Angleterre : Iain Sinclair

Iain Sinclair credit Belinda Lawley

Iain Sinclair, né en 1943, est un romancier original et audacieux dont la réputation auprès des critiques s'est accrue ces dernières années, au cours desquelles il s'est vu décerner quelques récompenses prestigieuses sans pour autant que ses œuvres soient traduites de manière étendue. En fait, il est difficile de situer la voix novatrice de Sinclair dans un quelconque volet particulier de la fiction britannique contemporaine, et l'une des raisons de l'originalité de son remaniement de la forme du roman est peut-être qu'il a approché celui-ci bien des années après avoir pour la première fois expérimenté la poésie d'avant-garde et exploré les possibilités de film contre-culturel.

S'il fallait citer des antécédents en termes d'influence, le plus mauvais choix ne serait pas d'avancer timidement le nom de James Joyce, une figure majeure dont Sinclair se reconnaît ouvertement dans son œuvre, peut-être surtout dans le dernier chapitre de Downriver, encadrée par une épigraphe de Finnegans Wake (La veillée de Finnegan) de Joyce, et dans lequel le « narrateur à la première personne » de Sinclair - très bizarrement et spirituellement, et par une pirouette qui permet à Sinclair d'agréables moments d'auto-parodie - transfère la responsabilité narrative à l'un des autres personnages du roman, ce qui rappelle inévitablement l'intention presque incompréhensible de Joyce - à une époque de crise intellectuelle, financière et personnelle - de transférer à un moment donné la paternité de La veillée à un auteur mineur, James Stephens.

photo © Belinda Lawley

Mais si le fait de citer Joyce est peut-être trompeur, étant donné la différence en termes de contextes culturels et historiques, on pourrait reformuler les lignes d'influence en parlant de l'œuvre de Sinclair comme Joyce passé à travers une sensibilité paranoïaque qui interroge les aspects les plus sombres de l'obsession et des relations de pouvoir, et on pourrait mettre l'accent sur le fait que, tandis que la voix de Joyce était celle d'un exilé écrivant de manière obsessionnelle à propos du Dublin de son enfance, Sinclair écrit du point de vue de quelqu'un dont la psyché est entrecoupée avec la structure physique et les personnages contre-culturel de la ville à laquelle il est associé.

En effet, si un seul mot était autorisé à donner une idée de l'univers romanesque de Sinclair, ce serait : Londres. Véritable psychogéographe, Sinclair tente sans cesse de tracer les espaces marginaux de Londres, de fournir une cartographie littéraire qui va à l'encontre des cartes et des histoires « officielles » et normatives du centre impérial, politique et financier de la Grande-Bretagne, et de fournir des alternatives aux personnages et sites privilégiés par l'industrie conservatrice du patrimoine de la « plaque bleue ». Le projet de Sinclair souffrant également d'une forme particulièrement virulente de connectivite, il semble souvent écrire tout dans une seule phrase primitive, tout dire à la fois. Connecter, c'est nécessairement digresser, parcourir le terrain, ne rien manquer, et bien sûr ceci explique l'importance, dans son œuvre, de la marche - et de la « traque » - toutes deux littéralement et métaphoriquement. La prémisse de Lights out for the Territory, un recueil d'essais remarquables, c'est qu'au lieu d'être attiré et affecté par le schéma des zones chaudes stratégiques de la ville, comme ce fut le cas dans ses œuvres précédentes, ici, l'idée est de « tailler un V brut à travers la ville, brutaliser les énergies dormantes par un acte de pose d'enseignes ambulantes »1. Dans Lud Heat, un recueil de poèmes et de pièces narratives, Sinclair dresse un plan alternatif de Londres en dessinant des lignes reliant les différentes églises conçues et construites par Nicholas Hawksmoor, un élève de Christopher Wren, dans le cadre d'un projet visant à remplacer l'infrastructure londonienne détruite par le Grand incendie de 1666. Les églises, avec leur « force massive, presque construite par des esclaves »2 et « le magnétisme et la puissance de contrôle inavoués, code de force inhérent de ces lieux »3 (21) « sont un seul système d'énergies, ou une seule unité de relation, au sein la ville ; les vieux hôpitaux, les Inns of Court (Écoles de Droit), les marchés, les prisons, les maisons religieuses en sont d'autres »4 (17, 20). White Chappell Scarlet Tracings est pour sa part organisé autour d'un double récit : l'un concernant une théorie de la conspiration à propos de Jack l'Éventreur où l'identité du tueur en série est à découvrir dans les liens entre la famille royale et la franc-maçonnerie, et l'autre récit concernant un groupe contemporain de collectionneurs de livres marginaux qui tentent de traquer d'obscurs textes de la période de l'Éventreur, le XIXe siècle tardif. Les deux récits sont liés par le fait que les personnages sont à plusieurs reprises attirés par les mêmes sites de Whitechapel dans l'est de Londres.



1 ‘to cut a crude V into the sprawl of the city, to vandalise dormant energies by an act of ambulant signmaking.'
2 ‘massive, almost slave-built strength'
3 ‘the unacknowledged magnetism and control-power, built-in code force of these places'
4 ‘are only one system of energies, or unit of connection, within the city; the old hospitals, the Inns of Court, the markets, the prisons, the religious houses are others'

 

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