conchi, la petite amie naïve du narrateur, voyante à la télévision locale, tente de l'en dissuader : « Je t'ai déjà dit de ne pas écrire sur un facho ! Ces gens foutent en l'air tout ce qu'ils touchent. Pourquoi pas un livre sur García Lorca ? ». Mais Javier Cercas - l'écrivain de chair et d'os - ne prend pas parti : il veut comprendre, et non juger, les comportements humains. Et la Guerre civile ou la vie du leader nationaliste ne sont peut-être qu'autant de prétextes pour porter un émouvant message de rédemption. Car finalement, la construction du roman tend toute entière vers un final majestueux : en recherchant ce soldat qui a vu en Sánchez Mazas l'homme et non l'ennemi, le texte invite à une lecture universelle, suggérée dès le titre du roman, et rend hommage aux héros anonymes oubliés par l'Histoire.


 

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