« Nous sommes les ambassadeurs de livres venus du monde entier »

Les éditeurs travaillent avec différents directeurs de collections responsables de régions linguistiques précises. Au Seuil, Annie Morvan s'occupe depuis vingt ans de la littérature hispanique. Chez Albin Michel, Francis Geffard a créé la collection « Terres d'Amérique » et, depuis janvier, coordonne « Les Grandes traductions » où il a en charge le domaine anglo-saxon. Terrain privilégiée par le « Domaine étranger » que dirige chez 10/18 Jean-Claude Zylberstein, également fondateur de la collection « Pavillons » chez Robert Laffont.

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La langue espagnole n'a plus de secret pour elle. Traductrice de plusieurs romanciers hispaniques, dont Garcia-Marquez, Mario Benedetti ou Horatio Solas, Annie Morvan a dirigé une maison d'édition en Amérique latine avant de poser ses valises au Seuil après un crochet par Actes Sud dans les années 1980. Au sein de la collection étrangère de cet éditeur, dont les couvertures sont ornées d'un cadre vert qui les différencient du cadre rouge da la partie francophone, se côtoient des auteurs importants d'origines très diverses, tels Le Carré, Updike, Irving, Boyd, Mankell, Murakami, Gürsel, Calvino, Mo Yan, Fois ou Elisabetta Rasy. Plus une dizaine de prix Nobel, de Soljenitsyne à Herta Müller, en passant par Saramago, Coetzee, Grass, Böll, Jelinek ou Garcia Marquez. Et, donc, un bon nombre d'écrivains de langue hispanique. Les Espagnols Mendoza, Reverte, Montalban, Molina ou de Prada. Et les Latino-américains Sabato, Roa Bastos, Puig, Saer ou Volpi.

« Je fais mes choix parmi ce que me proposent les agents littéraires ou ce que publient certaines maisons d'édition qui connaissent bien le catalogue du Seuil, explique Annie Morvan. Notre but est de repérer des jeunes auteurs au très fort potentiel à la fois littéraire et narratif, qui racontent des histoires tout en ayant une originalité quant à l'écriture, et de les suivre afin de constituer un fonds. Depuis quatre ou cinq ans, nous en avons ainsi accueilli plusieurs auxquels nous croyons, tels l'Uruguayen Juan Carlos Mon dragon et le Colombien Juan Gabriel Vasquez, dont nous sortons en ce début d'année respectivement les troisième et deuxième romans, Passion et oubli d'Anastassia Lizavetta et Histoire secrète du Costaguana. Nous voulons constituer une pépinière de futurs grands auteurs. »

« Aujourd'hui, poursuit-elle, toute une génération d'écrivains latino-américains nourris d'une littérature venue de l'extérieur, des États-Unis ou d'Europe, a décidé de couper les ponts avec leurs aînés, Garcia-Marquez, Onetti ou Vargas Llosa, tout en les reconnaissant. Cela se sent dans leurs livres, ils parlent parfois moins de leur continent, ce qui n'était pas vraiment le cas il y a une trentaine d'années. »

Littérature anglo-saxonne

Pour chaque nouvel auteur, l'éditeur fait un travail énorme auprès des libraires et des médias, même si les uns et les autres vont en confiance vers une collection dont ils connaissent les qualités et atouts. Comme c'est également le cas de « Terres d'Amérique » fondée au début des années 1990 par Francis Geffard. « J'ai ouvert en 1980 une librairie à Vincennes et, lors de mes voyages en Amérique du Nord, j'achetais de nombreux livres. De fil en aiguille, j'ai eu envie de trouver pour eux un endroit où les ressembler et ainsi bâtir quelque chose correspondant à la vision que je pouvais avoir de la littérature américaine, qui était différente ce celle, très souvent urbaine, voire newyorkaise, présente à l'époque dans le paysage littéraire francophone. »

C'est ainsi qu'il a proposé à Albin Michel une collection d'auteurs nord-américains - étasuniens ou canadiens - appartenant à des communautés sous-représentées en traductions, l'Indienne par exemple, ou issus de régions rarement visitées, comme le Nebraska, le Dakota du Nord ou l'Arizona. « Plutôt que de traduire des auteurs qui avaient connu le succès dans leur pays, ma démarche a été, dès le début, d'essayer de repérer des jeunes écrivains, quitte à publier un genre réputé peu vendable comme la nouvelle. La littérature américaine recouvre des tas de réalités différentes. On y trouve une énorme diversité de thèmes, de style, d'origines, de communautés, etc. Je suis allé dans le sens de la complémentarité. »

« Terres d'Amérique » publie au maximum huit titres par an échelonnés sur autant de mois. « Face à l'augmentation de nombre de parutions, y compris en poche, la seule façon de réagir, pour que les livres aient une meilleure visibilité, est de publier peu, estime Geffard. Cibler ses efforts sur un écrivain plutôt que sur quatre permet de s'en occuper davantage et d'espérer ainsi de meilleurs retours. J'essaie d'avoir une vraie ligne éditoriale, j'alterne découvertes et auteurs un peu plus connus, romans et nouvelles, et j'évite de publier d'affilée deux livres aux sujets proches. Ces notions d'équilibre peuvent aider un livre ou un auteur à émerger. »

Pour « alimenter » sa sélection, Francis Geffard demande aux éditeurs américains de lui signaler des livres pouvant s'y inscrire, rencontre les agents lors de grands salons internationaux et « épluche » de nombreux suppléments et magazines littéraires américains. Il se renseigne aussi auprès de ses auteurs avec lesquels il entretient des liens étroits. Sans oublier d'acheter en librairie des livres parus aux États-Unis. « C'est un travail de documentation permanent, admet-il. On a beau traduire beaucoup d'auteurs anglo-saxons en France, il en reste encore des milliers. Certains d'entre eux passent donc forcément entre les gouttes, même après deux ou trois livres publiés. »

Même si les critiques sont attentifs à ce qui paraît dans « Terres d'Amérique », chaque nouveau titre doit être suivi. « Nous devons nous occuper de nos écrivains en trouvant une manière originale de les promouvoir. Nous les faisons venir en Europe, nous créons des événements et assurons leur présence dans des salons, nous leur faisons rencontrer des libraires, des journalistes ou des gens issus de régions dont ils sont originaires... C'est très compliqué. Comme ils ne sont pas d'ici, il faut tout faire à leur place. Je suis leur ambassadeur permanent. » La démarche est payante car, au fil du temps, Joseph Boyden (Le Chemin des âmes), Brady Udall (Le destin miraculeux d'Edgar Mint), James Welch (C'est un beau jour pour mourir) ou Dinaw Mengestu (Les belles choses que porte le ciel) ont connu de beaux succès sans être, a priori, des auteurs de best-sellers.

Depuis début janvier, avec le passage à la retraite de Tony Cartano, Francis Geffard coordonne l'autre collection étrangère d'Albin Michel, « Les Grandes traductions », où vient de paraître un recueil de nouvelles, Le bateau, signé par un jeune écrivain australien d'origine vietnamienne, Nam Le. Il y fédère le travail des différents éditeurs et conseillers tout en veillant à la destinée du domaine anglo-saxon.

C'est sur ce même terrain que se situe Jean-Claude Zylberstein. Cet avocat de profession a fait ses premières armes chez Julliard où il publiait quelques auteurs étrangers, avant de s'apercevoir que de nombreux livres traduits des années auparavant n'étaient plus disponibles. Il y a vu l'occasion de créer une collection qui regrouperait ce qu'il appelle des « raconteurs d'histoire » tels Forster, Somerset Maugham, Graham Green, Edith Wharton, Henry James, etc. Ainsi est né le « Domaine étranger » dans la collection de poche 10/18 alors dirigée par Christian Bourgois. « Il m'a fallu le monter de toute pièce car, à quelques exceptions, les Presses de la Cité, qui l'éditait, ne possédaient pas de catalogue étranger », se souvient-il.

« Incontestablement, c'est de Jim Harrison dont je suis le plus heureux, sourit-il. J'ai la faiblesse de penser que c'est par sa présence dans 10/18 qu'il a pris son envol. Je citerai également La Conjuration des imbéciles, de John Kennedy Toole, en 1989. Ou encore P.G. Wodehouse. » Il avoue aussi une tendresse particulière pour la « world fiction », c'est-à-dire des gens qui écrivent en anglais sans être originaires de pays anglo-saxons, comme Rushdie, Naipaul et d'autres. « Je pense que ces écrivains possèdent une dimension universelle qu'ont perdu les Français que je trouve, dans leur ensemble, trop nombrilistes », commente-t-il. Avant de rappeler que son catalogue affiche aussi des auteurs italiens, portugais, japonais ou de langue allemande.

Jean-Claude Zylberstein, qui a depuis créé la sous-collection « Grands Détectives », dirige aussi depuis 1995 « Pavillons », chez Robert Laffont. Y figurent des dizaines de prestigieux écrivains internationaux: Bohumil Hrabal, Dino Buzzati, Alfredo Bioy Casares, Jaan Kross, Roddy Doyle, Peter Ackroyd, Norman Mailer, Graham Green, Mario Rigoni Stern, Primo Levi ou Vladimir Nabokov.

Michel Paquot
Janvier 2010

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Michel Paquot est journaliste indépendant.