Le Musée de la Vie wallonne, indissociablement lié aux dialectologues
Au-delà d’un travail pointu de description et d’explication, les dialectologues liégeois ont toujours veillé à préserver les traces d’un patrimoine immatériel menacé de disparition. Selon eux, ce patrimoine dépassait le cadre strictement linguistique ou lexical pour épouser les formes d’un ensemble bien plus vaste : la vie wallonne tout entière. Impossible pour eux d’étudier un dialecte sans veiller à garder les usages ou les objets qu’il nomme, ni le souvenir des gens qui le parlent. Ainsi, en plus d’être des observateurs attentifs à leurs propres parlers, ils devinrent les premiers conservateurs de leur région.

 

À l’origine de la création d’un musée wallon

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Auguste Doutrepont  © SLLW

L’idée de créer un musée wallon remonte à la fin du 19e siècle : à Liège, le projet du Musée du Vieux-Liège, même s’il ne rencontre pas le succès auprès du public, précède la création de nombreux musées similaires dans toute l’Europe. Mais l’idée ne meurt pas et refait surface lors du Congrès wallon de 1905. Ce sont surtout les efforts des membres de la Société de Littérature wallonne qui permettent à un nouveau projet d’être concrétisé. En 1909, Auguste Doutrepont, professeur de linguistique à l’Université de Liège, publie De l’utilité de créer un musée wallon, véritable manifeste.

Pourquoi une société de littérature défend-elle la création d’un Musée de la Vie wallonne ? Parce que le projet principal qui en occupe les membres à cette époque est l’établissement d’un dictionnaire global des langues wallonnes. Pour en assurer l’exactitude des définitions et pour faciliter l’illustration des publications linguistiques, la Société de littérature wallonne souhaite réunir dans un musée les objets, les dessins, les photographies et autres documents relatifs à la vie wallonne. Dès la fondation, l’équipe scientifique du Musée choisira de suivre l’orientation « des mots et des choses », qui ordonnera – partiellement – le mode de fonctionnement du Musée durant son premier quart de siècle, bien que, dans ce cas, la chose prime sur son nom.

 

Les premières années, une action main dans la main

 

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Les fondateurs du Musée de la Vie wallonne. Immel, Liège, 1913 © Province de Liège – Musée de la Vie wallonne

 

En mars 1913, le Musée est constitué, installé rue Feronstrée et dirigé par un triumvirat extrêmement efficace : Joseph-Maurice Remouchamps, gestionnaire hors pair, Henri Simon, excellent auteur wallon, et Jean Haust, futur professeur de dialectologie de l’Université. Tout le système de recherche et d’étude du Musée est calqué sur la démarche de la géolinguistique, qui sera si bien appliquée par Jean Haust dans ses recherches préparatoires à l’Atlas linguistique de Wallonie. Les enquêteurs privilégient l’étude d’usages contemporains, attestés par des témoins vivants, sans négliger l’étude livresque. Le réseau de correspondants est vraisemblablement repris à celui du Bulletin du dictionnaire wallon. Doit-on s’étonner du fait que les premiers enregistrements sonores réalisés par le Musée dès 1913 sont des conversations de locuteurs wallons s’exprimant dans leurs parlers ?

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Couverture du premier numéro des
Enquêtes du Musée de la Vie wallonne,
janvier 1924

 

Le Bulletin des Enquêtes du Musée de la Vie wallonne, périodique initié dès 1924 permet la publication des résultats obtenus par les équipes du Musée, mais aussi des recherches pointues. En 1926, Alphonse Maréchal y publie La Wallonie et ses divisions linguistiques, première tentative de cartographie des frontières linguistiques wallonnes. Joseph-Maurice Remouchamps y établira la Carte systématique de la Wallonie, véritable outil de travail pour localiser les faits linguistiques épinglés lors des enquêtes de terrain.

À cette époque, le Musée de la Vie wallonne est pour ainsi dire l’antichambre de l’Institut de dialectologie, fraichement créé à l’ULg. Cette proximité entre les deux institutions est si forte que l’on envisage même de créer une section d’ethnologie dont les cours seraient essentiellement assurés par Haust et Remouchamps – projet qui restera sans lendemain. Malgré tout, Jean Haust encourage ses élèves à s’y faire la main, en menant des enquêtes et en rédigeant leurs observations au sein du Bulletin. Le Musée peut également être considéré comme l’exécuteur technique de l’Institut. Le service d’enquêtes du Musée se voit confier la réalisation des travaux de cartographie et d’illustrations des articles et volumes publiés par le dialectologue, et notamment de La Houillerie liégeoise, et surtout du dictionnaire liégeois et du dictionnaire français-liégeois. Ces travaux, qui s’approchent davantage de l’encyclopédie populaire que d’un simple dictionnaire, demeurent un modèle de lexique dialectal complet.

En 1946, à la mort de Haust, Louis Remacle, Maurice Piron et Élisée Legros se répartissent ses domaines de recherche. C’est ce dernier qui lui succède grosso modo dans ses fonctions au Musée. Lui qui est défini par Louis Remacle comme « le dialectologue militant par excellence1 », assure l’essentiel du travail scientifique du Musée jusqu’à sa mort en 1970 : gestion du service des enquêtes, gestion des publications du Musée, rédaction de nombreuses recherches et du Guide du visiteur, tout cela alors qu’il assure les cours de Folklore wallon et de dialectologie wallonne à l’Université, et qu’il rédige le tome 3 de l’Atlas linguistique de la Wallonie. Pour les premiers tomes de l’Atlas, le Musée est encore une fois mis à contribution.


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