Corinne Hoex fait partie de ces écrivains belges francophones qui passent avec un égal bonheur du roman à la poésie. Celles d’avant est un recueil de poèmes – de vrais poèmes, courts, en vers libres très brefs, portés par des anaphores, par des répétitions, par un rythme qui s’impose comme une évidence. Et pourtant, une forme de narration implicite sous-tend l’ensemble : ce recueil de poèmes porte en lui un roman, est enceint d’un roman – à moins, au contraire, qu’il n’en soit l’enfant, le résidu inattendu et secret. Roman virtuel ou roman transcendé, comme on voudra. Toujours est-il que le terme de « recueil », employé jusqu’ici pour désigner cette belle suite de poèmes envoûtants, n’est pas le bon. Il ne s’agit en effet pas d’un assemblage de textes épars, mais bel et bien d’un livre finement construit, agençant de courtes pièces qui renvoient toutes aux mêmes personnages : une petite fille en proie à ses terreurs nocturnes et des femmes adultes incarnant la peur, désignées par diverses expressions comme « les vertueuses », « les visiteuses », « les plus que femmes » ou « les reines mères ». Il s’agit d’une sorte de monologue éclaté, répétitif, immobile, mais le « je » prend ici la forme du « tu », comme si une adulte s’adressait à l’enfant qu’elle a été. En outre, çà et là, le texte devient polyphonique quand sont reproduites, en italiques, des bribes de paroles de « celles d’avant ». Ce dispositif singulier, à la fois subtil et puissant, présente l’avantage de laisser au lecteur une grande liberté et d’ouvrir en lui un espace de rêves oubliés, de souvenirs enfouis ou de fantasmes enfantins.
Laurent Demoulin
Corinne Hoex, Celles d’avant, Bruxelles, Le Cormier, 2013.< Précédent I Suivant >
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