Éditer en wallon en 2014 ?

Même dans les bonnes librairies, un lecteur peut fouiner pas mal de temps avant de trouver un livre écrit en wallon, en picard ou en gaumais. Pire, lorsqu’il parvient à en dénicher l’un ou l’autre, il s’agit souvent d’un ouvrage à l’apparence rétro, au charme douteux. C’est à croire que le monde de l’édition n’aime plus le dialecte. Pourtant, chaque année, plusieurs dizaines d’ouvrages de ce type paraissent et certains auteurs et éditeurs mettent un point d’honneur à en faire des ouvrages de qualité. Pour ceux qui en douteraient, un petit tour d’horizon s’impose.

Notre propos cherche avant tout à envisager l’édition contemporaine, mais il ne serait pas inintéressant de se pencher sur l’histoire de l’édition dialectale en Wallonie. En effet, on constate que ce type d’ouvrage suit une trajectoire bien particulière au cours des 19e et 20e siècles : des débuts timides largement soutenus par des associations littéraires, un foisonnement de la fin du 19e siècle jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, une certaine réserve entre les années 1950 et 1970, qui oblige les auteurs à s’assembler en associations éditoriales ou à publier à compte d’auteur, l’exploitation de nouveaux canaux dès les années 1980 : la bande dessinée, le conte pour enfants, l’ouvrage bilingue.

Nous nous bornerons ici à présenter un aperçu de ce qui existe aujourd’hui, et notamment la démarche de la Société de langue et de littérature wallonnes, dont les publications sont assurées par Esther Baiwir.

Pourquoi éditer en wallon et à propos du wallon aujourd’hui ?

ElnuitC’est peut-être la première question à se poser dans une Wallonie où tout le monde parle et comprend le français et où peu nombreux sont ceux qui pratiquent encore le dialecte. Il faut faire le constat que, à l’heure actuelle, des gens qui ont appris à lire et à écrire en français font pourtant le choix d'écrire en wallon. Pour les auteurs wallons, la langue dialectale est bien plus expressive. Et parce qu’elle présente un lexique plus concret (car c'est la langue d'une société essentiellement rurale, attachée à des modes de vies simples), elle force à recourir à des images puissantes. En outre, s’exprimer en wallon est une réaction face à une standardisation grandissante des cultures et des modes de pensées, qui permet de clamer son identité régionale.

El nuit d’avant l’ Noé, adaptation en picard tournaisien
de Bruno Delmotte, éditionsTintenfaβ.

D’une part, cette expression d’une identité wallonne explique que des services publics et des associations sans but lucratif se soient intéressés à cette littérature et cherchent à la sauvegarder. Même si elle est en perte de vitesse à l’heure actuelle, elle est le reliquat d’un patrimoine d’une grande valeur qu’il s’agit non seulement de contempler et d’étudier, mais également d’actualiser.

D’autre part, la recherche d’identité est devenue d’une certaine façon un argument commercial qui suscite l’intérêt des éditeurs privés. Ce phénomène sociologique est observé dans d’autres lieux en Europe. Les éditeurs peuvent donc reproduire un même schéma commercial en plusieurs lieux, là où s’observent les mêmes tendances.

Comment éditer en wallon aujourd’hui ?

tintinL’éditeur qui fait le choix de publier en wallon prend un risque certain. Quantitativement, le public est bien moins nombreux, bien que le travail de réalisation de l’ouvrage soit le même que pour un texte en français. Pour réduire ce risque, l’éditeur a plusieurs options qui conditionnent l’ouvrage dialectal : tantôt il recourt à l’édition bilingue, qui n’exclut pas les publics francophones, tantôt il  cherche à apporter à son produit fini une plus-value, qui se traduit généralement par des illustrations de qualité. Enfin, il propose souvent un même texte dans des parlers divers, au-delà du cadre de la Wallonie. Ainsi, un éditeur comme Tintenfaβ, basé en Allemagne, propose des adaptations d’un même texte dans une bonne trentaine de variétés linguistiques. On constate également qu’un éditeur de bande dessinée, comme Casterman ou comme Dupuis, ne proposera pas de BD en version wallonne ou picarde qui n’ait déjà sa version en français. Dans ce cas, les coûts de production sont réduits et la version dialectale permet une relance des ventes.

 

Version de « Les bijoux de la Castafiore »
en wallon namurois.



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