Raoul Servais, de l'artisanat à la Palme d'or

dvd raoulservaisEn marge des studios (CBA, Belvision, etc.), nombreux sont les cinéastes à avoir accompli une carrière indépendante. Rares sont toutefois ceux qui ont pu atteindre l’aura internationale de Raoul Servais, fréquemment cité comme « le père de l’animation belge » dans les livres spécialisés. Portrait d’un ciné-peintre qui a marqué l’histoire du cinéma.

Dites-lui que c’est un génie, il vous remerciera poliment et citera d’autres noms que le sien : Raoul Servais est ce qu’on appelle un artisan du cinéma, un homme qui a choisi la liberté de création plutôt que le cloisonnement artistique au sein d’un studio, un artiste qui travaille par passion et non par obligation. À 85 ans, Raoul Servais est l’auteur d’un long métrage et de 13 courts métrages1. Son quatorzième, il y travaille actuellement pour le finir en novembre 2014. C’est un film sur la première guerre mondiale, sur des hallucinations, sur des hommes qui souffrent d’un destin inéluctable, le tout sur base d’un poème français. Tout le cinéma de Raoul Servais est là, dans ces divers éléments narratifs qui trouveront écho dans un style à part, personnel, en adéquation avec le sujet. Une nouvelle étape dans l’histoire d’amour qui unit Servais et l’animation, et qui a commencé dans les années 30 avec un drôle de chat…

Félix, la guerre, Magritte et des débuts prometteurs

Né en 1928 à Ostende, Raoul Servais grandit dans une famille petite bourgeoise, ce qui lui permet d’être parfait bilingue très tôt. Enfant, son père l’initie au cinéma via Charlie Chaplin, Harold Lloyd, Buster Keaton, autant de mimes qui joueront un rôle dans sa future carrière de cinéaste. Surtout, c’est la création d’Otto Messmer et Pat Sullivan qui le fascine. « Je voulais faire du dessin animé dès ma prime jeunesse ; ce n’est pas une formule, c’est la vérité. J’étais totalement fasciné par Félix le chat » explique le cinéaste. Prolifique, Servais s’entraîne en dessinant quantité de croquis durant son enfance. À 12 ans, il déroule une bobine du cartoon pour en comprendre le fonctionnement. « J’avais compris qu’il fallait beaucoup de dessins, mais je ne comprenais pas comment ces derniers bougeaient à la projection… J’ai donc dû chercher par moi-même, et j’ai alors emprunté la caméra d’un ami de mon père. J’avais réalisé une vingtaine de dessins, que je disposais l’un à côté de l’autre et que je filmais en balayant avec la caméra. Quand j’ai reçu les bobines, j’étais évidemment déçu de ce stupide travelling sans intérêt ! Je me suis alors demandé si je ne devais pas essayer de photographier image par image les dessins. Eurêka, c’était ça ! »

Pourtant, le bonheur sera écourté par la tragédie de la guerre : délation, nazisme permanent, pauvreté des parents, bombardements et pertes d’amis sera le lot du jeune Raoul, qui se voit contraint de passer de l’enfance à l’âge adulte sans aucune transition. Cette période noire et douloureuse aura une profonde influence sur son cinéma. Au lendemain de la guerre, Servais étudie les beaux-arts à l’Académie de Gand, un peu par défaut puisqu’il n’existe alors aucune école de cinéma d’animation en Belgique. Tandis qu’il essaie, en vain, de rentrer dans divers studios (France, Angleterre, USA) et sympathise avec Henri Storck, Servais devient assistant de René Magritte lorsque celui-ci doit réaliser une peinture monumentale pour le casino de Knokke. D’autres suivront mais Servais n’abandonne pas pour autant son projet de réaliser des dessins animés dans un avenir proche.

DVD060C’est en 1957 que le cap est franchi avec la préparation de Havenlichten. Dans un style assez proche de Bruno Bozzetto ou de l’École de Zagreb (encore inconnue à l’époque), Servais ose une approche différente de ce qui se fait en dessin animé en Belgique alors. « On voyait très peu d’animation à l’époque : il y avait bien sûr les compléments de programme, le plus souvent des dessins animés américains, soit Disney soit Warner Bros, mais en dehors de ça, on voyait très peu de choses. J’ai vu deux films que j’ai trouvé très intéressants : le premier était de Paul Grimault, Le voleur de paratonnerre je crois, et un dessin animé de Jiri Trnka. Pas les poupées, un dessin animé. Et un troisième, un film de la UPA, Gérald McBoing-Boing qui est devenu un classique. C’est là que j’ai compris qu’on pouvait faire des choses différentes de Disney. J’avais beaucoup d’admiration pour ce dernier, mais j’étais aussi conscient qu’il était inimitable, alors pourquoi vouloir le copier ? » L’initiative paie, puisque Havenlichten remporte, en 1960 et à la surprise de Servais, le 1er prix au Festival National du Film Belge. Si le jury déclare son film imparfait, il salue l’originalité de l’univers et du trait, éloigné de Disney. La jolie somme d’argent que lui rapporte le prix servira à acheter une caméra 35mm pour réaliser La fausse note, qui remportera également le 1er prix au même festival.


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