L'art dégénéré : 12 ans de recherche universitaire et une exposition

Un plongeon dans l’architecture moderniste

Enfin, les toiles « dégénérées » liégeoises, ces « réfugiés illustres », comme les décrivait Auguste Buisseret, sont les « témoignages d’une époque tourmentée et magnifique3 ». Car, l’Entre-deux-guerres, époque fascinée par la modernité, la vitesse et les questions de bien-être, s’investit pleinement dans des nouveaux projets urbanistiques et culturels. La Ville de Liège, profitant alors d’un nouveau souffle économique et artistique, ne fait pas défaut à cette tendance. Sur la seule année de 1939, en plus de participer à la vente de Lucerne, elle organise une Exposition internationale consacrée à l’Eau, favorise l’édification du Lycée Léonie de Waha et sollicite la restauration du bâtiment de l’Émulation, place du 20-Août.

C’est au sein même d’un autre de ces vestiges prestigieux, les anciens bains de la Sauvenière (aujourd’hui Cité Miroir), que l’exposition d’art dégénéré aura la chance de prendre ses quartiers. La Piscine Sauvenière, bien connue des Liégeois et construite entre 1938 et 1942, reflète de manière significative la fin des années 1930 dans la cité mosane. Son esthétique, massive et fonctionnelle, ainsi que sa finalité sanitaire – voire protectrice, avec son abri anti-aérien – révèlent les considérations modernistes en vigueur dès cette époque en matière d’architecture, d’hygiène et de défense. Restaurée de fond en comble puis récemment inaugurée en janvier 2014, elle abrite aujourd’hui l’asbl MNEMA, destinée à favoriser la diversité, la tolérance et le dialogue, ainsi que l’association « Territoires de la Mémoire » (dont l’exposition permanente « Plus jamais ça ! » retrace l’histoire des camps de concentration), tous deux partenaires de l’événement.

Une chance inespérée, donc, pour la Ville de Liège, l’Université de Liège et la Cité Miroir, instigateurs du projet, de présenter une exposition d’une telle ampleur dans un cadre au passé significatif… 

 

Un projet universitaire de longue haleine  

Cette exposition, qui sera inaugurée à l’automne, est en germe depuis déjà quelques années à l’Université de Liège, par le biais de plusieurs chercheurs. Jean-Patrick Duchesne, professeur et directeur de département d’Histoire de l’Art de l’époque contemporaine, consacre, depuis plus de douze ans, ses cours d’Histoire de l’Art à retracer  la vente de Lucerne et met à contribution ses étudiants pour partir sur les traces de ces œuvres parfois perdues depuis des décennies. 

Pour ces dizaines de jeunes chercheurs, il s’agissait d’une réelle gageure. Pour « traquer » et localiser ces tableaux ou sculptures, disséminés à travers le monde, dans des collections privées, sur le marché de l’art ou quelques fois précieusement dissimulées, il leur fallait s’armer de beaucoup de patience et, souvent, de beaucoup de diplomatie (le tabou de ces « rafles » durant la Seconde Guerre mondiale, restant encore très sensible). En outre, ces artefacts au lourd passé, possèdent généralement un parcours très riche en péripéties. Certains d’entre eux ont sillonné les coins du monde pendant plusieurs dizaines d’années, passant de propriétaires en institutions, victimes ou bénéficiaires des sulfureux débats esthétiques dont ils avaient fait l’objet bien longtemps auparavant.

Au terme d’une enquête presque policière, ayant débouché sur de précieux contacts entretenus avec des scientifiques internationaux, beaucoup d’universitaires ont déniché des informations cruciales pour la connaissance de cet événement. Certains, même, sont parvenus à mettre la main sur des toiles considérées comme « volatilisées » depuis 1939 ! 

Ce qui n’était au départ qu’un travail pour un de leurs cours, s’est rapidement transformé, pour les étudiants, en une chasse effrénée aux nombreux rebondissements, à laquelle ils ont pris goût. Autant dire que c’est avec un grand enthousiasme qu’ils attendent l’aboutissement final de ce projet de grande ampleur.

 

10 Jacques OCHS, Portrait d'Emile BerchmansL’Université de Liège partenaire à plus d’un titre  

Les Collections artistiques de l’Université de Liège (Galerie Wittert), riches de plus de 60 000 pièces, peuvent s’enorgueillir de conserver des œuvres de plusieurs artistes listés à Lucerne : Marc Chagall, James Ensor, Marie Laurencin… Faisant écho à celles qui seront présentées à la Cité Miroir, ces peintures, esquisses et estampes du patrimoine universitaire seront exposées à la Galerie Wittert, conjointement aux productions d’artistes actifs à Liège durant les années 1930 : Jacques Ochs, Auguste Mambour, Luc Lafnet ou encore Idel Ianchelevici. 

Par ailleurs, en plus de sa participation active dans l’organisation de cette grande exposition, l’ULg collaborera à l’élaboration du discours pédagogique et des visites guidées, par le biais de l’Association des diplômés en Histoire de l’Art, Archéologie, Musicologie de l’Université de Liège (asbl Art&fact).

 

Jacques Ochs, Portait d'Émile Berchmans,
Collections artistiques de l'ULg

 

Stéphanie Reynders
Avril 2014

 

crayongris2Stéphanie Reynders est historienne de l’art et membre du comité organisateur de l'exposition «L'art dégénéré selon Hitler».


 

Infos pratiques

« L’art dégénéré selon Hitler » 16 octobre 2014- 29 mars 2015, à la Cité Miroir.

Pour plus d’informations sur l’exposition et les activités connexes : Cité Miroir

Dépliant exposition (PDF)


 

2
La Meuse, 12-13 août 1939, Liège, p. 5.
3 Discours de présentation des œuvres acquises à Lucerne, discours prononcé par Auguste Buisseret, cité dans La Meuse, 27 juillet 1939, Liège, p. 3.

Page : précédente 1 2 3