La médecine du 17e siècle, terrible et... cocasse
« Molière au Théâtre, les Médecins à la Ville » est née à l'initiative d'une jeune diplômée en Communication scientifique de la Haute École Léon-Éli Troclet, Natacha Andrien, qui effectua un stage à la Maison de la Science. Son mémoire de fin d'études, « Les médecins chez Molière : une œuvre de vulgarisation », a servi de fil rouge à l'exposition.
« Quand j'ai lu ce travail, je me suis dit qu'il y avait moyen d'en tirer une petite exposition », explique Martine Jaminon, directrice de la Maison de la Science. « D'autant qu'à ce moment-là, je venais de recevoir la collection d'instruments gynécologiques de l'Université de Liège. Par la suite, nous avons contacté le Dr Quentin Désiron, un chirurgien du CHU de Liège, qui possède une superbe collection d'instruments médicaux anciens et avons également pu recevoir des pièces de Notre-Dame de la Rose, le musée de la Médecine de Lessines. Au final, notre petite expo initiale a pris de l'ampleur. Mais c'est positif, car cela valorise le travail d'une étudiante qui est passée chez nous et permet aussi de rappeler que la science fait partie intégrante de la culture, chose qui est parfois compliquée à faire admettre. »
Photo © ULg-Michel Houet
Au final, c'est donc d'Anthropologie historique qu'il est question, pour reprendre les mots de Natacha Andrien. Comme toujours avec la Maison de la Science, l'exposition entend être accessible à un large public, et, grâce à un double niveau de lecture sur les panneaux, tout est prévu pour accrocher le public scolaire (dès la fin des primaires). C'est Madame de Maintenon, deuxième épouse de Louis XIV, qui nous sert de « guide » au fil d'une exposition décomposée logiquement en quatre « actes ».
Le premier est consacré à Molière, sa vie, son œuvre, et à la figure du médecin comme personnage de son théâtre. « La figure du médecin est tellement récurrente chez lui que certains pensent qu'il était hypocondriaque », souligne Natacha Andrien. « Et nous posons dès le début de l'exposition la question de savoir s'il était un vulgarisateur. Il l'est dans le sens où il sait s'adapter à son public, mais il l'est beaucoup moins dans le sens où, s'il dénonce les dérives et caricature beaucoup, il n'explique guère. Ceci dit, pour ses contemporains, ce rire a sans doute eu un effet dédramatisant sur une médecine qui, il faut bien le dire, était tout de même très difficile à l'époque. »
C'est ce que démontrent les deuxième et troisième actes, qui s'attachent respectivement aux petites et grandes maladies des personnalités politiques de l'époque et à la médecine, la salubrité publique et l'hygiène.
« Au 17e siècle, les sciences explosent, et on ouvre la porte aux Lumières, mais la médecine stagne », rappelle Natacha Andrien. « Pourtant, de très nombreuses découvertes majeures datent du 17e : les forceps, vers 1600 ; le thermomètre médical, en 1626 ; la circulation du sang par Harvey en 1628 ; le microscope, vers 1650 ; la description du cerveau, en 1664. Et puis, des Amériques vont arriver de nombreux produits, comme l'écorce de Quinquina, qui donnera la Quinine, utilisée pour traiter le paludisme. Mais toutes ces découvertes ne se traduiront par des avancées concrètes pour les gens qu'au 18e siècle. »
Au 17e, tout reste basé sur la théorie des quatre « humeurs » qui régissent le corps (sang, bile noire, bile jaune et phlegme) et dont l'équilibre doit être assuré : on saigne, on purge, on effectue des lavements, pour l'essentiel. On examine beaucoup les urines. Et on pratique l'irrudothérapie, en appliquant des sangsues ou des ventouses. « Il n'y a pas que du mauvais là-dedans, mais on en faisait beaucoup », sourit Natacha Andrien. « Louis XIII, qui souffrait sans doute de la maladie de Crohn, a subi, lors des deux dernières années de sa vie, 250 purges, 34 saignées et...1200 lavements ! Et lors d'une saignée, on retirait parfois jusqu'à trois litres de sang. »
Il faut dire que les médecins de l'époque étudiaient surtout la botanique (pendant six ans tout de même). L'étude anatomique n'existait guère, l'église refusant que l'on ouvre d'autres corps que ceux des condamnés à mort. « Et quand on en avait un, cela se transformait en spectacle auquel toute la bourgeoisie venait assister, pas des conditions idéales pour les étudiants ». Par ailleurs, les médecins ne posent pas d'autres actes que le diagnostic : les apothicaires, chirurgiens, barbiers et sages-femmes se chargent de poser les actes médicaux.
Tout cela, l'exposition l'illustre avec des costumes, livres, et de nombreux magnifiques instruments anciens. De quoi frémir devant la taille des clystères, destinés à effectuer les lavements, la rude simplicité des premiers forceps ou ces « perce-crâne » destinés à retirer les fœtus morts dans le ventre de leur mère. Pour ceux-là, il existait aussi une « seringue à baptême » permettant de les baptiser dans l'utérus ! « À l'époque, le destin d'une femme sur deux était de mourir en couches », rappelle Natacha.
Tout au long du parcours, Molière est présent via des extraits de ses pièces mettant en scène des médecins, de jolies maquettes de scènes réalisées par Guy Piron et des costumes de scène.
Dans le quatrième acte de l'exposition, grâce à une borne informatique et du matériel pédagogique adapté, les plus jeunes sont amenés à faire le point sur les connaissances acquises. Du matériel pédagogique est par ailleurs à disposition des enseignants.
Janvier 2010
Pierre Morel est journaliste indépendant.
Voir aussi l'article sur Reflexions
« Molière au théâtre, les Médecins à la Ville », du 18 janvier au 18 avril, à la Maison de la Science, Institut Zoologique, quai Van Beneden, 22 à 4020 Liège. Du lundi au vendredi, de 10h00 à 12h30 et de 13h30 à 17h00. Samedi et dimanche, de 14h00 à 18h00.
Pour en savoir plus : +32 (0)4/366 50 04 ou www.embarcaderedusavoir.ulg.ac.be