Théâtres universitaires : des réalités bien différentes

TURLg - La Salle - 006

 

Les portes du Théâtre universitaire liégeois sont ouvertes à tous, sans discrimination de statut ou d'âge : étudiants de toutes facultés, voire étudiants non universitaires et personnes extérieures de tout âge, disposant ou non d'une expérience de la scène. Les spectacles en préparation sont proposés en début de saison académique par des "chefs de projets" (universitaires ou non, parfois professionnels, parfois amateurs, voire novices en la matière) qui en assument la coordination et, en fonction du processus de travail, la mise en scène. Les intéressés sont invités à s'y inscrire librement, sous la seule condition d'un engagement tacite sur un an, ou parfois deux. Arrivés à maturation, ces projets sont présentés à raison d’une dizaine de représentations, et parfois assortis de tournées à l'étranger. Notons que si les projets sont choisis en accord avec la direction du théâtre, une fois initiés avec le groupe de comédiens, ils se développent dans une autonomie presque complète.

LORCA scan01 002Deux particularités se dégagent également dans les activités du théâtre universitaire liégeois. La première est l'organisation, depuis 1983, des RITU6, festivals rassemblant chaque année une dizaine de troupes universitaires venues des quatre coins du globe. Assortis de workshops et de conférences, ces RITU représentent un véritable lieu d'échange et de réflexion sur la création artistique en université. Le festival, qui a fêté en 2013 son trentième anniversaire, a accueilli près de 50 troupes de 150 pays différents au cours de son existence. Le deuxième trait distinctif du TURLg, et non des moindres pour un théâtre universitaire, est l'organisation d'ateliers pédagogiques à destination des enfants et des adolescents, encadrés par des professionnels, le plus souvent membres, actuels ou passés, du TURLg.

Tous les théâtres universitaires ne répondent pas aux mêmes objectifs que celui de Liège et ne bénéficient pas de conditions de travail similaires, loin s’en faut.

La faculté des Arts de Tel-Aviv en Israël7, par exemple, offre à ses seuls étudiants en théâtre la possibilité de participer à un certain nombre de spectacles encadrés par des professeurs, et ce dans une multitude de rôles (interprétation, production, mise en scène...). Des professionnels de la scène sont régulièrement invités à participer à ces spectacles pour favoriser l'intégration des futurs diplômés. Il y a deux volets dans le cursus : une partie davantage axée sur la recherche et la production, et une autre centrée sur la production artistique. On remarque aisément que le principe du théâtre universitaire fonctionne ici en vase clos : lié à une faculté d'étude du théâtre, exclusivement destiné aux étudiants de cette faculté, hermétique et orienté vers un objectif de résultat : la formation de professionnels du spectacle.

Dans un tout autre objectif, François Legrand, dans sa réflexion sur le théâtre universitaire en France, souligne la nécessité pour les universités françaises de créer, conformément à leur mission de diffusion de la culture8, de favoriser la mise en place d'espaces d'expression culturelle pour les étudiants, car le théâtre universitaire n'est, selon lui, "pas un théâtre amateur ni un théâtre professionnel, ni même le théâtre des amateurs ou le théâtre des professionnels"9. Il serait "le théâtre de l'Université et un théâtre dans l'Université"10.  On remarque dans cet état des lieux la vision d'un théâtre comme vecteur de l'apprentissage de la citoyenneté, de l'échange et du rapport à l'art sous toutes ses formes - un outil pédagogique indispensable aux universités.

Ces quelques exemples attestent de l'extrême variété des formes que peut prendre le théâtre universitaire. On pourrait presque se demander une fois de plus, s’il ne serait pas préférable d'abandonner l'expression "théâtre universitaire", assez restrictive, impliquant une certaine forme propre et circonscrite au théâtre pratiqué à l'université, pour celle de "théâtre à l'université", plus souple et plus large, mettant davantage en avant la question des modalités d'exercice du théâtre au sein des alma mater ? Cette question n’est pas nouvelle, on la posait déjà lors du Congrès de l’AITU en 1994. Vingt ans plus tard, on constate que les responsables préfèrent insister sur les liens d’appartenance à l’institution, estimant que ces liens donnent au théâtre universitaire sa spécificité. Sur son site web, l’AITU elle-même semble d’ailleurs hésiter entre les appellations.

 

Le potentiel du théâtre universitaire

Quelles que soient les formes diverses prises par le théâtre universitaire depuis son existence, ce qui pourrait le caractériser ne relève pas vraiment des critères distinctifs en termes d'esthétique ou de méthode de travail, mais plutôt du spectre large de liberté qu'il offre à ceux qui le pratiquent, sans que cette caractéristique lui soit exclusive. En effet, le théâtre amateur offre peu ou prou la même liberté dans la plupart des cas.

P1030136En extrapolant quelque peu les propos de Jacques Nichet, on peut avancer que le théâtre universitaire, qu'il fasse preuve d'une ouverture complète comme le TURLg ou qu'il se consacre davantage aux futurs professionnels de la scène comme le TU de Tel-Aviv, semble avant tout revêtir la forme d'un théâtre pour les étudiants, et des étudiants. Mais aussi la potentialité du théâtre offert aux étudiants comme moyen de découverte de soi, d'échange, de plateforme d'expression, de recherche et de rencontre. Outre l'évidence du lieu dans lequel ce théâtre se pratique, quels que soient les objectifs, la composition, les moyens et les résultats, le dénominateur commun entre ces troupes est bien la pratique du théâtre par des étudiants.

Le RITU incarne bien cet esprit de pluralité et de diversité, accueillant des troupes dont le nombre et l'origine des comédiens, le type de travail, le théâtre proposé, et les moyens sont sans cesse fluctuants. Quels rapports peut-on trouver entre une troupe française d'étudiants ingénieurs venus présenter une pièce du répertoire classique, trois comédiens venus d'Ouagadougou monter le texte d'un auteur liégeois, des Biélorusses présentant un projet original de théâtre-danse dont l'exécution requiert un entraînement technique de plusieurs années, de très jeunes Québécois présentant un spectacle dont l'objectif est la préparation à l'entrée à une école dramatique supérieure, et une troupe de Croates, dont la moitié sont des semi-professionnels, présentant une performance de théâtre physique ?

Qu'il s’inscrive dans une pratique spontanée, encadrée, pré-professionnelle ou professionnelle, le théâtre universitaire semble se présenter sous la forme d'une main tendue aux étudiants. La variété dans la forme des spectacles - et dans une certaine mesure, dans leur qualité – résulte des objectifs fixés par les autorités académiques et  de l'adaptation à des réalités institutionnelles et sociopolitiques bien différentes.

Au sein d’une même institution, les projets peuvent aussi varier considérablement. Ainsi, à Liège, chaque groupe mobilisé autour d'un spectacle fonctionne comme une troupe autonome qui, sous la direction du chef de projet, avance à tâtons vers la réalisation d'une forme plus ou moins aboutie, qui corresponde aux souhaits de l'ensemble du groupe, de ses ambitions et de ses objectifs propres. On verra certains groupes travailler et répéter plusieurs fois par semaine pendant plus d'un an, d'autres beaucoup moins fréquemment. On sent dans certaines propositions la simple envie de se faire plaisir en jouant, sans vraiment ressentir le besoin impérieux de présenter son travail au public, alors que d'autres projets plus ou moins originaux sont manifestement conçus pour aboutir à un spectacle de bonne tenue qui séduira le public. Le TURLg semble assumer cette disparité depuis l'introduction de saisons incluant une dizaine de spectacles par an. Le plus important, dans le cadre du théâtre universitaire liégeois, reste qu'il offre les ressources, les outils et les infrastructures propices à un travail de recherche et qu'il renferme donc cette potentialité d'un théâtre à l'image de ceux qui le pratiquent. Et c'est probablement là sa plus grande richesse.

 

 

Kevin Jacquet
Juin 2014

 

crayongris2Kevin Jacquet est diplômé en Arts du Spectacle. Il a longtemps été membre du TURLg.

 

GERMAY Robert, POIRRIER Philippe (Dir.), Le théâtre universitaire. Pratiques et expériences, Ed. Universitaire de Dijon, Coll. U-Culture(s), Dijon, 2013.


 

 

6 Rencontres Internationales de Théâtre Universitaire.
7 ZOHAR Ouriel, Le théâtre en Israël in GERMAY Robert, POIRRIER Philippe (Dir.), Le théâtre universitaire. Pratiques et expériences, Ed. Universitaires de Dijon, Coll. U-Culture(s), Dijon, 2013, pp. 105-114.
8  Mission des universités propre à la France, absente en Belgique.
9 LEGRAND François, Les centres culturels universitaires : une opportunité pour le théâtre universitaire in GERMAY Robert, POIRRIER Philippe (Dir.), Le théâtre universitaire. Pratiques et expériences, Ed. Universitaires de Dijon, Coll. U-Culture(s), Dijon, 2013, p. 188.
10 NICHET Jacques, Grandeur et misère du théâtre universitaire, 1968, p. 403. Dans Etudes, Mars 1968/3, p. 402-406.

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