Dieu le Père planant, de Ernst Barlach
BarlachBARLACH, Ernst, Schwebender Gottvater ou Schwebender Mann, grès-porcelaine de Meissen, 50 x 33 cm, 1922, États-Unis, exemplaire conservé au Los-Angeles County Museum of Art.

 

L’œuvre pour laquelle j’ai été amenée à rédiger une notice est le Schwebender Gottvater (Dieu le Père planant) d’Ernst Barlach. La première difficulté à laquelle j’ai été confrontée était relative à sa localisation. En effet, l’emplacement de l’exemplaire de cette œuvre mis en vente à Lucerne en 1939 reste inconnu à l’heure actuelle. De plus, la date exacte de sa fabrication est également délicate à déterminer. J’ai commencé par contacter diverses institutions muséales possédant un exemplaire de cette œuvre ainsi que des fondations consacrées à l’artiste allemand. Malgré les nombreuses réponses, j’ai été forcée de constater que l’on ne disposait que de peu d'informations concernant la localisation actuelle ou la datation de cet exemplaire.

En effet, s’il est certain qu’après avoir été mis en vente en 1939 et acheté en 1941 par Bernhard A. Boehmer, ami et assistant du sculpteur, le devenir de la sculpture après 1941 est incertain, voir inconnu1. Cependant, grâce à la réponse de la Ernst Barlach Ratzeburg, j’ai pu avoir plus d’indications sur le mode de diffusion de cette œuvre à défaut de connaître sa situation actuelle. En effet, Ernst Barlach aurait fourni un modèle de cette œuvre (probablement en gypse) à la manufacture de Meissen2 en 1922 pour que des exemplaires en porcelaine blanche, en grès de Böttger (grès porcelaine) et en céramique soient produits3. Cette production aurait débuté en 1923 voire en 19244. Ces premières indications m’ont permis d’envisager un terminus post quem pour l’exemplaire de Lucerne (celui-ci est forcément postérieur à 1923 ou 1924).

Concernant le lieu de conservation initial avant la confiscation de l’œuvre par les nazis,  je disposais également d’une information de base : cet exemplaire, avant d’être acheté par Fischer pour ensuite être mis en vente, était apparemment conservé au Thaulow-Museum ou Landesmuseum de Kiel5. Afin que cette information soit confirmée, j’ai décidé de contacter la Barlach Haus de Hambourg. Celle-ci m’a conseillé de m’adresser à Élisabeth Laur, auteur d’un catalogue raisonné consacré à l’œuvre d’Ernst Barlach qui m’a elle-même invitée à m’adresser au Château de Gottorff à Schleswig possédant les collections du Thaulow-Museum6. Celui-ci m’a finalement fourni une indication essentielle concernant l’emplacement supposé de l’œuvre avant sa confiscation. En effet, il semble que la sculpture n’était pas conservée au Thaulow-Museum mais bien à la Kunsthalle de Kiel s’il on en croit la liste des œuvres d’art considérées comme dégénérées prises par les nazis7. Le Schwebender Gottvater y figure sous le titre de Schwebender Mann identifié comme une œuvre d’Ernst Barlach dans le feuillet consacré aux œuvres dérobées à la Kunsthalle de Kiel. Ce document fait également mention de l’achat de l’objet par Fischer pour la très modeste somme de 30 CHF. Cette dernière indication invite à penser que l’Homme planant repris dans cette liste serait l’exemplaire mis en vente à Lucerne8. La date d’acquisition de la sculpture par la Kunsthalle de Kiel  ainsi que les conditions exactes de sa provenance restent encore à déterminer.

Même si les recherches se sont avérées fastidieuses et si certaines zones d’ombre persistent, cette enquête s’est révélé des plus passionnantes. Malgré la documentation assez restreinte concernant cette sculpture, j’ai pu me familiariser avec l’œuvre si particulière d’Ernst Barlach et j’ai, je l’espère, pu attirer l’attention sur quelques caractéristiques clés de son travail par le biais de cette notice. Ces recherches ont permis également de mettre en lumière un aspect fascinant dans le domaine de l’histoire de l’art : la reproductibilité d’une œuvre. En effet, comment être certain de pister l’exemplaire de Lucerne lorsque l’on sait que la Manufacture de Meissen a produit de nombreuses reproductions dispersées à travers différents musées ou collections privées ? Certes quelques incertitudes demeurent mais il est possible de jeter un regard nouveau sur une œuvre lorsque les sources si variées soient-elles sont maniées et interprétées avec prudence.

 

Eva Trizzullo

 

 

 

 


 


1 BARRON, Stephanie, Works of art in the Galerie FischerAuction, in catalogue de l’exposition «Degenerated Art». The Fate of the Avant-Garde in Nazy Germany, Los Angeles County Museum of Arts, 1991, p. 148.
2
Meissen est la première manufacture de porcelaine implantée en Europe en 1710.
3
RISCH, Marianne, Ernst Barlach und Meißen in Weltkunst, n° 22, 1987, p. 3429.
4
RISCH, Marianne, op. cit., 1987, p. 3429.
5
BARRON, Stephanie, 1991, op. cit., p. 148.
6
Ce musée n’existe plus depuis 1941 et a rouvert ses portes au Château de Gottorf à Schleswig.
7
Le musée m’a envoyé un lien menant à un document PDF contenant la liste de toutes ces œuvres d’art soustraites par les nazis classées en fonction du lieu et du musée.
8 De plus, si le Château de Gottorf possède en effet un exemplaire de la sculpture de Barlach, celui-ci n’a été acquis qu’en 1972 par le musée. Dès lors, il est peu probable que l’exemplaire de Lucerne y ait été conservé avant sa confiscation. De plus, le Thaulow-Museum se concentrait davantage sur l’histoire culturelle et les acquisitions en matière d’art contemporain dans les années 20 et 30 étaient très rares.