La réception de l'écriture hiéroglyphique à la Renaissance et aux Temps modernes

Parmi les documents qui firent forte impression sur les humanistes de la Renaissance figure encore la Mensa isiaca (ou Tabula Bembina), qui comprenait notamment de nombreux hiéroglyphes décoratifs. Elle fut ainsi largement exploitée dans les essais de déchiffrement ; de leur côté, les milieux alchimiques et occultistes n’hésitèrent pas à se l’approprier.

Si le Songe de Poliphile pouvait passer pour confus et hermétique, que dire alors de la Monas Hieroglyphica de John Dee (1527-1608), qui, selon Frances Yates, fut sans doute l’ouvrage le plus obscur jamais écrit par un Anglais ?  Pour ce savant, les hiéroglyphes égyptiens ne pouvaient être compris qu’en leur appliquant les principes numérologiques et les règles de permutation développés dans la cabbale hébraïque. Les spéculations de Dee sur les combinaisons de signes variés représentant des éléments chimiques prirent la forme de dessins symboliques qu’il appelle des hiéroglyphes.

Les hiéroglyphes égyptiens furent encore scrutés par ceux qui cherchaient à retrouver la langue adamique. En 1580, paraissait à titre posthume un traité Hieroglyphica, un de plus, dû à Johannes Goropius Becanus (1519-1572). Ce médecin anversois, qui avait travaillé, entre autres choses, à la Bible polyglotte, était arrivé à la conclusion que l’anversois était la langue du paradis. Les hiéroglyphes, dont on ne pouvait contester la très haute antiquité, avaient donc servi à transcrire l’ancêtre de l’anversois, qu’il appelle le cimbrique (par référence à l’ancienne peuplade des Cimbres) !

KircherSphinxMystagogaPour qui s’occupe des hiéroglyphes au 17e s., la figure d’Athanase Kircher (1602-1680) occupe une place centrale. Ce père jésuite, né à Fulda, mène l’essentiel de sa carrière à Rome au service des papes. Ces nombreux centres d’intérêt le poussent aussi vers des domaines aux limites de la science rationnelle comme la kabbale et l’occultisme. Comme d’autres intellectuels de son temps, il se passionne pour la recherche de la langue adamique. Véritable polyglotte, il se tourne vers les hiéroglyphes. Dans ces premiers travaux, Kircher se penche sur les relations entre le copte et l’égyptien ancien. Il formule l’hypothèse, d’ailleurs exacte, que le copte est le dernier avatar de la langue des Pharaons.

Kircher fut littéralement fasciné par les obélisques, que les papes ramenaient alors à la lumière. Poussant jusqu’à ses limites le mode d’explication symbolique, Kircher élabora un système d’interprétation dans lequel chaque hiéroglyphe était investi d’un poids symbolique considérable.

Dans l’Oedipus Aegyptiacus, sa pièce maîtresse, Kircher fait le point sur l’écriture égyptienne, rassemblant des courants divers comme le néo-platonisme, l’hermétisme et l’occultisme qu’il applique à toutes les disciplines scientifiques de son temps. Il y exploite les textes qu’il trouve sur les obélisques romains, mais aussi la Mensa Isiaca. L’œuvre – considérable – d’Athanase Kircher constitue un aboutissement dans la voie du symbolisme hiéroglyphique au-delà duquel il sera difficile d’aller. Très confiant dans sa méthode, Kircher alla jusqu’à composer lui-même des hiéroglyphes, comme le montre la dédicace figurant dans l’Oedipus. Comme on le voit, il s’agit d’hiéroglyphes qui pourraient cette fois passer pour des signes égyptiens, et non plus des symboles tirés du répertoire romain comme dans le Songe de Poliphile.

Mensa Isiaca

Mensa Isiaca

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