Le parcours d'Andreï Kourkov est bien mouvementé. Né en 1961 en Russie, le jeune Kourkov s'installe en Ukraine où il mène des études à l'Université pédagogique des langues étrangères et occupe un temps un poste de... gardien de prison avant de pouvoir se consacrer à son art. S'il a dû vendre lui-même dans les rues de Kiev son premier ouvrage publié à compte d'auteur, il est aujourd'hui membre du prestigieux PEN Club et auteur d'un des meilleurs best-sellers européens, traduit en une trentaine de langues. La plupart de ses œuvres plongent dans les réalités de la vie postsoviétique sur le territoire russe ou ukrainien.
Cosmopolite convaincu
Kourkov est un citoyen du monde, au sens social. Il aime transcender les frontières géographiques et linguistiques, pour s'imprégner, s'enrichir, des différentes cultures et modes de vie. Son espace vital s'étend au monde entier... Ses romans, il les écrit en russe, depuis son domicile de Kiev, mais il parle couramment sept langues et anime des rencontres littéraires sur quatre continents.
Dans son art aussi, il ignore les frontières : son écriture se situe à l'intersection de différents styles et genres littéraires, mêlant légèreté et profondeur, avec des personnages à la fois réels et surréalistes, qu'il met dans un contexte insolite, frisant parfois le grotesque, tout en les rendant crédibles, parce que inspirés du quotidien.
« Tout écrivain a besoin de son Pingouin »
« Écrire aujourd'hui ne relève pas seulement de la création, mais du travail permanent, dira Andreï Kourkov quelque temps après la sortie de son roman Le Pingouin (ou Le Pique-nique sur glace, en version originale). Du travail d'abord, parce que l'inspiration est comme une maîtresse : elle peut vous tromper ou vous poser un lapin. »
Kourkov commence à écrire des poésies à l'âge de 7 ans. Ensuite, ses poèmes cèdent la place à de courtes histoires drôles – mais philosophiques.
Au début des années 90, il emprunte l'argent nécessaire pour publier un recueil de contes pour enfants intitulé Histoires de Gosha, le petit aspirateur, qu'il devra vendre lui-même dans les rues de Kiev et de Moscou, pour rembourser sa dette, car la société chargée de la distribution a subitement disparu... Andreï Kourkov s'en tire plutôt bien : avec le surplus, il peut même s'acheter un ordinateur.
Ensuite, il écrit sept ou huit romans, toujours refusés. « On n'obtient de résultat qu'à condition de se démener, d'être proactif », insiste l'écrivain. Ainsi, chaque fois qu'il termine un roman, il en rédige le résumé en anglais, en traduit aussi quelques pages et les envoie à une soixantaine d'éditeurs et de magazines étrangers, ce qui constitue, à l'époque de courrier non-électronique, un exploit en soi. C'est ainsi qu'en 1997, les deux premiers chapitres du Pingouin attirent l'attention de l'éditeur suisse Diogenes. Le roman est publié et le succès international est au rendez-vous. Sa carrière commence réellement. « Chaque écrivain a besoin de son Pingouin », résume Andreï Kourkov.
Le Kafka ukrainien
Le succès de Kourkov est peut-être dû à ses personnages touchants, des gens ordinaires, mais vrais et forts, qui affrontent la vie du mieux qu'ils peuvent, prenant pour guide leur « impératif moral », mais n'hésitant pas à l'adapter quelque peu à la situation, quand le besoin s'en fait sentir. Il est aussi dû à son humour caustique mais finalement tendre, qui vise chacun en particulier et la société dans sa totalité à qui il manque « l'idéologie de l'optimisme national ».
Son succès est international, bien que les romans parlent surtout à un lecteur « avisé », celui qui se reconnaît dans le contexte, qui a vécu les réalités de la fin de l'empire soviétique et du début de la mise en place d'une démocratie parfois handicapée et instable. Ce public-là seul perçoit toutes les finesses du récit. Vraisemblablement, pour le lecteur étranger, les romans de Kourkov ont des traits communs avec le film Good bye, Lenin ! : des situations rocambolesques, mais sans aucune nostalgie communiste, paraissant tout à fait naturelles aux personnages qui s'y prêtent et agissent en conséquence.
Les critiques littéraires qualifient souvent Kourkov de Kafka ukrainien. « Ils [des lecteurs étrangers] croient que j'invente tout, que c'est de l'absurde. Mais en réalité, je ne fais que développer les situations que nous vivons au quotidien. Tout surréalisme prend ses sources dans la réalité, explique Kourkov dans une interview à un journal kiévien. L'art d'écrire consiste pour moi en une provocation de la réflexion. » Soulignons en passant que la situation sociopolitique de l'ancien bloc soviétique se montre bien fertile pour ce genre littéraire qu'est la réflexion ironique.