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Le Musée de la Vie wallonne, indissociablement lié aux dialectologues

05 mai 2014
Le Musée de la Vie wallonne, indissociablement lié aux dialectologues

Au-delà d’un travail pointu de description et d’explication, les dialectologues liégeois ont toujours veillé à préserver les traces d’un patrimoine immatériel menacé de disparition. Selon eux, ce patrimoine dépassait le cadre strictement linguistique ou lexical pour épouser les formes d’un ensemble bien plus vaste : la vie wallonne tout entière. Impossible pour eux d’étudier un dialecte sans veiller à garder les usages ou les objets qu’il nomme, ni le souvenir des gens qui le parlent. Ainsi, en plus d’être des observateurs attentifs à leurs propres parlers, ils devinrent les premiers conservateurs de leur région.

 

À l’origine de la création d’un musée wallon

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Auguste Doutrepont  © SLLW

L’idée de créer un musée wallon remonte à la fin du 19e siècle : à Liège, le projet du Musée du Vieux-Liège, même s’il ne rencontre pas le succès auprès du public, précède la création de nombreux musées similaires dans toute l’Europe. Mais l’idée ne meurt pas et refait surface lors du Congrès wallon de 1905. Ce sont surtout les efforts des membres de la Société de Littérature wallonne qui permettent à un nouveau projet d’être concrétisé. En 1909, Auguste Doutrepont, professeur de linguistique à l’Université de Liège, publie De l’utilité de créer un musée wallon, véritable manifeste.

Pourquoi une société de littérature défend-elle la création d’un Musée de la Vie wallonne ? Parce que le projet principal qui en occupe les membres à cette époque est l’établissement d’un dictionnaire global des langues wallonnes. Pour en assurer l’exactitude des définitions et pour faciliter l’illustration des publications linguistiques, la Société de littérature wallonne souhaite réunir dans un musée les objets, les dessins, les photographies et autres documents relatifs à la vie wallonne. Dès la fondation, l’équipe scientifique du Musée choisira de suivre l’orientation « des mots et des choses », qui ordonnera – partiellement – le mode de fonctionnement du Musée durant son premier quart de siècle, bien que, dans ce cas, la chose prime sur son nom.

 

Les premières années, une action main dans la main

 

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Les fondateurs du Musée de la Vie wallonne. Immel, Liège, 1913 © Province de Liège – Musée de la Vie wallonne

 

En mars 1913, le Musée est constitué, installé rue Feronstrée et dirigé par un triumvirat extrêmement efficace : Joseph-Maurice Remouchamps, gestionnaire hors pair, Henri Simon, excellent auteur wallon, et Jean Haust, futur professeur de dialectologie de l’Université. Tout le système de recherche et d’étude du Musée est calqué sur la démarche de la géolinguistique, qui sera si bien appliquée par Jean Haust dans ses recherches préparatoires à l’Atlas linguistique de Wallonie. Les enquêteurs privilégient l’étude d’usages contemporains, attestés par des témoins vivants, sans négliger l’étude livresque. Le réseau de correspondants est vraisemblablement repris à celui du Bulletin du dictionnaire wallon. Doit-on s’étonner du fait que les premiers enregistrements sonores réalisés par le Musée dès 1913 sont des conversations de locuteurs wallons s’exprimant dans leurs parlers ?

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Couverture du premier numéro des
Enquêtes du Musée de la Vie wallonne,
janvier 1924

 

Le Bulletin des Enquêtes du Musée de la Vie wallonne, périodique initié dès 1924 permet la publication des résultats obtenus par les équipes du Musée, mais aussi des recherches pointues. En 1926, Alphonse Maréchal y publie La Wallonie et ses divisions linguistiques, première tentative de cartographie des frontières linguistiques wallonnes. Joseph-Maurice Remouchamps y établira la Carte systématique de la Wallonie, véritable outil de travail pour localiser les faits linguistiques épinglés lors des enquêtes de terrain.

À cette époque, le Musée de la Vie wallonne est pour ainsi dire l’antichambre de l’Institut de dialectologie, fraichement créé à l’ULg. Cette proximité entre les deux institutions est si forte que l’on envisage même de créer une section d’ethnologie dont les cours seraient essentiellement assurés par Haust et Remouchamps – projet qui restera sans lendemain. Malgré tout, Jean Haust encourage ses élèves à s’y faire la main, en menant des enquêtes et en rédigeant leurs observations au sein du Bulletin. Le Musée peut également être considéré comme l’exécuteur technique de l’Institut. Le service d’enquêtes du Musée se voit confier la réalisation des travaux de cartographie et d’illustrations des articles et volumes publiés par le dialectologue, et notamment de La Houillerie liégeoise, et surtout du dictionnaire liégeois et du dictionnaire français-liégeois. Ces travaux, qui s’approchent davantage de l’encyclopédie populaire que d’un simple dictionnaire, demeurent un modèle de lexique dialectal complet.

En 1946, à la mort de Haust, Louis Remacle, Maurice Piron et Élisée Legros se répartissent ses domaines de recherche. C’est ce dernier qui lui succède grosso modo dans ses fonctions au Musée. Lui qui est défini par Louis Remacle comme « le dialectologue militant par excellence1 », assure l’essentiel du travail scientifique du Musée jusqu’à sa mort en 1970 : gestion du service des enquêtes, gestion des publications du Musée, rédaction de nombreuses recherches et du Guide du visiteur, tout cela alors qu’il assure les cours de Folklore wallon et de dialectologie wallonne à l’Université, et qu’il rédige le tome 3 de l’Atlas linguistique de la Wallonie. Pour les premiers tomes de l’Atlas, le Musée est encore une fois mis à contribution.


Des voies qui se séparent… quoique…

Dans le courant des années 1950, le rôle du Musée devient peu à peu plus didactique que strictement scientifique. Un service éducatif voit le jour et le visiteur devient l’objet de toutes les attentions. On imagine un nouveau parcours muséal, suivant les principes de Georges-Henri Rivière, qui s’accomplira vers 1970 dans le Couvent des frères mineurs. Les expositions temporaires se succèdent. Cependant, les liens avec les dialectes wallons ne disparaissent pas : des études se poursuivent2, les enquêtes sont maintenues, avec toujours le même souci de collecter les mots en même temps que les objets ou les savoir-faire.

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Le Musée de la Vie wallonne dans le couvent des Frères Mineurs
© Province de Liège – Musée de la Vie Wallonne

Au cours des décennies 1970-1980, alors qu’une équipe d’historiens et d’historiens de l’art a été engagée par la Ville de Liège, alors gestionnaire du Musée de la Vie wallonne, une nouvelle orientation est donnée aux recherches. On s’intéresse au quotidien des gens d’autrefois et les œuvres dialectales deviennent sources historiques populaires. L’intérêt pour les dialectes se maintient, grâce aux articles publiés par Jean Lechanteur3, élève et successeur de Louis Remacle à la chaire de dialectologie wallonne, grâce aux recherches de Françoise Lempereur et de Roger Pinon4, grâce encore à la présence de Marie-Thérèse Counet-Bettonville. Cette dernière, avant d’être attachée à la rédaction de l’Atlas linguistique de la Wallonie, fut responsable du Service des enquêtes du Musée et entreprit des enquêtes de dialectologie dont le contenu fut publié dans une série d’Ethnotextes de Belgique romane. C’est à elle que l’on devait l’élaboration d’une salle des dialectes qui offrait au visiteur la possibilité d’entendre les langues régionales de toute la Wallonie.

Photo Antonio Alaimo - PhotoClub IMAGE ULg

TonioAlaimoUn changement de conception

Après 1990, c’est la Province de Liège qui reprend la gestion du Musée. Ce changement s’accompagne aussi d’une modification de l’orientation donnée au Musée. L’institution ressent le besoin de renouer avec le contemporain et de redéfinir son projet. Dorénavant, elle se meut en musée de société. Est-ce alors la fin des relations amicales avec les dialectologues ? Certainement pas !

La Fondation d’Utilité Publique – Musée de la Vie wallonne, qui constitue en quelque sorte le conseil scientifique du Musée, compte encore d’éminents romanistes. On retiendra Jean-Marie Pierret, professeur émérite de l’UCL, Jean Lechanteur, professeur honoraire de l’ULg, et Martine Willems, professeur à l’Université Saint-Louis. Ceux-ci ont veillé et veillent encore à la qualité des publications, mais ont également participé à la rénovation du Musée en 2008, en aidant par exemple à l’aménagement de l’espace réservé aux dialectes.

Enfin, après 2006, c’est à travers la Bibliothèque des dialectes de Wallonie, intégrée aux collections du Musée, que l’essentiel de l’activité dialectologique s’exerce encore au Musée – voir l’article ci-contre. Même si les actions de conservation et de recherche scientifique se poursuivent, au cours de ce dernier quart de siècle, la mission principale du Musée, en matière dialectale, s’oriente désormais vers un travail de découverte et de promotion des langues dialectales. Dans ce domaine, le Musée cherche certainement à pallier la disparition de la transmission intergénérationnelle d’un patrimoine populaire immense et malheureusement trop méconnu. Cette action ne peut pas se faire sans continuer à entretenir d’excellents rapports avec les membres actuels de l’Institut de dialectologie et leurs élèves.

  Baptiste Frankinet
Mai 2014

 

crayongris2Baptiste Frankinet est journaliste indépendant et attaché culturel au Musée de la Vie wallonne


 

1  Remacle, L., « Élisée Legros », in Mélanges de folklore et d’ethnographie dédiés à la mémoire d’Élisée Legros, Liège, Musée wallon, 1973, p. 13.
2
On pense notamment à Tijskens, J.-P., Les noms du croque-mitaine en Wallonie, Liège, Musée de la Vie wallonne, 1965-1966 ; Remacle, L., Les noms du porte-seaux en Belgique romane, Liège, éd. du Musée de la Vie wallonne, 1968, coll. « études publiées par le Musée de la Vie wallonne », n° 2 ; Legros, É., Sur les types de ruche en Gaule romane, Liège, éd. du Musée de la Vie wallonne, 1968, coll. « études publiées par le Musée de la Vie wallonne », n° 3.
3
Citons, entre autres, « La fabrication du sirop à l’ancien système au Pays de Herve », in Enquêtes du Musée de la Vie wallonne, tome 13, p. 129-162, ou encore « Hây Martin. Une paskèye inédite sur la chevauchée de l’âne (Oreye, 18e siècle), in Enquêtes du Musée de la Vie wallonne, tome 14, p. 201-225.
4
Cette recherche conduit à l’enregistrement de 7 disques qui constituent l’Anthologie du Folklore wallon, CACEF, 1974-1981.


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