Talents et industrie, les va-et-vient internationaux de l'animation belge

Picha, un cas à part

bigbangchainonJean-Paul Walravens dit Picha est sans doute le plus fameux exemple d’exportation réussie. Formé à l’école de la caricature et du dessin de presse, Picha s’envole assez vite vers New York où il travaille plusieurs mois notamment pour le New York Times. Tenté par l’aventure du film d’animation, Picha va réussir le pari dément de monter un film aux États-Unis en transformant Tarzan en obsédé sexuel un peu débile. Le scandale est bien sûr au rendez-vous, et Picha en profite pour se bâtir une carrière atypique et unique dans l’histoire du cinéma d’animation belge : ses films Le chaînon manquant et Le Big Bang sont de grosses productions qui, à défaut de connaître de grands succès publics, marquent par leurs irrévérences et leur politiquement incorrect. Revenu en France et en Belgique, Picha va investir la télévision et renouer avec le succès via notamment Zoo Cup et Les Jules… chienne de vie.

À ce jour, Picha reste le seul cinéaste à avoir su s’imposer comme réalisateur de long métrage aux États-Unis. Citons toutefois Paul Demeyer, ancien élève de Raoul Servais qui a réalisé Les Razmokets à Paris mais aussi 4 épisodes de la série Duckman, sur laquelle a travaillé Philippe Capart, coauteur avec Erwin Dejasse d’un livre sur Morris, Franquin, Peyo et le dessin animé. Plus discrète mais non moins essentielle, Guionne Leroy, issue de La Cambre, a su se démarquer en travaillant sur Toy Story, Chicken Run avant de devenir responsable de l’animation de Max & Co, production française. Aujourd’hui formatrice en animation, elle reste l’une des valeurs les plus sûres parmi nos techniciens-réalisateurs qui ont su se faire un nom international, qui se comptent aujourd’hui par dizaines chez Aardman, Pixar, Dreamworks ou Disney.

 

Des sociétés incontournables

Si le monde artistique nous ravit régulièrement nos techniciens, il n’est toutefois pas rare que les producteurs étrangers viennent travailler en Belgique. Énorme production (avec un budget de 31 millions d’euros, soit le film d’animation le plus cher de l’histoire du cinéma français), Astérix et le domaine des dieux et son auteur Alexandre Astier ont envahi les studios de Dreamwall à Marcinelle (Charleroi). Dreamwall/Keywall est connu pour s’occuper de toutes les animations de la RTBF (incrustrations, génériques, etc.) mais aussi plusieurs séries comme Le petit Spirou ou dernièrement Le Royaume, une série produite par… Belvision.

C’est pourtant à Liège que l’effervescence est la plus forte. Le Pôle Image s’investit depuis plusieurs années dans la post-production et le numérique, et les résultats se font de plus en plus ressentir. L’exemple le plus célèbre reste Patrice Leconte qui, pour son passage à l’animation, a confié l’ensemble de la production du  Magasin des suicides à la société Waooh ! qui venait tout juste d’être fondée à l’époque. Depuis, Waooh ! s’est chargé d’Un monde truqué, la première aventure cinématographique de l’immense bédéiste Jacques Tardi. Dernièrement, c’est la société Mikros qui s’est occupé de la post-production de The Congress d’Ari Folman. Nozon, autre société, s’est quant à elle chargée de la saison 2 de la série à succès Minuscule, dont le long métrage est prévu au carnaval 2014.

buchebrendanLe panorama serait toutefois incomplet sans la société qui monte, qui monte jusqu’aux étoiles du Walk of Fame et autres Academy Awards : Digital Graphics2. Fondée par les frères Umé – Serge, diplômé à l'École Supérieure d'Architecture de Liège, et Marc (qui a été chargé de recherches au Service d'Électricité Appliquée de 1988 à 2001 à l'Université de Liège) –, la société s’est depuis illustrée dans de nombreux films, belges ou étrangers, que ce soit sur La bûche de Noël de Patar & Aubier (pour le compositing) ou Brendan et le secret de Kells, déjà nominé aux Oscars 2010 comme Meilleur film d’animation. Aujourd’hui, Digital Graphics attend les résultats de la cérémonie 2014 pour Ernest & Célestine, pour lequel ils ont créé expressément un logiciel afin d’obtenir le rendu d’aquarelle qui fait l’originalité du film3.

Bien sûr, l’argument du Tax Shelter et ses avantages fiscaux pourra être facilement avancé pour expliquer cet intérêt croissant pour les sociétés basées en Belgique. Ce serait toutefois une erreur de ne considérer la question que sous cet angle, négligeant que la Belgique a toujours su démontrer un réel savoir-faire dans l’art du dessin et de la technologie numérique. Dans les années 60, Belvision avait bien reçu la commande de Pinocchio dans l’espace de la part de producteurs américains, tandis que Raoul Servais a inventé dans les années 70 l’ancêtre du numérique avec sa servaisgraphie. Peut-être que la nomination aux Oscars, l’extraordinaire vitalité des cinéastes belges (jeunes ou anciens) et la reconnaissance du passé ne sont que les symptômes d’une interrogation réjouissante : et si c’était maintenant, l’âge d’or du cinéma d’animation belge ?

 

Bastien Martin
Février 2014

 

crayongris2Bastien Martin est chercheur en Arts et Sciences de la Communication. Ses recherches doctorales portent sur le cinéma d'animation belge.

 

 


 

 

2 Pour voir le travail de Digital Graphics, cliquer sur ses deux liens : http://p4.storage.canalblog.com/42/74/524297/81627721.swf et http://p5.storage.canalblog.com/59/23/524297/81627678.swf
3 Visitez le blog du film Ernest et Célestine par Benjamin Renner : http://reineke.canalblog.com/

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