Lectures 2014 - Poches - Romans

 

MarieEmmanuelle Marie, Le Paradis des tortues

C’est en 2000 qu’Emmanuelle Marie, auteure de plusieurs pièces de théâtre née à Boulogne en 1965 et qui mourra d’un cancer sept ans plus tard, écrit ce premier roman (le seul publié de son vivant, Les Cils de l’ange a paru en 2008). Les tortues du titre, ce sont les «tordues», des enfants handicapés physiques qui vivent, en guise de «paradis», dans un hôpital érigé sur la Côte d’Opale. C’est dans cet univers où «t’as que ta peau et les copines» qu’arrive, un peu effrayée, la narratrice de «presque 12 ans» qui a «une jambe qui pousse plus vite que l’autre». Mais «la nouvelle» apprend vite et, bientôt, demander du «rab de frites» n’est plus un problème, même au restaurant avec ses parents. L’auteure raconte magnifiquement ce monde en-dehors du monde, ces vies parallèle aux autres. Ces enfants qui, comme tous les enfants, rêvent leur avenir mais, en attendant, se sauvent par un humour mordant, se singularisent par le regard franc, sans fard et souvent impitoyable qu’ils portent sur leur condition. Alternant les scènes dialoguées et les pensées de son héroïne, Emmanuelle Marie signe un roman d’une humanité aussi exceptionnelle que rare. (Minos)

 

GoffetteGuy Goffette, Géronimo a mal au dos

«Géronimo a mal au dos.» Par ces mots, le père de Simon répondait à celui qui demandait comment il allait. A sa mort, l’enfant devenu adulte, double de l’auteur, revient au village. Tandis qu’il veille le corps, il se souvient de cet homme qui dissimulait son amour derrière une forme de rudesse. Pendant des années, il a par exemple remis en état son château-fort mystérieusement disparu fin novembre et que Saint-Nicolas lui apportait remis à neuf. Ce roman évoque par petites touches quelques moments puisés dans ce jeune âge d’un garçon vif et débrouillard qui préfère la vie au grand air plutôt que l’école. Grandissant dans une maison sans livre, voyant même son premier confisqué puis perdu par son père, l’enfant découvre le plaisir de lire, puis d’écrire, grâce à son instituteur qui aimait la poésie. Et la découverte à 15 ans de Rimbaud est une révélation. Après avoir imaginé être boxeur (comme Cerdan), puis coureur cycliste (comme Bartali ou Robic), il veut devenir peintre suite à une exposition de nus à la mairie, Et c’est pour accomplir ce désir que, très jeune, il se marie et quitte le cocon familial. (Folio)

La collection Poésie/Gallimard reprend aussi trois recueils poétiques de Guy Goffette, Un manteau de fortune (2001), L’adieu aux lisières (2007) et Tombeau du Capricorne (2009), ainsi que volume consacré à Paul de Roux, Entrevoir, que préface le poète belge. Il y insiste sur l’attention portée par l’auteur aux «plus petites choses de la vie ordinaire», aux «faits les plus ténus», aux «moindres variations du paysage», aux «figures de rencontre», aux «lectures», sources de son inspiration poétique.

deRosnayTatiana de Rosnay, A l’encre russe

Il a 29 ans et tout pour lui. Paru trois ans plus tôt, son premier roman, L’Enveloppe, a connu un succès planétaire: trente millions d’exemplaires vendus, un film auréolé par un Oscar pour son interprète principale. Que de temps passé depuis la table de la cuisine de son petit appartement parisien où, indéfectiblement soutenu par sa femme Delphine, ce prof de philo racontait une histoire inspirée de celle de sa famille ! Il est aujourd’hui reçu avec tous les honneurs dans un hôtel de luxe de la côté toscane, le Gallo Nero, où il est venu se prélasser quelques jours avec sa petite amie, Malvina, très jolie fille, mais aussi extrêmement jalouse, qui fête ses 22 ans. Il est d’autant plus convaincu de son attractivité que cet accro aux réseaux sociaux reçoit des SMS particulièrement torrides d’une femme mariée rencontrée lors d’une séance de dédicaces à Berlin. Mais voilà: non seulement tombent plusieurs fois par jours, sur sa page Facebook des photos de lui prises par un énigmatique Alex Brunel, mais ses proches le battent froid: ni sa mère, ni son copain d’enfance qu’il a «oublié» de contacter ces dernières années, ne répondent à ses messages, et sa tante lui raccroche au nez. La seule à accepter d’encore lui parler, outre son éditrice, est sa femme qui, pourtant, l’a quitté, ne supportant plus «la créature médiatique» qu’il était devenu. Alors, finalement, il doit admettre qu’il n’est peut-être pas l’homme heureux qu’il croit être devenu. D’autant plus qu’il n’écrit plus car il n’a rien à écrire. (Le Livre de Poche)

RaveyYves Ravey, Un notaire peu ordinaire

Ce quinzième roman de l’auteur d’Alerte ou d’Enlèvement avec rançon fait preuve d’une parfaite maîtrise littéraire. Martha, son héroïne, s’inquiète du retour en ville de son cousin Freddy qui sort de quinze ans de prison pour viol. Veuve depuis quelques années, elle craint pour sa fille adolescente qui, par ailleurs, traîne un peu trop souvent avec le notaire dont le fils est plus ou moins son petit copain. Mais rien n’y fait: libéré pour bonne conduite, Freddy, nouveau jardinier municipal, peut aller et venir à sa guise. Yves Ravey ne souligne rien, laissant le lecteur se mettre dans la tête de cette femme volontaire pour comprendre ses sentiments et, partant, ses réactions. Dans cette petite cité dont les notables, imposant leur morgue aux classes moyennes et populaires, croient jouir d’une totale impunité, elle fera preuve d’une grande intelligence lorsqu’elle sera confrontée à un choix crucial. (Minuit Double)

 

OsterChristian Oster, En ville

Ils sont cinq, la soixantaine bien sonnée: Georges, Paul, Louise, William et Jean, le benjamin, et narrateur. Ils se retrouvent bientôt à quatre, après le décès du plus âgé. Et peut-être même trois, il est question d’une séparation. Ou quand même quatre, qui sait?, suite à une heureuse rencontre. En réalité, ils ne se connaissent pas très bien, se voient d’ailleurs peu pendant l’année, mais, depuis deux ans, ils prennent des vacances estivales ensemble. Après la Corse et Malte, ce sera cette année une île grecque, à défaut de la Toscane. Ou peut-être l’Hérault, finalement, on n’y est pas encore. Car dans l’intervalle, il se sera passé pas mal de chose: une mort, une possible désunion et une rencontre amoureuse donc, mais aussi un déménagement en bord de Sein et de voie rapide et une paternité aussi inattendue que peu souhaitée. Un roman subtil et limpide qui ravit. (Points)

 

PujadeRenaudClaude Pujade-Renaud, Dans l’ombre de la lumière

Il fut un temps où saint Augustin s’appelait Augustinus. Il n’était pas encore le vénérable barbu généralement représenté, ni évêque d’Hippone, ni Père de l’Eglise, ni auteur des Confessions, ni, par conséquent, un saint. Il était au contrait un beau et ardent jeune homme, de surcroît manichéen – religion considérée comme hérétique reposant sur la distinction entre les royaumes de la lumière (le Bien) et des ténèbres (le Mal) -, refusant l’idée même de l’incarnation. A cette époque, il vivait sobrement à Carthage avec une épouse qu’il aimait et dont il avait eu un fils, mais qu’il répudiera. C’est à cette femme oubliée par l’histoire, qu’elle nomme Elissa, que Claude Pujade-Renaud donne la parole. Choix peu surprenant chez une écrivaine qui s’est souvent penchée sur les destins féminins, ceux d’Anne-Marie des Ursins, Françoise de Joncoux ou Sylvia Plath notamment. D’une plume extrêmement sensible, l’auteure du Désert de la grâce rend compte d’une fin de siècle, le IVe, riche en bouleversements, le Dieu chrétien remplaçant notamment les dieux païens dont les défenseurs se voient à leur tour persécutés. Augustin s’engage alors sur la voix mystique, mais aussi dogmatique, qui fera sa gloire. (Babel)

 

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