Les dialectes wallons à la loupe
Qu'est-ce que le wallon ? Qu'est-ce que la recherche en dialectologie ? Depuis quand et comment étudie-t-on les dialectes de Wallonie ? Voilà quelques-unes des questions abordées ici, en guise de première approche à une matière souvent méconnue.

Lorsqu'on évoque les dialectes (ou patois, langues régionales, langues endogènes, selon les époques et les courants idéologiques) de Wallonie, c'est le mot wallon qui vient d'emblée à l'esprit. Ce terme est pourtant équivoque, car il désigne à la fois l'un des parlers du territoire roman de Belgique et, de façon générique, l'ensemble de ces dialectes. C'est à ce titre qu'on parlera, par exemple, du cabaret wallon à Tournai, en plein territoire... picard.

Reprenons donc. Dans la partie romane de notre petit pays, le latin a progressivement évolué pour prendre la forme de divers parlers, morcelés selon un critère géographique: à l'ouest, le picard, au sud, le gaumais et dans la plus grande part nord-est, le wallon stricto sensu, au sein duquel on peut différencier le namurois, le liégeois et des zones intermédiaires avec le picard et le gaumais. Deux traits parmi ceux servant traditionnellement à distinguer ces différents parlers permettront d'illustrer l'écart phonétique entre ces variétés. D'abord le traitement du k + a latin (par exemple dans cappellu), qui conserve son caractère occlusif en picard, tandis qu'il devient tch- ailleurs. Ensuite, le traitement du suffixe latin -ellu (par exemple dans bellu), donnant -yô en picard, -ia en namurois, en liégeois. Combinons ces deux traits et, pour traduire un beau chapeau, nous obtiendrons d'ouest en est in biô capiô (en picard), on bia tchapia (en namurois), on bê tchapê (en liégeois).

Wallonie
Variétés dialectales de la Belgique romane (A. Maréchal, Enquêtes du Musée de la Vie wallonne, t. 1 (1926), p. 274, cité in ALW 1, p. 65) 

 

Ces variétés ont durant des siècles porté la civilisation de l'actuelle Wallonie, servant à tous les échanges du quotidien, un quotidien où les horizons s'étendaient rarement en dehors de périmètres géographiquement limités. Cependant, à la faveur de facteurs divers, au rang desquels l'instruction obligatoire n'est pas le plus anecdotique, le français a progressivement évincé les dialectes, en Wallonie comme en France, d'ailleurs. Entre 1900 et 2000, la population majoritairement dialectophone est devenue presque exclusivement francophone, à l'exception de quelques poches de résistance ­— non pas tellement géographiques, mais plutôt sociologiques: on pense au théâtre, à la littérature, par exemple.

JeanHaustAu fil de cette disparition s'est fait jour le sentiment aigu d'un patrimoine à préserver et à étudier tant qu'il est encore temps. C'est dans ce contexte qu'émerge la première grande figure de la dialectologie liégeoise, celle de Jean Haust (1868-1946), qui sera le premier titulaire de la chaire de dialectologie à l'Université de Liège (dès 1920, soit respectivement 18 et 28 ans avant celles de Louvain et de Bruxelles !). C'est alors que prend corps le projet de l'Atlas linguistique de la Wallonie (ALW), la plus ambitieuse entreprise d'étude des dialectes belgoromans. Après quelques hésitations sur la méthodologie et sur la forme des futurs volumes, la campagne d'enquêtes est lancée en 1924. Il s'agit de sillonner les campagnes, avec une liste de plus de 2000 mots ou phrases sous le bras, et de recueillir la langue des témoins sous forme de traductions des énoncés français. La méthode, permettant une comparabilité des données, sera appliquée en plus de 300 points d'enquêtes par Haust et ses successeurs, soit dans toute la partie romane de la Belgique.

fiches

Jean Haust à sa table de travail


Les fiches

Page : 1 2 suivante