Inger Christensen, Alphabet

ChristensenInger Christensen (1935-2009) est considérée comme la plus grande poétesse danoise. Ce recueil a la particularité d’être construit sur une double contrainte ; la première est numérique — le nombre de vers des poèmes est régi par la suite de Fibonacci (le premier poème a un vers, les suivants 2, 3, 5, 8, etc.) —, la seconde alphabétique : chaque poème est saturé de mots commençant par un lettre correspondant à son rang (a, b, c, d, etc.). Sur cette base, les poèmes se succèdent dans un vertige croissant, où tous les éléments du monde sont nommés, brassés, cumulés. C’est dans le poème que se crée un monde de réel et de paroles, livrant la vie personnelle, le paysage, mais aussi le monde moderne et son désordre. Souvent le texte commence par la simple nomination des choses et l’affirmation de leur existence (en une formule récurrente), retrouvant par-là la fonction la plus primitive de la poésie :

la nuit de juin existe, la nuit de juin existe,
le ciel enfin comme porté aux hauteurs
célestes et en même temps abaissé aussi tendrement que lorsque
les rêves sont visibles avant d’être rêvés ; un espace comme
évanoui, comme rassasié de blancheur, un tintement sans heures

de rosée et d’insectes, et personne dans
cette filandre, personne ne comprend que
l’automne existe, l’arrière-goût et la réflexion
existent, n’existent que ces files fantastiques
d’ultrasons agités et l’oreille de jade
de la chauve-souris tournée vers la brume tictaquant ;
jamais l’inclinaison du globe ne fut aussi belle,
jamais les nuits oxydées ne furent aussi blanches,

si impuissamment dissoutes, blanches doucement ionisées ; […].

la neige
n’est pas du tout neige
quand elle neige
en juin

la neige n’est
pas du tout tombée
du ciel
en juin

la neige est
montée d’elle-même
et a fleuri
en juin

comme pommes
abricots
châtaignes
en juin

 

Gérald Purnelle

Inger Christensen, Alphabet, trad. Janine et Karl Poulsen, Ypsilon éditeur, 2013.
 

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