Max et les Maximonstres, le film

Ceux qui connaissent l'album de Maurice Sendak (lire à ce propos l'article de Michel Defourny) et qui ont entendu parler de son adaptation au cinéma se posent généralement la même question : comment, à partir d'un conte d'une dizaine de phrases, réaliser un film de cent minutes ? Quels sont les enjeux d'une telle entreprise ?

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On peut noter en premier lieu que le film conserve cette linéarité simple, concise et symétrique qui caractérise l'album : après s'être montré insolent, Max est grondé et privé de repas. Il met alors le cap sur le monde des « choses sauvages », où il peut participer à une « fête épouvantable » et où l'insolence ne semble guère poser problème. Et après avoir regretté d'être parti, il décide simplement de retourner dans sa chambre, où il trouvera son repas, tout chaud. On comprend que l'intérêt du conte réside moins dans sa suite d'événements que dans son dispositif de narration, construit comme un rêve et articulé pour rendre compte d'un univers à la fois enfantin et inquiétant. Et c'est ce qui, lors de sa sortie en 1963, l'a rendu problématique et controversé.

Le discours selon lequel « les enfants d'aujourd'hui » auraient perdu leur « innocence naturelle » est assez commun et répandu, tant dans les films, les dessins animés que dans les séries télévisées. Le fait qu'on ne puisse pas dire ou faire certaines choses devant des enfants est assez souvent tourné en dérision, parfois par les enfants eux-mêmes. L'enfant occupe d'ailleurs, paradoxalement, une place non négligeable dans les films censés être interdits aux moins de douze ou seize ans.

Du point de vue de la production cinématographique, les enjeux de l'éducation se sont vraisemblablement déplacés, pour se situer dans une attitude décomplexée face à ce qui pourrait être qualifié d'horrifiant, violent, dégoûtant, insolent, impertinent. Des films comme Le Cercle, Godsend, L'exorciste, Le sixième sens et plus récemment The children montrent à quel point, dans les films d'horreur, l'enfant peut être intégré comme sujet horrifié et/ou horrifiant. D'autres films, ouvertement adressés aux enfants comme les Harry Potter (dont certains épisodes sont interdits aux enfants, en Australie par exemple) peuvent être soumis au même type d'observation. La liste est longue, bien entendu.

Dès lors, souligner que le conte de Sendak fut l'objet de polémiques dans les années soixante, c'est également souligner que cette polémique n'a probablement plus lieu d'être aujourd'hui et que le geste considéré comme subversif en 1963 ne conserve plus, à l'heure actuelle, son caractère de subversion. Ceci dit, il est clair que l'album, dans sa forme et son support, s'adressait presque exclusivement à des enfants en très bas âge (entre trois et huit ans, probablement.) Faire lire l'album à un enfant de onze ans n'aurait probablement, aujourd'hui comme hier, que très peu d'impact sur sa conscience. L'impact de l'album se trouve plutôt dans l'univers qu'il parvient à construire dans l'imaginaire naïf d'un enfant qui ne distinguerait pas encore rêve et cauchemar.

C'est ici qu'intervient le film en tant que, d'une part, il vise un public plus large, et d'autre part, il accentue et pousse à l'extrême la description de ce « wild rumpus », cette « fête épouvantable » qui, dans l'album de Sendak s'exprime exclusivement par des images particulièrement expressives :

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L'observation attentive de cette image, par exemple, met en évidence un jeu de regards qui se donne véritablement à lire et à interpréter. Le travail de Spike Jonze, réalisateur et coscénariste du film, a été, après s'être plus ou moins conformé au début et à la fin de l'album, d'effectuer un exercice d'interprétation et de réappropriation de ces trois pages où l'on voit Max et les Maximonstres faire la fête. Le défi était d'étaler ces trois pages sur une heure de film pendant laquelle le scénario pourrait intervenir pour complexifier les relations, autant pour les personnages que pour les spectateurs ; il ne suffit plus de tourner quelques pages pour y échapper.

Le film prend ainsi le spectateur en otage et lui dépeint avec beaucoup de brutalité et de tendresse la peur et la joie qui se dégagent des circonstances extrêmes. Simultanément, Jonze met en évidence la fragilité des jeux de mains et l'ivresse des jeux de vilains, mais aboutit, avec Sendak, à une sorte de moralité selon laquelle l'enfant, pris dans le tourbillon de l'insouciance, ne peut en sortir qu'en devenant lui-même parent et en privant les Maximonstres de souper. En jouant sur ces paradoxes, comme l'album le fait en ajoutant « épouvantable » à « fête », le film parvient à cette atmosphère inquiétante qui le démarque de ces images paisibles, vives et contrastées de la plupart des films pour enfants, comme Arthur et les Minimoys, pour ne citer qu'un film analogue sur le plan du titre et du scénario.

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Quand on adapte un conte de dix phrases, ce n'est certainement pas difficile de s'y conformer à la lettre, puisque le principe même de la concision du conte est de faciliter le processus d'identification en laissant libre le lecteur d'interpréter et d'imaginer ce qu'il y a derrière les pages. Spike Jonze choisit cependant d'apporter des modifications, dont une qui attire l'attention, puisqu'elle constitue un élément clé de l'œuvre de Maurice Sendak : dans le livre, lorsque Max est grondé, il est renvoyé dans sa chambre, et c'est dans cette chambre que pousse une forêt et qu'apparaît l'océan qu'il traversera pour arriver au pays des Maximonstres. Dans le film, après s'être fait gronder, Max fugue dans un geste de protestation certes moins conventionnel, mais qui perd la part magique de la transformation, cette ouverture qui, au sein même de la claustration, est pourtant si proche de l'écran au sein de la salle de cinéma.

Le passage d'un support à un autre peut problématiser certains aspects de l'œuvre : d'une part, et c'est le point positif, il permet à Jonze d'exploiter au maximum la brutalité en jouant sur le contact physique (il était soucieux d'utiliser au maximum des corps-marionnettes réels et d'avoir le moins possible recours à l'image de synthèse) et la dissonance des sons et des cris qui forment la bande originale. Mais d'autre part, ce passage au format cinématographique semble contraindre le réalisateur à en dire trop, puisqu'il se sent obligé d'inscrire l'enfant dans un cadre familial déchiré, mais logique, classique, insinuant que l'impertinence de son caractère est liée à la relation de la mère avec le beau-père. Ce n'est que progressivement que la part d'irrationalité qui caractérise l'ensemble de l'album prend place au sein du film et qu'il se donne à voir comme un rêve merveilleusement déraisonnable.

Tout cela participe, au final, de ce travail interprétatif et met en évidence une certaine fidélité de l'adaptation qui, au-delà des détails scénaristiques, parvient à s'inscrire dans un univers qui sait, comme l'œuvre d'origine, griffer les esprits. Le film est projeté aux États-Unis depuis octobre, déjà. Il vous attend ce mercredi 30 décembre - encore tout chaud - et c'est l'occasion, en ce temps glacial et ces jours de fête, d'y emmener vos enfants (parents) et l'enfant (le parent) qui est en vous.

Abdelhamid Mahfoud
Décembre 2009

crayon
Abdelhamid Mahfoud est étudiant en 2e année de master en Arts du spectacle, finalité spécialisée en cinéma documentaire.

 


 

 

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