Édouard Louis, En finir avec Eddy Bellegueule

Louis Ce roman autobiographique est dédié à Didier Éribon [voir Retour à Reims, Fayard, 2009, recension de Denis Saint-Amand, Lectures 2013] et ce n’est évidemment pas par hasard. Le  parcours est parallèle, celui d’un jeune gay né dans une ville ou un bourg de province (ici en Picardie, autrement dit chez les Chtis). Né surtout dans ce milieu ouvrier qui n’a pas plus de futur que les punks de l’Angleterre de Miss Thatcher. Pas de guimauve dans ce roman, car il est écrit pour faire le point, pour tenter de cicatriser, après ce « double déchirement » de l’habitus : la vérité est parfois très dure : un jeune homo, qui veut étudier la sociologie à Normale Sup et passer par un lycée d’Amiens pour s’y préparer, ne peut tout simplement pas s’épanouir dans un univers social qui ne ressemble pas du tout  à la représentation qu’en ont les bobos  – et c’est pourquoi le livre a été tellement attaqué, sans doute :   oui la violence est partout, dans la sphère familiale, dans les cafés, dans les bouches racistes qui crient « pédés » ou « bougnoules » à longueur de journée, dans les poings qui se donnent sur la gueule. C’est moins politiquement correct que le film Bienvenue chez les Ch'tis, c’est sûr ! Et puis dans le film de  Dany Boon on ne crache pas de « gros mollards verdâtres » à la figure des garçons  efféminés. On ne s’encule pas non plus. Tandis que dans le livre de Louis, il arrive aux jeunes mâles  de jouer entre eux au film porno : « Lève un peu ton cul […] Prends ma bite, Tu la sens bien ». On n’est clairement  pas dans le même registre et ça peut  encore choquer. Mais contrairement à ce qui a été écrit sur la toile, le livre n’est pas caricatural : il y a de l’empathie, de la tendresse (de l’amour ?) et… beaucoup de honte aussi, vraiment beaucoup de honte (comme chez Éribon ou Saint Genet).
Malgré la dureté du propos, on comprend la vie du père, de la mère, des frères. On comprend à quel point il est dur de vivre dans un monde où le travail abrutit les corps et le chômage, les âmes, sans espoir, sans avenir. On comprend aussi à quel point il est douloureux de se constituer contre sa famille et de s’arracher. On comprend enfin  pourquoi Bellegueule a aussi dirigé l'ouvrage de Pierre Bourdieu : l’insoumission en héritage (PUF, 2013).

Stéphane Dawans

 

L’un des romans qui a fait l’année qui vient de s’écouler, en suscitant notamment une vive polémique à sa sortie. L’auteur, aujourd’hui normalien, annonce d’emblée : « De mon enfance, je n’ai aucun souvenir heureux ». Suit un récit des origines où la violence, symbolique et physique, sourd à chaque coin de page. Violence d’une condition ouvrière subie par la famille d’Édouard, dont la description met à mal les clichés romantiques de la sancta paupertas. Violences en tout genre subies par le narrateur, en porte-à-faux au sein de cet univers où on lui reproche d’abord ses « manières » avant de lui faire regretter son homosexualité quand on la découvre. Le roman, mâtiné d’une réflexion sociologique héritée des travaux de Pierre Bourdieu, dialogue avec ceux d’Annie Ernaux ou avec le superbe Retour à Reims de Didier Eribon. Pour autant, il n’a pas suscité une réception uniquement enthousiaste : certains y ont vu une trahison envers les siens, une logorrhée misérabiliste ou une application un peu simpliste des outils de la sociologie. Reste qu’il s’agit, indubitablement, d’un texte fort, qui ne peut laisser indifférent.      

Denis Saint-Amand

 

Édouard Louis, En finir avec Eddy Bellegueule, Seuil, 2014, 219 p.

 

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