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Musique mixte, à la frontière des genres

11 décembre 2009
Musique mixte, à la frontière des genres

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La musique électronique contemporaine, malgré son apparente inaccessibilité au grand public, ne s'est pourtant pas coupée du reste de l'art. Elle a initié une nouvelle recherche de la spatialisation du son, de nouveaux rapports au monde.  La musique raconte la vie.  En novembre dernier, le Centre de Recherches et de Formations Musicales de Wallonie organisait son 11e festival de musique électronique live à Liège. C'est pour nous l'occasion de (faire) découvrir la musique mixte.

Fin des années 1960, le monde de la musique entame un virage important. De plus en plus d'artistes et ingénieurs du son sont sensibilisés par de nouveaux moyens d'expérimentation du son. Ainsi, Eddie Kramer, ingénieur du son de Jimi Hendrix, propose de passer les bandes enregistrées à l'envers. Citons aussi les Beatles, les Pink Floyd, King Crimson, toute une série de groupes qui vont énormément réfléchir sur le son, avant l'arrivée de la musique électronique de Kraftwerk.

Une pensée nouvelle, une recherche nouvelle

Aujourd'hui, l'électro est un genre à part entière, une philosophie de vie qui se mélange avec le rock, le jazz, la pop, le rap, etc. Les dernières générations de représentants de la musique classique intègrent également ces technologies, avec un engouement et une excitation face à l'expérimentation et à la nouveauté au moins aussi démesurés que chez les grands noms de la musique populaire. Vont donc se développer des institutions permettant l'élaboration de ces musiques contemporaines. Dans les années 1950 déjà, Pierre Schaeffer donne les premiers coups de griffe de ce tournant culturel. Parallèlement, des grands studios de musique électronique vont émerger. Le WDR (Westdeutscher Rundfunk) de Cologne, dirigé par Karlheinz Stockhausen à partir de 1962. Maderna et Berio fondent, eux, le studio de Phonologie Musicale au sein de la RAI en 1955. Notons chez nous le Centre de Recherches et de Formations Musicales de Wallonie, fondé par Henri Pousseur en 1970, ou encore l'Ircam en 1977 en France. Quelques grands noms vont dicter l'Histoire du « classique contemporain » de la musique électronique. Edgard Varèse, par exemple, et son Désert pour ensemble d'instruments à vent, percussion et sons électroniques de 1954, ou son Poème électronique de 1958, mais également Pierre Boulez ou Nono, parmi d'autres.

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D'un point de vue artistique, la musique électronique et la musique mixte (proposant des œuvres pour instruments et installations électroniques) entament leur voyage avec des aléas constants entre l'héritage du passé et une volonté de bouleverser les codes. Philippe Leroux, compositeur, témoigne. « Ce qui me semble fondamental, c'est qu'il y ait une interaction au niveau sonore entre l'électronique, les instruments et la voix, mais aussi une interaction au niveau conceptuel. Le fait d'utiliser l'électronique amène une pensée nouvelle, des concepts nouveaux, des outils nouveaux. Ce qui m'intéresse, c'est de remettre en cause les fondements mêmes de la musique. »

Deux extraits de Voi(rex) par Philippe Leroux :



Philippe Leroux  donne sa définition de la musique en tant que partage :

Gaëlle Hyernaux

« L'installation électronique peut être envisagée comme un nouvel instrument à part entière, développe Gaëlle Hyernaux, qui a présenté une de ses compositions au festival. Elle peut aussi être prise comme une prothèse d'un instrument, comme quelque chose qui nous donne un autre monde, une nouvelle manière de voir la musique. C'est un moyen d'élargir les possibilités de la musique acoustique, ou alors la possibilité d'appréhender le phénomène sonore par un tout autre côté. Elle permet de gommer tous les paramètres qu'on a dans la musique acoustique pour passer outre. Elle permet enfin de pousser les instruments classiques à leurs limites parce qu'il y a des machines derrière. Il y a une technique instrumentale qui évolue de par la musique mixte. »

Extraits d'Avatar ou à la recherche de l'ombre du 120 de Gaëlle Hyernaux  :





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Au-delà de la recherche de nouveaux sons émanant de l'instrument ou non, les musiques électroniques ont initié une nouvelle recherche de la spatialisation du son, qui se répète, qui bouge, qui évolue d'une manière différente à toutes celles que l'être humain a pu expérimenter jusqu'à la moitié du XXe siècle. « Il est vrai que la spatialisation du son n'a sans doute pas été une des préoccupations majeurs des compositeurs, explique Marie-Isabelle Collart, à la direction du CRFMW depuis 2002. Sauf l'un ou l'autre, peut-être. Mais ils n'avaient simplement pas des salles et des acoustiques comme celles qu'on arrive à construire aujourd'hui. En plus, de nos jours, le compositeur, derrière la console, maîtrise le son, il en fait ce qu'il veut. Les tables de mixage, les canaux et les possibilités multiples de placements, de répartitions des diffuseurs permettent cette réflexion, cette expérimentation sur la spatialisation du son. »

Marie-Isabelle Collart : la musique électronique, une évolution, pas une rupture :

Le fossé s'élargit ?

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« J'aime beaucoup Radiohead et David Bowie, confie le compositeur français Franck Christoph Yeznikian (sa page sur Myspace) quelques minutes avant la présentation de son œuvre. Ils ont apporté énormément à la musique. Mais est-ce que Thom York (chanteur de Radiohead, ndlr) connaît la musique contemporaine ? Les grands noms, oui, et heureusement. Mais le schisme entre la musique dite savante et la musique dite populaire s'agrandit de plus en plus. Il faut œuvrer, pour créer des ponts entre les deux. » Franck Christoph Yeznikian se bat bec et ongle pour créer ces passerelles. Après tout, il entre dans le monde de la musique comme batteur d'un groupe de punk rock avant de se diriger vers l'expérimentation et la composition contemporaine. Il tente de promouvoir cette musique sur les blogs. De faire comprendre qu'il y a une richesse, et qu'elle n'est pas profondément enfouie sous des mètres de terres occultes d'incompréhension. « David Sylvian, le chanteur du groupe Japan, vient de sortir un album, 'Manafon'. Il y a un travail extraordinaire des sons. Cet album propose cette connexion entre les deux. »

Extrait de PVLVERE (entre poudres et poussières) de F.C. Yeznikian :

Ce schéma d'une rupture entre deux genres de musiques ne date pas d'hier. Mais si elle existe aujourd'hui entre la musique contemporaine et la musique populaire, c'est bien au détriment de la première. L'absence d'un vedettariat dans cette musique contraste avec le culte de l'image, de l'idolâtrie qu'on peut observer au sein des arts plus populaires. « Nous sommes les parents pauvres de la musique. Et ça s'aggrave. Le rendement devient de plus en plus important, au détriment de la diversification. J'étais à la Fnac de Lyon, l'autre jour. Le responsable de la musique classique m'a montré un minuscule espace. Il reprenait l'ensemble de l'actualité de la musique contemporaine. Il y a quelques mois, il en avait deux rayonnages ! ».

Toutefois, cette rupture ne pourrait être vraie qu'en termes de réception du public. Cette musique permet d'intégrer à l'art de nouveaux outils, de nouveaux rapports aux sons, de nouvelles expériences. Mais au-delà de cette table rase, de la recherche d'un nouveau rapport au monde, ce sont des musiques connectées à leur passé (Mendelssohn, Satie, Haydn) mais également à leur présent. Et au-delà d'une influence parfois minime mais avouée de la musique populaire – la frontière est parfois poreuse –, ces œuvres sont les traces d'une interprétation artistique, du témoignage de moments de vie bien réels et de sensations simples que les compositeurs veulent partager :

écouter les extraits sonores « Philippe Leroux - la musique raconte la vie »

et « Marie-Isabelle Collart - pas de schisme, mais un manque d'accès à la diversité  » ).



Le CRFMW, mélomane et humaniste

Au-delà du festival de musique électronique live, le Centre de Recherche et de Formations Musicales en Wallonie œuvre de différentes manières pour favoriser la création et l'interprétation de la musique mixte et son accès au public. Sa création par Henri Pousseur traduit une réelle volonté pédagogique, d'accessibilité de la musique là où son enseignement disparaît de plus en plus des programmes scolaires. S'il reste aujourd'hui un studio de création, il aura directement influencé l'apport de la musique électronique dans les classes de composition et d'improvisation du conservatoire de Liège.

Notons également les bourses et les commandes que le centre offre à des compositeurs de talent pour la création de pièces nouvelles, comme ce fut le cas de PVLVERE (entre poudres et poussières) de Franck Christoph Yeznikian, présentée au festival le jeudi 19 novembre 2009. Parmi toutes les initiatives pour diffuser cette musique qui doit jouer des coudes pour se faire une place dans le paysage culturel de masse, il faut enfin noter la production d'albums, comme la coproduction du label Fuga Libera et du CRFMW « Percutronique », réalisé avec l'aide de la Communauté française et distribué par Outhere. Sorti pour les dix ans du festival de musique électronique live, cet album reprend trois œuvres de musique mixte, dont le Passacaille pour marimba et live electronics de Pierre Bartholomée. Œuvres interprétées par Jessica Ryckewaert, Gérald Bernard et Jean-Marc Sullon.  

                                                                                                                                             Philippe Lecrenier
Décembre 2009

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Philippe Lecrenier est journaliste, diplômé de l'ULg en information et communication à finalité presse écrite et audiovisuelle. Il évolue également au sein du groupe de folk rock Yew.


Pour se familiariser avec la musique mixte :

-         « Percutronique », créé par le CRFMW avec l'aide de la Communauté Française, distribuée par Fuga Libera.

-         « Voi(REX) » pour voix, 6 instruments et dispositif électronique (2002), de Philippe Leroux, sur base des textes de Lin Delpierre.

-          « Huit études paraboliques » (1972) de Henri Pousseur, éditées chez Sub Rosa, mais malheureusement épuisées pour le moment.


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